ENTRETIEN. Wimbledon : "L'exploit d'une vie"... Marion Bartoli revient sur son sacre de 2013 et livre ses pronostics pour l'édition 2025

C'était il y a 12 ans. Marion Bartoli soulevait le bol Venus Rosewater à Wimbledon, dans une ère encore dominée par les sœurs Williams. Elle est encore aujourd'hui la dernière Française à avoir remporté un tournoi du Grand Chelem. Retraitée et désormais consultante pour plusieurs médias, Marion Bartoli raconte à franceinfo: sport le rêve d'une vie et la vie d'après, le bonheur de jouer dans le temple du tennis et les qualités nécessaires pour une performance sur gazon. Sans oublier ses pronostics avisés pour l'édition 2025.

Marion Bartoli en finale de Wimbledon contre Sabine Lisicki, le 6 juillet 2013. (KERIM OKTEN / EPA)
Marion Bartoli en finale de Wimbledon contre Sabine Lisicki, le 6 juillet 2013. (KERIM OKTEN / EPA)

Franceinfo: sport : Qu'est que représente aujourd'hui Wimbledon pour vous, 12 ans après votre sacre sur le gazon londonien ?

Marion Bartoli : Je pense qu'on est unanimes, quelle que soit notre nationalité, Wimbledon, c'est le tournoi le plus mythique pour tous les joueurs de tennis. Même si, nous Français, on a un Grand Chelem, vous parlez à un Américain ou un Australien, il vous dira la même chose. Rien ne vaut ce tournoi.

Je me rappelle toujours cette anecdote qu'avait racontée Tony Nadal, l’entraîneur de Rafa.  Quand il était petit, il l’avait amené à Londres pour qu'ils voient le tournoi de Wimbledon. Ils n’avaient pas pu entrer parce qu’ils n’avaient pas de billets, parce que c’est impossible d’avoir des billets pour rentrer à Wimbledon. Donc ils avaient regardé les courts de derrière la grille, les fameuses grilles noires qui entourent tout le complexe du All England London Tennis Club.

"Tony avait dit à son neveu, 'écoute, si tu es un champion, un jour tu gagneras ici'."

Marion Bartoli

à franceinfo: sport

Et c'est vraiment l'image que j'ai, moi, depuis toute petite de Wimbledon. C'était de voir Pete Sampras remporter ce magnifique trophée en or sur le court. Je voulais tellement faire comme lui. Revenir chaque année, pouvoir faire défiler des images du passé, me souvenir des matchs que j'ai joués sur tel ou tel court, contre telle ou telle adversaire, avoir la chance d'être membre de ce club, montrer à ma fille mon nom gravé sur le tableau des champions... Je me sens extrêmement privilégiée de vivre ces moments uniques. Et j'ai conscience de l'immensité que représente ce tournoi dans l'histoire du tennis. C'est toujours un immense honneur et privilège de pouvoir y retourner. 

Qu'est-ce qui en fait un tournoi à part ?

C’est le plus ancien des tournois pour commencer. Ils ont réussi à en faire une telle tradition. La famille royale est venue. La reine Elisabeth venait assister à Wimbledon. C'est vraiment extrêmement ancré dans la société anglaise. Wimbledon est vraiment un pilier de l'Angleterre, on parle de la famille royale et de Wimbledon. Ils sont arrivés à élever le tournoi à un tel niveau de sacralisation que chaque joueur le ressent.

J'ai grandi avec le sentiment que ce tournoi est unique. Je voyais Martina Navratilova le gagner, je voyais Steffi Graf le gagner, je voyais Pete Sampras le gagner, enfin tous les gens que j'ai idolâtrés, que j´ai vraiment admirés. Serena l'a remporté à de très nombreuses reprises, Roger, Novak... Et je me disais, si un jour, moi, petite fille d'un tout petit village en Haute-Loire, j'arrive à faire pareil, ce sera vraiment l'exploit d'une vie.

