« Un arrêt total et illimité du pays » : c’est quoi ces appels à bloquer la France le 10 septembre ?
Il flotte comme un trouble parfum d’insurrection sur les réseaux sociaux. Des appels à bloquer le pays le 10 septembre en réaction au projet de Budget du gouvernement fleurissent un peu partout depuis mi-juillet, relayés aussi bien par des groupes proches de la gauche que des comptes liés à l’extrême droite.
Exemple ce 20 juillet, avec le post sur X (anciennement Twitter) de « Bastion Media », qui se présente comme apolitique mais dont les obsessions pour l’immigration et l’insécurité laissent peu de doute quant à ses opinions : « Un appel national circule sur les réseaux, appelant à une « solidarité du peuple pour un arrêt total et illimité du pays » dès le 10 septembre, dans l’esprit du mouvement des Gilets jaunes, écrit le média. Seriez-vous prêt à redescendre dans la rue, comme en 2018 ? » Le tweet a été vu 1,1 million de fois.
Un site pour centraliser les initiatives
Le mot d’ordre a émergé sur X mi-juillet, en réaction aux propositions mises sur la table par le gouvernement de François Bayrou de sucrer des jours de congés payés pour réaliser des économies. « Une grève générale totale, organisée, pourrait en quelques jours seulement – 7 jours suffiraient -, mettre un terme à un système qui ne tient debout que grâce à notre participation quotidienne », poste par exemple un compte nommé « Le Collectif » le 15 juillet. Suivi par 61 000 personnes, ce dernier est très actif dans la lutte anti-vax.
Depuis, le « mouvement » s’est étoffé : des visuels circulent sur les réseaux sociaux, les mots d’ordre se précisent, relayés aussi bien par des comptes proches de l’extrême droite que par des comptes de gauche, liés à LFI notamment. Un site a même été lancé le 19 juillet, baptisé « Mobilisation10septembre. blog », qui vise à organiser et centraliser les différentes initiatives.
« Cette fois, c’est vraiment trop »
« La raison principale de la création de ce mouvement, c’est le plan Bayrou, nous explique l’un des créateurs du site, qui se présente comme un salarié de 37 ans travaillant chez Enedis. C’est clairement un plan qui va encore pénaliser ceux qui bossent tous les jours. Cette fois, c’est vraiment trop, parce que ce sont encore les mêmes qui vont payer, toujours les mêmes. Les gens en ont ras le bol, il y a une vraie colère. » Pourquoi le 10 septembre ? « Parce que c’est la rentrée sociale, le moment où tout redémarre — travail, école, vie politique », répond le trentenaire.
Les créateurs du site se décrivent comme un collectif sans étiquette politique d’une vingtaine de personnes, liées à certains groupes de Gilets jaunes, qui refusent d’organiser une « manifestation classique » mais cherchent à combiner plusieurs modes d’actions : grève générale, désobéissance civile et boycott. « Quand on parle de boycott, on parle d’un vrai choix, nous explique notre interlocuteur. Pas un geste pour se donner bonne conscience mais une manière claire de ne plus soutenir ce qui nous enfonce. »
Et de citer une liste de multinationales dans le collimateur : Amazon (« des milliards de chiffres d’affaires, des employés pressés comme des citrons, des impôts évités, des petits commerces tués… ») ; Carrefour, Auchan ou Leclerc (« ils augmentent leurs marges, les prix montent, mais les salaires dans les rayons ne suivent pas. Même faire ses courses devient un stress ») ou encore Uber Eats et Deliveroo ( « des livreurs sans protection, souvent payés 3 ou 4 euros la course. Pas de contrat, pas de droit »).
Un discours clairement marqué à gauche, ce qui n’empêche pas que le mot d’ordre du 10 septembre ait été repris par une bonne partie de la réacosphère. « Personnellement, on accepte d’être soutenus par tout le monde quel que soit le parti, balaye notre interlocuteur. Nous, on est en dehors de la politique. Tout ce qu’on veut, c’est se battre contre le plan de François Bayrou et rassembler tout le monde en dehors des divergences politiques. »
Des salariés à bout dans tout le pays
« Bloquer le pays » pour faire plier le gouvernement, mais en se tenant soigneusement à l’écart des organisations syndicales, taxées d’inefficaces ou d’insuffisamment combatives : des initiatives de ce type sont régulièrement lancées en marge du mouvement social « classique » depuis 2018 et le mouvement des Gilets jaunes.
Les centrales syndicales suivent la chose avec circonspection, tout en comprenant sans mal le mécontentement qui gronde. « La colère qui s’exprime dans le pays est parfaitement légitime, admet Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. C’est d’ailleurs ce que confirment les discussions sur le terrain : partout dans le pays, les salariés nous disent qu’ils sont à bout, que le gouvernement va encore leur voler des jours de congés payés. »
Ce qui pose question, en revanche, ce sont les modes d’actions privilégiés, poursuit le cégétiste : « Nous disons que pour faire reculer le gouvernement, il faut s’organiser collectivement. Le seul endroit pertinent pour bloquer le pays, c’est l’entreprise, là où se créent les richesses. Et il ne peut y avoir de grève sans syndicat, c’est important de le rappeler : le droit de grève ne peut s’exercer qu’à partir d’un appel syndical. »
Oui, on s’en doute : vous en avez assez
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