Dermatose nodulaire contagieuse : abattage des troupeaux, vaccination, foyers touchés... Six questions pour comprendre la crise sanitaire

Le monde agricole manifeste de nouveau sa colère. En Ariège, des centaines d'éleveurs se sont réunis dans une ferme des Bordes-sur-Arize, jeudi 11 décembre, pour apporter leur soutien à l'exploitant, qui refuse l'abattage de plus de 200 de ses vaches, après qu'un cas de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) y a été identifié. Après des tensions, les gendarmes ont pris le contrôle de l'exploitation dans la soirée. Vendredi matin, l'abattage des bêtes a finalement pu commencer, selon France 3 Occitanie.

Les agriculteurs ariégeois ne sont pas les seuls à s'opposer à l'euthanasie systématique des troupeaux quand un cas de cette maladie, qui affecte uniquement les bovins et est inoffensive pour l'homme, est identifié. Depuis le début de la semaine, du Jura aux Pyrénées, des éleveurs se sont mobilisés pour demander l'organisation d'une campagne de vaccination et que seules les bêtes infectées soient tuées. Face à cette contestation et "à la dégradation soudaine de la situation sanitaire", le ministère de l'Agriculture a instauré la vaccination obligatoire de tous les bovins dans huit départements du Sud-Ouest. "Je ne laisserai aucun éleveur seul face à la maladie", a promis la ministre Annie Genevard sur France 2, vendredi. "Pas un centime d'euro ne sera perdu par les éleveurs." Franceinfo revient en six questions sur cette crise sanitaire.

1 Qu'est-ce que la dermatose nodulaire ?

Il s'agit d'une maladie virale affectant exclusivement les bovins et qui se transmet via des insectes piqueurs (comme certaines espèces de mouches et de moustiques), explique l'Anses. Les animaux infectés présentent des nodules sur leur peau, et parfois de la fièvre ou des lésions dans la bouche, ainsi qu'une baisse de la production laitière. Dans les cas les plus graves, la pathologie peut entraîner la mort de l'animal.

La DNC n’est pas transmissible aux êtres humains, "ni par contact avec les animaux malades, ni par la consommation de produits issus de ces animaux", précise l'agence sanitaire. Elle souligne qu'elle "ne présente donc aucun danger pour la santé publique". Ses conséquences sont avant tout économiques, "en raison de la morbidité élevée [5 à 10% des cas] et des restrictions commerciales qu’elle engendre", selon l'Organisation mondiale de la santé animale.

2 Combien de foyers ont été identifiés sur le sol français ?

En France, 110 foyers ont été identifiés à ce jour, répartis dans neuf départements. Le ministère de l'Agriculture en recensait 109 le 9 décembre, auquel s'est ajouté un foyer identifié dans les Hautes-Pyrénées le lendemain. Dans le détail, 32 foyers ont été dénombrés en Savoie (où le premier cas français est apparu au mois de juin), 44 en Haute-Savoie, trois dans l'Ain, un dans le Rhône, sept dans le Jura, 20 dans les Pyrénées-Orientales, un dans le Doubs, un en Ariège et un dans les Hautes-Pyrénées. Ces foyers concernent 75 élevages, selon le ministère.

3 Que se passe-t-il quand un cas est identifié ?

Lorsqu'un cas de dermatose nodulaire est identifié dans un troupeau, ce dernier doit être abattu, en vertu de la réglementation européenne. En outre, les autorités définissent différentes zones (réglementées, de surveillance et de protection). Dans les zones réglementées, une campagne de vaccination obligatoire, prise en charge par l'Etat, est mise en place "dans les meilleurs délais". De plus, les bovins ont interdiction d'être déplacés, sauf dérogation, précise le ministère de l'Agriculture.

Dans les zones de surveillance, des mesures de prévention (comme le renforcement de la surveillance vétérinaire et la désinsectisation) sont mises en place dans un rayon de 50 km autour du foyer. Là encore, des restrictions sur le déplacement des bovins entrent en vigueur pour éviter que la maladie atteigne d’autres élevages. Dans les zones de protection, des mesures "plus strictes" s'appliquent dans un rayon de 20 km autour du foyer, poursuit le ministère.

