« La résolution de la crise de la justice criminelle doit être une priorité nationale »
La justice criminelle française traverse une crise inédite. 3 968 affaires criminelles étaient toujours en attente de jugement fin 2023 (contre 2 204 en 2019), ce qui constitue un record historique. Simultanément, le délai moyen s’écoulant entre la commission d’un crime et le jugement de son auteur n’a cessé d’augmenter. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, s’en est ému, ce 10 janvier 2025, lors de l’audience solennelle de rentrée, indiquant que nous étions « face à un mur ».
Cette situation, qui concerne le jugement des infractions les plus graves (meurtres, viols, tortures, etc.), est catastrophique. Il est inadmissible que les justiciables, accusés comme parties civiles, soient confrontés à une telle attente. Il devient donc urgent de proposer une réponse politique à la hauteur de l’enjeu.
Pour élaborer une telle réponse, il faut partir d’un constat d’échec : celui des cours criminelles départementales (CCD). Depuis 2023, ces juridictions composées de cinq juges professionnels remplacent les cours d’assises pour le jugement en première instance des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion (soit 57 % des affaires criminelles, très majoritairement des viols). Le principal objectif de leur création – vivement contestée en ce qu’elle évince le jury populaire – était de juger plus rapidement pour diminuer les stocks. Force est de constater que cet objectif n’a pas été atteint : comme l’a noté M. Heitz dans son allocution, « la récente création des CCD n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés », et a même « contribué à accroître la charge des juridictions criminelles et aggraver la pression des délais ». En résumé, les CCD ne sont pas la réponse appropriée à l’engorgement de la justice criminelle, et le jury populaire a été sacrifié pour rien…
Il convient donc de se tourner vers d’autres solutions qui, pour préserver la confiance des citoyens en l’institution judiciaire, devront satisfaire un double impératif : accélérer le rythme de la justice criminelle, sans pour autant altérer sa qualité. Il est donc primordial de se détourner des pistes de réformes consistant à mettre en place des procédures simplifiées dans une logique purement comptable et gestionnaire, ce qui accroîtrait le rendement de la justice criminelle au détriment des justiciables.
Par exemple, il serait malvenu de compresser la durée des audiences en mettant fin au principe de l’oralité des débats, qui constitue à la fois un outil essentiel d’établissement de la vérité judiciaire et un instrument précieux de restauration du lien social.
De même, il serait inconséquent d’instituer une procédure criminelle de plaider-coupable d’inspiration anglo-saxonne, par laquelle les affaires se solderaient non plus par un procès classique, mais par l’homologation d’un accord sur la culpabilité et la peine conclue entre le procureur et l’accusé. Le risque d’erreurs judiciaires induit par une telle procédure serait colossal, comme le montre l’expérience américaine. Par ailleurs, le plaider-coupable aurait pour effet de priver les victimes d’un véritable procès : avec une telle procédure, le procès Mazan n’aurait peut-être pas eu lieu…
En vérité, une réponse adaptée à la crise de la justice criminelle reposerait sur deux piliers. Un pilier budgétaire, d’abord, qui consisterait à faire du sauvetage de la justice criminelle une priorité nationale. Cela passerait par un recrutement suffisant de magistrats et de greffiers pour permettre un rapide apurement des stocks. Un pilier démocratique, ensuite, en rétablissant les cours d’assises et le jury populaire pour juger l’ensemble des crimes.
Dans la mesure où les CCD n’ont pas rempli la mission qui leur avait été confiée et ont même accentué le problème des délais, leur présence ne trouve plus aucune justification. Par ailleurs, l’intervention des jurés renforcerait le lien entre les citoyens et la justice et, par voie de conséquence, la confiance en cette dernière. Cela irait dans le sens des préconisations exprimées dans le rapport des états généraux de la justice en juillet 2022, qui notait que « la participation des citoyens à l’œuvre de justice est primordiale et doit être préservée ».
Rendue « au nom du peuple français », la justice criminelle ne peut plus être rendue « sans » le peuple français.
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