Les ballots de paille flambent à nouveau sur les ronds-points d'Auch. Alors que la nuit est tombée, vendredi 12 décembre, des dizaines d'éleveurs et d'agriculteurs sont venus de tout le Gers avec leurs tracteurs. "On ne va pas se laisser faire", lance d'emblée Etienne, 35 ans. L'éleveur de bovins est "très inquiet" des abattages de cheptels touchés par la dermatose nodulaire qui se multiplient dans toute la France. "Je ne préfère même pas l'imaginer", souffle-t-il.
L'appréhension est la même pour Valentin, 25 ans. "Parfois, j'y pense quand je vais les voir. Je m'assieds sur un tabouret et je les regarde. Ça prend aux tripes", raconte le jeune éleveur de vaches laitières. Malgré le marché prévu tôt le lendemain, il n'a pas hésité à rejoindre ce rassemblement organisé à la hâte. "Tout le monde est concerné, alors il faut que l'on se serre les coudes", lance le jeune homme, près d'un tracteur soulevant un cercueil en carton.
"Je ne sais pas comment je réagirai en cas d'abattage. Déjà, quand j'ai dû vendre quelques vaches, j'ai fait trois mois de dépression."
Etienne, éleveur bovin dans le Gersà franceinfo
L'intervention musclée des forces de l'ordre sur une exploitation en Ariège, dans la nuit de jeudi à vendredi, a mis le feu aux poudres, alors que les abattages agitent les campagnes depuis plusieurs mois. "Ce que j'ai vu en Ariège, c'est une honte. Ça m'a choqué", souffle Guy, négociant agricole et ancien éleveur. "On a été pris pour de la chair à canon", renchérit un éleveur de volailles dans le sud du Gers, écœuré. "C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", résume un céréalier.
Parmi les manifestants, certains reviennent justement des Pyrénées où ils étaient allés soutenir un éleveur qui a perdu ses 207 vaches, comme le prévoit le protocole sanitaire mis en place par le gouvernement. "Ce qui s'est passé là-bas est monstrueux", lâche Christian, céréalier de 60 ans, dans un sanglot. Si son exploitation n'est pas directement concernée par la maladie qui touche les bovins, il a tenu à se mobiliser pour soutenir les éleveurs. "C'est insupportable de voir les gouvernements détruire l'agriculture, comme ils l'ont fait pour l'industrie", fustige-t-il près d'un feu.
Tous unis... sauf la FNSEA
Les rassemblements de la soirée ont également été portés par les déclarations de la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, qui a martelé au "13 Heures" de France 2 que l'abattage était "la seule solution" lorsqu'un troupeau est touché par la dermatose nodulaire. Cette stratégie, validée par la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, est remise en cause par la Coordination rurale et la Confédération paysanne au niveau national, mais aussi par les Jeunes Agriculteurs (JA), habituellement alliés de la FNSEA, dans le Gers.
"Ici, on s'émancipe de la ligne nationale", lance Guillaume Fauqué, président des JA dans le département. A 20h30 vendredi, l'agriculteur a pris le micro pour annoncer à ses troupes que le syndicat avait signé un protocole réclamant la fin de l'abattage systématique de tout le cheptel dès le premier cas détecté et une vaccination générale. "On a besoin d'être unis, bonnets jaunes, casquettes rouges et drapeaux jaunes", scande le jeune homme, en référence aux symboles des trois grands syndicats agricoles, hors FNSEA.
Les agriculteurs de la Coordination rurale, installés quelques kilomètres plus loin sur un autre rond-point, saluent l'initiative. "Ça fait plaisir de les voir ! Cela fait des années qu'on voudrait qu'ils nous rejoignent", lance un membre de ce syndicat marqué à droite, au passage du convoi de tracteurs. La Confédération paysanne, classée à gauche, est également mobilisée à une autre entrée de la ville. "Même les écolos sont avec nous", glisse un éleveur en souriant.
"Rousseau, le patron, c'est lui !"
Au-delà du gouvernement, c'est le puissant patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau, qui se trouve désormais vilipendé par certains manifestants. Le même jour, le président du syndicat a rappelé sa position, jugeant que la vaccination complète mettrait "la France sous cloche" pendant de longs mois, la privant de son statut européen de pays "indemne", et donc de ses capacités d'export. Dans ces conditions, "l'abattage total est la meilleure solution" pour le syndicat.
"Rousseau, le patron, c'est lui, le voyou aussi !", lâche un céréalier, proche de la Coordination rurale, échaudé par l'influence de la FNSEA sur la politique gouvernementale. "S'il demande d'arrêter les abattages, ils arrêteront demain", assure-t-il. La position d'Arnaud Rousseau commence à agacer les Jeunes Agriculteurs. "Il était déjà contre sa base il y a deux ans", souffle un éleveur, doudoune "JA" sur les épaules. Avant d'asséner : "Il n'est peut-être plus à sa place."
"On n'est pas là pour trier les lentilles !"
Au-delà des dissensions syndicales, tous les agriculteurs mobilisés ce soir-là sont convaincus que ce tour de chauffe n'est qu'un premier pas vers une nouvelle mobilisation d'ampleur. "Il faut une convergence, tout le monde est touché", affirme un céréalier venu en soutien. Même constat pour un éleveur à la retraite, encore très impliqué dans la vie agricole du département : "S'il y a un soulèvement, il ne faudra pas être étonné."
Les débats nationaux sur le protocole sanitaire lié à la dermatose nodulaire paraissent désormais dépassés. "On ne regarde pas la couleur du bonnet, on peut même avoir des avis différents sur l'abattage", assure Etienne. Pour l'éleveur, "on n'est pas là pour trier les lentilles ! Et ce n'est que le début".