Vannes (Morbihan), envoyée spéciale.
Le déni, et la morgue en prime. L’épouse, le frère, l’ami de toujours : tous ont nié l’abomination des crimes de Joël Le Scouarnec, malgré ses aveux. Chacun leur tour, après les deux fils, ils ont témoigné cette première semaine au tribunal judiciaire de Vannes (Morbihan), où le chirurgien retraité est poursuivi pour viols et agressions pédocriminelles sur 299 victimes. « Ses histoires de braguette, ce n’est pas mon problème », « Ce qui est fait est fait », « Dans un autre domaine, je peux dire que mon frère n’est pas une personne impitoyable »…
Ces expressions n’étaient pas entendables pour les centaines de victimes qui ont parfois dû quitter la salle, nauséeuses, face à cette absence cruelle d’empathie. Depuis le 24 février, les centaines de parties civiles sont installées dans une salle de déport à 300 mètres de la salle d’audience.
Leur nombre renversant n’a pas permis de leur faire une place dans la pièce principale. C’est donc à distance que les victimes ont écouté, quand les micros fonctionnaient et que les personnes s’exprimaient d’une voix claire, des propos souvent insoutenables prononcés avec désinvolture.
« Vous êtes en train de m’assassiner ! »
Les paroles de l’ex-épouse de Joël Le Scouarnec, divorcée depuis trois ans, étaient particulièrement attendues, déjà décalées par un planning surchargé. Marie-France est entrée, perruque brune sur la tête et masque au visage, invoquant pneumopathie, asthme et laryngite chronique.
Sans voix au départ, semblant forcer sur les cordes vocales, la septuagénaire a repris du coffre au fur et à mesure de son témoignage, alors qu’elle s’offusquait du ton de la présidente et des avocats qui l’interrogeaient. « Quand on est témoin, on aurait besoin d’un avocat ! Vos questions, c’est violent. Vous êtes en train de m’assassiner », a-t-elle lancé à la cour.
De ses déclarations aux gendarmes, de sa lettre incriminant son mari en 2010, de sa conversation avec sa belle-sœur accusant son époux d’avoir agressé sa nièce, elle a tout oublié. Jouant avec sa chaise tournante et un verre d’eau, elle a assuré n’avoir connu qu’en 2017, à l’arrestation, les perversions de son mari : « Ce n’était pas écrit sur sa tête. »
Marie-France, l’ex-épouse, n’a rien vu, rien entendu, rien lu
Lors d’une dispute avec son fils, elle avait appris qu’il avait été violé par un adulte. Jamais elle ne lui demandera par qui. Quand elle apprendra qu’il s’agissait du grand-père, elle n’ira pas le confronter à ces accusations : « En 2017, j’avais autre chose à faire, nous n’avions plus de revenus. » Marie-France n’assume rien. Elle n’a rien vu, rien entendu, rien lu.
Quand Aude Buresi, la présidente, lui rappelle que son mari a confié à un expert que son épouse avait découvert son journal racontant ses viols, Marie-France ne se souvient que d’une liste de films pornographiques retrouvée au garage, mais rien de « pédophile ».
La magistrate projette une page des carnets intimes du prévenu, intitulée « Le bonheur de lécher la vulve rose et humide d’une petite fille qui sent le pipi et de sucer la petite bite en érection d’un petit garçon ». À l’intérieur, Joël Le Scouarnec écrit, en 1996 : « Elle sait que je suis pédophile » et « Elle » a « détruit mes petites filles », c’est-à-dire ses poupées sexualisées, qu’il collectionne en secret.
Marie-France joue l’étonnée et suppose que le « Elle » symbolise la conscience de son ex-époux. Quant à sa filleule et nièce, agressée à l’âge 5 ans, elle était constamment « pendue au cou » du « tonton chéri ». La gamine aurait manipulé Joël Le Scouarnec. « Elle m’a fait des coups pendables », continue la témoin. D’ailleurs, son fils violé par le grand-père lui aurait confié « qu’il y a des enfants qui aiment bien ça ».
Elle aussi a été agressée, deux fois enfant, et plus tard adulte. « J’ai été violée la nuit, droguée par mon compagnon comme la dame » détaille-t-elle soudain, évoquant Gisèle Pelicot. Et malgré ces confidences étalées spontanément, aucune empathie n’affleure pour les victimes qui lui font face par écran interposé.
Christian D. non plus n’a pas la compassion aisée. Il peut pleurer en écoutant des voix d’opéra mais pas « celles de la justice ». Il dit ne pas pouvoir comprendre les victimes car « on ne peut pas savoir si on n’a pas été agressé ». Cet ami de la famille excuse l’autoritarisme du grand-père, qui a pu entraîner une chappe de plomb. Pour lui, c’était l’époque, car « aujourd’hui, faut pas toucher les enfants, alors on en fait des enfants rois, nous, on a été élevés avec un coup de pied au cul ». Christian D. ne s’étonne plus « qu’élevés au biberon aujourd’hui », ceux-là « deviennent des délinquants ». Bien évidemment, ses propos ne concernent pas Joël Le Scouarnec, assis dans le box des accusés, de la même génération que lui.
Une famille dévastée, mais unie dans le déni
Contrairement au premier jour, buste droit et regard attentif, le mis en examen se voûte progressivement en entendant son « ami » avouer qu’il aurait « bien aimé (faire l’amour) avec Joël mais il n’aime pas les hommes ». C’est la première fois que Christian D. avoue cette attirance, s’offusquant qu’on ait pu le croire amant du père. Surtout Patrick, le frère de Joël, qui raconte que sa mère était « fatiguée de voir Christian D. tous les jours ».
Patrick est sûr qu’il avait « une certaine dominance sur (s) on père », malgré leurs vingt ans de différence. Pour preuve : il sera enterré à leurs côtés. Ce petit frère de 70 ans n’a jamais été tenu au courant des agressions, pour mieux être « protégé », et ne le regrette pas. À aucun moment il ne remet en question cette mise à l’écart. C’est plus facile d’en tenir Marie-France coupable. Cette belle-sœur détestée « est restée pour le fric » et a trompé son mari.
C’est peut-être le « désespoir » lié à cet abandon qui aurait fait dévier son frère : « Si ma belle-sœur avait réagi, peut-être que mon frère ne serait pas là ». À la barre, Joël Le Scouarnec s’excuse de « la dévastation » qu’il a semée dans sa famille. Patrick, en pleurs, accepte cette demande de pardon, tout en dénigrant une dernière fois Marie-France.
« C’était insupportable, plein de cruauté envers les victimes », a reconnu, en larmes, Annie Le Scouarnec, la sœur de Joël, le lendemain à l’audience. Elle seule avait affronté son frère, en lui enjoignant de se soigner. Mais elle non plus n’avait pas porté plainte, malgré la révélation concernant sa propre fille, en 2000. Dix-sept ans avant l’arrestation de son frère.
Avant de partir, une dernière chose…
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