Jour 1 du procès Le Scouarnec : « J’ai commis des actes odieux », reconnaît l’ex-chirurgien

Vannes (Morbihan), envoyée spéciale

Le centre-ville de Vannes s’est doté d’une étrange signalétique. À la croisée des rues, des panneaux fléchés indiquent le chemin du tribunal judiciaire ou celui de salles de retransmission. Pendant quatre mois, la ville va vivre au rythme du procès de celui qu’on nomme déjà le plus grand pédocriminel européen Joël Le Scouarnec. 300 faits – agressions sexuelles, viols avec circonstances aggravantes sur mineurs de moins de quinze ans, attentats à la pudeur -, commis sur 299 victimes, sont reprochés à ce médecin de 73 ans. Comparaissant devant la cour criminelle départementale du Morbihan, il encourt au maximum vingt de réclusion criminelle.

En 2020, il avait déjà été condamné à Saintes (Charente-Maritime) à 15 ans de détention, pour viols et agressions sexuelles sur ces nièces notamment. À midi, ce 24 février, des manifestants font masse devant le palais de justice, en attendant la première audience. « Ordre des médecins complice », « L’impunité, c’est fini » brandissent des militants d’associations, des médecins, des féministes. Ils veulent dénoncer le silence de l’Ordre des médecins durant les trente ans d’exercice de ce chirurgien, condamné en 2005 pour détention d’images pédo-pornographiques mais jamais inquiété.

Une salle de déport pour les victimes à 300 mètres du tribunal

La demande de constitution en partie civile de plusieurs juridictions ordinales (nationale et départementale) choque autant devant le tribunal qu’en salle d’audience. « C’est moralement indécent », estime maître Frédéric Benoist à la barre, avocat de l’association La Voix de l’enfant, et « inadmissible d’être assis aux côtés des victimes ». Une réaction partagée par les avocates de Face à l’inceste et Innocence en danger qui contestent la recevabilité de la nouvelle demande de l’Ordre départemental du Morbihan. Même si on ne leur a pas encore octroyé d’aide juridictionnelle, ces associations de protection de l’enfance entendent bien faire résonner leur voix dans la salle d’audience.

La pièce est étroite, d’un blanc immaculé, qui tranche avec les 63 robes noires conseillant plus de 200 parties civiles et la défense. De nouvelles victimes voudraient grossir les rangs des plaignants. Elles ont jusqu’à la fin du procès pour se signaler. Les parties civiles sont si nombreuses qu’elles ne peuvent toutes prendre place dans ce lieu. Une salle de déport les rassemble à 300 mètres du tribunal, dans une ancienne faculté. Elles y regardent la cour par écran interposé.

En miroir, un écran diffuse leur image en plan large dans la salle d’audience. Cette organisation a été très critiquée par leurs conseils, qui estiment qu’elle peut nuire à l’équilibre des débats. Dans ses propos liminaires, la présidente de la Cour Aude Buresi n’a pas éludé le sujet : « les contraintes physiques sont liées à des raisons matérielles » et en aucun cas, elles ne traduisent une volonté de « tenir loin des débats » les victimes.

Leur déposition se fera en salle principale, et à tout moment, celles qui l’ont refusé jusqu’ici pourront se manifester au greffe pour finalement déposer. La présidente acceptera également que les personnes non visées par l’ordonnance de mise en accusation, en raison de faits prescrits par exemple, pourront cependant déposer. Quant à Joël Le Scouarnec, Aude Buresi assure qu’il « ne fait ni l’objet de curiosité, ni l’objet d’étude » et qu’elle veillera au respect de ses droits. Après chaque audience, la présidente lui donnera la parole.

Le récit de Le Scouarnec et la confusion de patients sédatés

Dans un semi box ouvert, clôt latéralement par des vitres en verre, l’accusé prend à son tour la parole. Il a suivi toute l’audience avec attention, sans baisser la tête. Vêtu sobrement d’un manteau et d’un pull noir, les cheveux blancs en couronne et le crâne dégarni, le septuagénaire se lève et s’adresse à la cour d’une voix assurée : « Si je comparais devant vous, c’est qu’effectivement un jour, la plupart n’étaient que des enfants, j’ai commis des actes odieux. » Joël Le Scouarnec reconnaît que « ces blessures sont ineffaçables, irréparables ». « Je ne peux pas revenir en arrière (…) je leur dois, à toutes ces personnes et à leurs proches, d’assumer toute la responsabilité de mes actes et des conséquences qu’elles auront tout au long de leur vie ».

L’accusé semble avoir évolué depuis les cinq ans de prison qui ont suivi sa condamnation à Saintes. Mais assumera-t-il l’ensemble des écrits qu’il a confié à son journal intime retrouvé par les enquêteurs ? Une phrase permet d’en douter. « Je me suis efforcé tout au long de mes interrogatoires à reconnaître ce qui était des faits de viols et ce qui à mes yeux n’en était pas », insiste-t-il. Malgré ses confidences écrites, il a souvent contesté des pénétrations digitales sur des gamines, évoquant la retranscription de fantasmes et non d’actes réels. Ses victimes n’y croient pas. L’enjeu de ce procès sera d’approcher au plus près de la vérité, sans céder au récit que Joël Le Scouarnec a toujours voulu imposer, profitant de la confusion due à l’état inconscient des nombreux patients qu’il avait sédaté.

La deuxième journée d’audience s’avère éprouvante : les trois fils du mis en examen sont appelés à témoigner, tout comme sa femme. Celle-ci a toujours nié avoir été au courant des perversions de son mari avant sa condamnation en 2005, contredite par le journal tenu par celui-ci, sa belle-sœur et plusieurs victimes. Vivant séparée de son époux, elle n’a jamais demandé le divorce ni dénoncé l’agresseur.

Les avocats des parties civiles entendent bien la pousser dans ses retranchements. La fin de semaine était aussi très attendue pour le témoignage de l’enquêtrice principale, la maréchale des logis-chef qui a décrypté la première tout le journal intime du pédocriminel, énumérant ses agressions sur chacune de ses victimes. En dépression et en burn-out, elle s’est déclarée en incapacité de pouvoir venir témoigner.

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