4 Pourquoi la généralisation de la vaccination fait-elle débat ?

Pour enrayer la circulation de la maladie et "face à la dégradation soudaine de la situation sanitaire", le ministère de l'Agriculture a instauré vendredi matin "une zone vaccinale couvrant les départements de l’Aude, de la Haute-Garonne, du Gers, des Pyrénées-Atlantiques". Outre la vaccination obligatoire de tous les bovins, ce dispositif interdit "toute sortie de bovin de la zone vaccinale, sauf vers un abattoir". Dans un communiqué séparé, le préfet des Pyrénées-Atlantiques cite aussi le département des Landes parmi ceux qui font l'objet de l'extension de la zone vaccinale. "La vaccination est une protection. Nous avons déjà vacciné un million d'animaux en France et nous avons éradiqué la maladie dans plusieurs départements", assure la ministre de l'Agriculture. Sans ces mesures, la dermatose nodulaire "peut causer la mort de 10% du cheptel français", estime-t-elle.

Une demande formulée de longue date par de nombreux éleveurs, mais pas par la FNSEA, qui redoute qu'une vaccination large prive la France de son statut de pays "indemne" et donc de sa capacité d'export de bovins vivants pendant de longs mois. Or le pays est le premier exportateur mondial d'animaux vivants et, en 2024, les éleveurs tricolores ont envoyé à l'étranger près de 1,3 million de jeunes bovins, selon l'Institut de l'élevage (Idele). Ces animaux partent principalement en Espagne et en Italie pour être engraissés et, parfois, revenir en France à l'abattage. Ces deux pays frontaliers ont aussi enregistré des cas de dermatose nodulaire contagieuse, rappelle la plateforme d'épidémiosurveillance de santé animale (ESA). 

5 Pourquoi les cheptels touchés sont-ils abattus ?

La vaccination, bien que nécessaire, ne suffit pas à endiguer la circulation de la maladie. Sur les 33 000 bovins recensés en Ariège, 3 000 avaient été vaccinés au mois de novembre, dans les zones proches des Pyrénées-Orientales, où des foyers avaient été détectés, ce qui n'a pas empêché la ferme des Bordes-sur-Arize d'être contaminée.

Historiquement présente en Afrique du Nord, la dermatose nodulaire contagieuse fait partie des maladies classées en catégorie A dans la Loi Santé animale européenne. Cela signifie qu'elle est répertoriée comme "maladie normalement absente de l’UE", et sa détection doit entraîner "des mesures d'éradication immédiates". Une mesure radicale, qui "vise à empêcher la progression du virus dans toute l'UE", explique au Point Jeanne Brugère-Picoux, professeure honoraire à l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort. "Dans un élevage où un cas apparaît, il y en a toujours deux ou trois autres, et surtout des animaux en incubation. Si l'on ne les abat pas, on garde des bombes à virus", poursuit-elle. 

Pour éviter d'abattre tout leur troupeau, les éleveurs demandent que seules les bêtes contaminées soient tuées. Toutefois, cela ne suffirait pas à faire disparaître la maladie, car certains bovins peuvent en être porteurs de façon asymptomatique. "Si on ne faisait que des dépeuplements partiels, il faudrait analyser toutes les bêtes de tous les élevages tous les jours. Si l’on épargne les animaux sans symptômes, on ne va jamais arrêter le cycle", argue Eric Cardinale, directeur scientifique de la santé animale à l’Anses, auprès du Monde.

6 Comment les éleveurs réagissent-ils ?

Cette semaine, des manifestants, soutenus par la Confédération paysanne et la Coordination rurale, ont tenté de s'opposer aux euthanasies systématiques des troupeaux. "Il faut qu'on arrête d'abattre des animaux sains", plaide le président de la Coordination rurale, Bertrand Venteau, auprès d'ICI. "Ce principe de précaution XXL fait des ravages, on est en train de mettre en péril toute une filière et de dégoûter les éleveurs de continuer." De son côté, la Confédération paysanne demande que la classification de la maladie soit modifiée au niveau européen.

Une position opposée à celle de la FNSEA, qui soutient l'abattage systématique des troupeaux. "Il faut absolument prendre conscience que c'est une maladie qui affaiblit nos troupeaux et surtout qui rend les troupeaux économiquement non viables. C’est pour ça qu’aujourd’hui, malheureusement, on se résout à un abattage", a déclaré sur franceinfo Yohann Barbe, agriculteur et porte-parole du syndicat, appelant toutefois à une meilleure indemnisation des exploitants concernés.

Face à la détresse des éleveurs, le ministère de l'Agriculture propose un accompagnement psychologique aux exploitants, ainsi que le renforcement du dispositif d’indemnisation. "Les éleveurs percevront la valeur marchande de l'animal", ainsi que la somme équivalente aux "pertes d'exploitation" et à "la désinfection des bâtiments", a développé Annie Genevard sur France 2. "Les versements sont enclenchés dans les meilleurs délais", promet le ministère, précisant que "dès les jours suivant le dépeuplement, un acompte est versé par l’Etat aux éleveurs (...) afin de leur permettre de reconstituer une trésorerie".