Le plan de paix très russo-compatible de Keith Kellogg, le M. Ukraine de Donald Trump

Il a 80 ans, a été décoré durant la guerre du Vietnam, a participé à la guerre de 1990-1991 en Irak et doit maintenant en finir avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Si possible en un jour… à en croire les promesses de campagne de Donald Trump.

Le président-élu américain a, en effet, choisi le général à la retraite Keith Kellogg pour devenir son premier émissaire pour l’Ukraine et la Russie. "Ensemble, nous obtiendrons la paix par la force et nous rendrons l’Amérique et le monde sûrs à nouveau !", a écrit Donald Trump sur son réseau social Truth mercredi 27 novembre juste après avoir nommé Keith Kellogg.

Proche du récit russe de la guerre

"C’est un choix étonnant car ce général, malgré toute son expérience militaire, n’a absolument jamais eu affaire à la Russie ou à un conflit dans cette région du monde", souligne Jeff Hawn, spécialiste des questions sécuritaires russes à la London School of Economics.

Ce qui n’empêche pas ce général, qui fut conseiller à la Sécurité intérieure en 2017 lors du premier mandat présidentiel de Donald Trump, d’avoir un plan en poche pour exaucer les vœux de son patron. Coécrite en avril 2024 avec Fred Fleitz, le vice-président du très trumpien cercle de réflexion America First Policy Institute, la feuille de route prévoit un virage à 180° de la stratégie américaine en Ukraine.

"Officiellement, ce plan est présenté comme une manière d’empêcher la troisième guerre mondiale, mais il satisfait surtout la plupart des exigences russes", résume Natasha Lindstädt, spécialiste des régimes autoritaires à l’université d’Essex (Royaume-Uni).

"Les propositions de Keith Kellogg partent d’un constat qui n’a rien à voir avec la réalité du terrain", affirme Jeff Hawn. Dans son plan, l’ancien général soutient que l’aide militaire américaine à l’Ukraine a permis à Joe Biden de transformer le conflit en guerre contre la Russie en utilisant l’Ukraine comme prétexte. Une analyse très proche des éléments de langage utilisés par le Kremlin qui décrit le conflit comme une guerre contre l’Occident.

De ce fait, il ne tiendrait qu’aux États-Unis et à la Russie d’en finir avec cette guerre. "Les revendications de l’Ukraine sont peu voire pas du tout prises en compte dans ce plan", ajoute Jeff Hawn.

Bâton pour Kiev, carotte pour Moscou

Première étape du plan : forcer la main de Kiev. "Keith Kellogg suggère de conditionner l’aide militaire permettant à l’Ukraine de continuer à se défendre à son acceptation de négocier avec la Russie", résume Will Kingston-Cox, spécialiste de la Russie à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Une approche très différente de celle qu’il réserve à la Russie. Pas de menace de bâton pour Vladimir Poutine, mais plutôt la promesse d’une grosse carotte. Keith Kellogg veut amener Moscou à négocier en proposant "de reporter l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan à une date ultérieure". "Ce qui revient à apaiser l’une des principales craintes sécuritaires de Vladimir Poutine", note Will Kingston-Cox.

Certes, le futur émissaire de Donald Trump ne ferme pas la porte à une éventuelle adhésion ukrainienne à l’Otan. "Mais cela revient au même car la perspective d’une Ukraine qui ferait partie de l’Otan pouvait être une arme de négociation. Or, elle est jetée aux oubliettes d’entrée de jeu", observe Natasha Lindstädt. En outre, reporter la question sine die, reviendrait, selon les experts interrogés par France 24, à repousser la date aux calendes russes, d’après les experts interrogés par France 24.

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Le flou entoure également la principale proposition de Keith Kellogg pour mettre un terme aux combats… ce qui pourrait tout autant profiter aux Russes. L’ancien général suggère de répartir le territoire sur la base du tracé de la ligne de front. Autrement dit, la Russie pourrait garder le contrôle de la partie du Donbass qu’elle occupe actuellement, alors même que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a toujours répété que son pays n’accepterait jamais de céder ses territoires.

Là encore, Keith Kellogg ajoute que l’Ukraine peut continuer à revendiquer sa pleine souveraineté sur le Donbass, mais qu’elle doit pouvoir la recouvrer par la voie diplomatique uniquement. "Cela revient à appliquer un pansement sur une plaie sans chercher à régler le fond du problème afin de trouver une solution rapide… mais pas définitive. C’est la promesse de voir une situation explosive perdurer avec, très probablement, une guérilla ukrainienne qui se mettrait en place pour harceler les forces russes qui ne voudront pas quitter la région", craint Natasha Lindstädt.

Le plan ne distingue pas entre territoire occupé par la Russie et par l'Ukraine. Quid de Koursk, région en Russie où l'Ukraine a mené une incursion en octobre et dont elle occupe une partie du territoire ? "Il y a fort à parier qu'une administration Trump va demander à l'Ukraine de se retirer de Koursk dans le cadre des négociations de paix", estime Will Kingston-Cox. 

Et comme si cela ne suffisait pas au bonheur de Vladimir Poutine, Keith Kellogg suggère même de lever "certaines sanctions économiques" qui pèsent sur la Russie, sans préciser lesquelles. Une possibilité présentée "comme un moyen supplémentaire de convaincre Vladimir Poutine d’accepter de signer la paix, mais il ne faut jamais oublier que si, à l’origine, le président russe préférait voir Donald Trump à la Maison Blanche dès 2016, c’est parce qu’il estimait que ce dernier serait plus susceptible d’alléger les sanctions imposées à la Russie [après l’annexion de la Crimée en 2014, NDLR]", souligne Natasha Lindstädt.

Un plan voué à l'échec ?

Ce plan est-il susceptible de mettre un terme aux combats dès les premiers jours de la présidence de Donald Trump, qui doit être investi officiellement le 20 janvier 2025 ? "Cela semble très peu probable", estime Will Kingston-Cox.

La Russie pourrait très bien se montrer encore plus gourmande. Après tout, elle a, pour l’instant, l’avantage sur le champ de bataille et pourrait chercher à en profiter. "Moscou peut considérer ce plan comme une base de négociation. Les autorités russes savent à quel point Donald Trump veut apparaître comme celui qui a ramené la paix en Ukraine, et pourraient être tentées de pousser le bouchon encore plus loin", analyse Will Kingston-Cox. La Russie pourrait chercher, par exemple, à obtenir des États-Unis qu’ils "ne soutiendront jamais la candidature ukrainienne à l’Otan", envisage Jeff Hawn.

L’Ukraine pourrait aussi chercher à échapper à un accord à son désavantage en jouant la carte européenne. "Elle peut tenter d’obtenir un soutien supplémentaire des pays européens pour remplacer l’aide américaine. Ce plan de paix pourrait, alors, créer de nouvelles tensions entre l’Union européenne et les États-Unis qui verraient d’un mauvais œil que l’Europe permette à l’Ukraine à continuer à se battre", juge Will Kingston-Cox.

Cet expert redoute le scénario du pire si Keith Kellogg arrivait à ses fins car "un tel accord créerait un dangereux précédent en Europe car il légitimerait la conquête d’un territoire par la force".