Procès le Scouarnec : « Les victimes attendent qu’on ne tombe pas dans le sensationnel », demande l’avocate Marie Grimaud

Que reprochent à l’organisation de ce procès les 37 parties civiles que vous représentez ?

Marie Grimaud

avocate de 37 parties civiles

Mes clients entendent rappeler que la société comme la justice sont redevables envers eux de ne pas avoir su ou voulu les protéger des agissements criminels de Joël Le Scouarnec lorsqu’ils étaient enfants. À la différence de ce qu’ils ont vécu individuellement avec M. Le Scouarnec, ils ont une expérience commune de l’institution judiciaire et du monde médiatique, des expériences d’une grande violence.

Ils reprochent de n’être traités que comme des objets, car ils ne sont abordés que sur leur versant « utilitaire », leur parole n’est entendue que pour pouvoir matérialiser un viol ou une agression sexuelle. Mais ces personnes n’ont pas été considérées dans leur humanité, leur ressenti, leurs besoins, leurs émotions.

La prise en charge de la justice est très distanciée, très froide. La logistique de ce procès est venue symboliser cette non-considération : les parties civiles seront regroupées dans un amphithéâtre situé à des centaines de mètres du lieu où vont se concentrer les débats et le jugement. Ce n’est pas le premier procès où sont affectées des salles de déport.

Mais, jusqu’ici, elles se situaient à quelques mètres de la salle principale, dans la pièce d’à côté. Là, vous avez une césure géographique hors norme. Cela vient aussi interroger la dynamique du procès. Les protagonistes de la procédure ne seront pas réunis dans un même endroit, les privant de l’effet cathartique que peuvent avoir les débats.

Dans cette salle de la cour criminelle, M. Le Scouarnec sera dans un face-à-face avec les juges. Mais il n’y aura ni face-à-face de M. Le Scouarnec avec les victimes, ni face-à-face des juges avec les victimes. La présence en pointillé des parties civiles devant la cour risque d’engendrer un morcellement des débats, dont l’accusé peut tirer profit.

Qu’est-ce qui a pu motiver une telle organisation ?

Les considérations semblent intégralement budgétaires. Au regard de la crise à laquelle la justice est confrontée depuis des décennies, le risque est grand que ce procès devienne un modèle reproductible et que la violence institutionnelle se reproduise sur les parties au procès, comme à l’égard des professionnels qui y participent.

Les aides juridictionnelles pour les avocats ont été touchées par ces considérations financières. Il sera appliqué un montant dégressif en fonction du nombre de victimes représentées, ce qui revient à considérer ces victimes comme un tout informe et non comme des individualités ayant subi des faits différents. Chacune mérite une défense individuelle et entière de ses intérêts.

Des associations de protection de l’enfance ont vu leurs demandes d’aide juridique rejetées. Les avocats seront payés sur des demi-journées, car le procès est organisé sur un mi-temps (les audiences auront lieu uniquement l’après-midi – N.D.L.R.). La problématique de l’argent a tout envahi : la logistique des lieux, la rémunération des différents professionnels, les moyens mis à disposition des parties civiles. C’est extrêmement marquant pour ce procès-là. Et les victimes sont les dernières prises en compte.

Si les moyens ne sont pas à la hauteur, est-ce parce que ce procès concerne des violences sexuelles faites aux enfants ?

Je pense que les victimes dans ce procès restent des enfants dans un corps d’adulte. Le trauma les ramène à cette place. Or les enfants n’ont jamais de capacité à s’organiser pour faire entendre leur voix. Ils ne manifestent pas. On compare aussi ce procès hors norme à « V13 » (le procès des attentats du 13 novembre 2015 – N.D.L.R.). Avec V13, il y avait une forme de préjudice national et l’obligation de faire histoire, de faire réparation nationale.

Les violences sexuelles ne sont pas considérées comme cela, elles restent enfermées dans des histoires individuelles. Tant que notre société ne les aura pas considérées comme un sujet qui touche et qui doit concerner tout le monde, ces procès seront organisés de la sorte et traités sous le format faits divers par les médias.

Qu’attendent les victimes de la part des médias ?

Les victimes attendent qu’on ne tombe pas dans le sensationnel, que les médias prennent de la hauteur. Les personnes que je représente ont besoin de nouer un lien de confiance avec les journalistes après avoir été particulièrement maltraitées entre 2019 et 2021.

Leur vie, leurs souffrances, les actes subis ont été exposés publiquement sans aucune retenue. Certains de mes clients ont vu des journalistes arriver sur leur lieu de travail, appeler leurs collègues, rentrer dans leur jardin. Le viol est une effraction, une intrusion. Les journalistes doivent entendre et comprendre que certains de leurs agissements sont vécus par les victimes comme une nouvelle effraction, une nouvelle intrusion.

C’est extrêmement traumatique. Il y a une responsabilité médiatique quant au fait qu’une partie des victimes ne se présentera pas à ce procès. Certains de mes clients sont dans un état d’angoisse extrême à l’idée de se trouver à côté de la salle des médias. Pour ce procès, les victimes attendent de la considération, de l’intégrité, de l’humanité.

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