Une fois mon rêve réalisé, je me suis encore plus rendue compte. Les organisateurs ont cette faculté à rappeler le poids de l'histoire, dès que vous foulez le gazon, dès que vous prenez votre accréditation pour aller jouer, qu'on vous demande de vous habiller tout en blanc. Il y a une phrase que Wimbledon emploie, une phrase de Rod Laver, qui dit que le tournoi sera toujours au-dessus de n'importe quel champion qui l'aura remporté. C’est vraiment ce que vous ressentez quand vous êtes à Wimbledon. 

En revenant chaque année en tant que consultante, vous ressentez toujours ce sentiment à part ?

J'ai la chance de commenter pour la BBC, qui est donc l’équivalent de France Télévisions en Angleterre, puisque c'est la chaîne nationale qui retransmet tout le tournoi. Et de ma cabine de commentatrice sur le central, je suis à un mètre du terrain, près de l'entrée des joueurs. Forcément, quand je rentre dans la pièce, j’ai les images de 2013 qui reviennent, et aussi celles de 2007 où j'ai atteint la finale.

J'ai l'odeur qui revient, les évènements du jour de finale, toute l’appréhension et les attentes que vous avez avant de jouer une finale de Grand Chelem, toutes ces émotions, c'est ce qui me traverse en premier. Puis, j’éprouve la satisfaction immense de me dire que sur les deux, j'ai gagné au moins une finale et que j'ai le badge de gagnante du tournoi.

Quelles qualités faut-il avoir pour être performant sur le gazon? 

Il faut arriver à rester très bas au niveau des jambes parce que c'est une surface qui est très glissante, qui n'est pas comme la terre battue où vous arrivez à la maîtriser assez rapidement en termes de déplacements. Là, il faut vraiment faire attention parce que beaucoup de joueurs tombent et se font mal d'ailleurs. 

"L’image idéale, c’est comme si vous marchiez sur des œufs, il faut faire très très vite, sans jamais casser l'œuf parce que sinon vous tombez."

Marion Bartoli

à franceinfo: sport

C'est assez compliqué, il faut avoir une technique très propre. Parce que malgré les évolutions de la surface, les rebonds restent quand même très bas. C'est plus facile d'y jouer aujourd'hui qu'à mon époque où c'était vraiment très rapide. Si vous avez de grands gestes et une technique plus propice à la terre battue, c'est difficile sur gazon, même si Rafa a réussi à gagner ici. C'est tout de même le Grand Chelem qu'il a le moins remporté. Des techniques à la Roger, à la Djokovic, avec une prise de balle tôt, un jeu à plat, sont avantagées sur cette surface, sans oublier l'importance du service, raison pour laquelle Serena l'a gagné autant de fois. 

Justement, quelle est l’importance du service sur gazon ?

Avoir un service très puissant est un sacré atout. Alors maintenant, même si vous avez un break de retard chez les filles, vous pouvez revenir dans un set. À mon époque, si vous aviez un break du retard dans une manche, le set était quasiment perdu. C'est-à-dire que c'était tellement difficile de breaker qu'en fait ça jouait au tie-break sur un ou deux points.

Marion Bartoli dans le tournoi de double, à Wimbledon, le 10 juillet 2018. (GLYN KIRK / AFP)
Marion Bartoli dans le tournoi de double, à Wimbledon, le 10 juillet 2018. (GLYN KIRK / AFP)

Ils ont un petit peu changé la surface parce que les spectateurs se plaignaient qu'il y ait surtout des services et trop peu d'échanges. Ils ont donc ralenti, ralenti jusqu'à ce qu'aujourd'hui, on voit beaucoup plus d'échanges. A mon époque, c'était stressant parce qu'un mauvais jeu de service, une ou deux double fautes à des moments inopportuns, et le match pouvait vite vous filer entre les doigts. 

Quelles sont pour vous les favorites, dans le tableau féminin ?

Du côté des femmes, c'est toujours extrêmement ouvert. En analysant les forces en présence pour la BBC, j'ai dû aller vérifier la stat', mais je n'arrivais pas à y croire : il n’y a pas une joueuse du top 10 actuel qui a gagné Wimbledon. Hallucinant. Et il n’y a qu’une seule joueuse du top 10 actuel qui a fait une seule finale de Wimbledon. Il y a 15 ans, quand je jouais, le premier nom qui sortait, c'était Serena, ce n'était pas compliqué, c'est elle qui gagnait chaque année.

Là, on n'a que des vainqueures différentes sur les sept ou huit dernières éditions [les neuf dernières, depuis la victoire de Serena Williams en 2016]. J'ai l'impression qu'il y a 10 ou 15 filles qui peuvent gagner. Si Sabalenka arrive à contrôler ses nerfs, elle peut gagner avec sa frappe de balle. Ou Marketa Vondrousova, qui l'a déjà gagné, qui revient, mais qui n'est pas tête de série. Elle joue bien sur gazon, elle peut le gagner. Donc là, c'est beaucoup, beaucoup, plus ouvert.

Et chez les hommes ?

Très honnêtement, au vu du niveau atteint par Alcaraz et Sinner, ça me paraît quand même très compliqué de citer d’autres noms, surtout chez les Français. Déjà, Novak Djokovic qui a gagné je ne sais pas combien de fois le tournoi [sept fois], on a du mal à le mettre comme favori. Et si on l'y met, c'est à égalité avec les deux autres. Donc là, je vous avoue que mettre un Français en capacité de gagner le tournoi, ça serait un des plus grands exploits de l'histoire du sport. Les autres ont atteint un tel niveau que pour les rattraper, c’est très très dur. 

Vous mettez Novak Djokovic au même niveau que Carlos Alcaraz et Jannik Sinner ?

Oui, je le mets sur le même plan parce que l'année dernière, il est arrivé à faire finale du tournoi sur une jambe. Il venait de se faire opérer du ménisque, il revenait à peine, il jouait avec une genouillère et avec ça, il fait finale. Il a quand même une marge sur gazon qui est très importante, avec une capacité au retour de service, de lecture du jeu qui est totalement exceptionnelle.

Il l'a gagné tellement de fois que oui, je le mets absolument favori au même niveau qu'Alcaraz et Sinner sur cette surface en particulier parce que c'est une surface où il peut s'économiser un tout petit peu plus, où c’est quand même moins demandant sur le plan physique en termes de dépenses énergétiques. Et je pense qu'il peut vraiment aller chercher sept matchs sur ce tournoi-là. 

Pensez-vous à d'autres outsiders ?

Il y a Bublik aussi qui peut être performant sur le gazon. On l'a vu lors de sa victoire à Halle. C'est un joueur qui sert très fort, qui sert très bien, qui joue très à plat, qui va beaucoup au filet. Il a battu d’excellents joueurs, comme Jannik Sinner. Donc c’est quelqu'un qui peut vraiment être perturbant dans un tableau et commencer à éliminer pas mal de têtes de série. Clairement il faut y faire attention. 

Tous les joueurs qui sont capables de mettre beaucoup d'aces restent des joueurs difficiles à passer sur gazon parce qu'ils vous mettent beaucoup de pression sur votre propre mise en jeu, et ça se joue sur des tie-breaks, à pas grand-chose. Des joueurs plus prévisibles comme Zverev, Tsitsipas, Medvedev, tous ces joueurs-là, excellents évidemment, mais qui jouent du fond du court, ont plus de mal à Wimbledon, les résultats l'ont montré d'ailleurs. En revanche, les joueurs, qui montent vite au filet, qui ne cherchent pas beaucoup les échanges, qui servent très bien et qui vous mettent beaucoup de pression, c'est toujours très dangereux. Très clairement, je mets une pièce sur Bublik.