« Débuter une opération, quand, soudain, les murs tremblent » : Lyubov Denisiuk, une chirurgienne ukrainienne dans la guerre
Kiev (Ukraine), envoyé spécial.
Au guichet de l’hôpital, avenue Kosmonavta Komarova, à Kiev, une longue file d’attente se dessine déjà. La foule patiente pour un rendez-vous afin d’obtenir des soins gratuits. « Ici, il s’agit d’un centre oculaire », explique la directrice et chirurgienne Lyubov Denisiuk. La quinquagénaire n’a jamais fui depuis 2022 et l’invasion russe, même quand Kiev a été le théâtre d’affrontements.
« Imaginez être forcés de quitter le quartier où votre famille a toujours vécu. Imaginez que vous devez laisser votre appartement et l’ensemble de vos souvenirs. C’est ce que nous avons subi au début, sans comprendre l’horreur qui s’abattait sur nous. Les enfants et les personnes âgées ont été les plus traumatisés par cette dramatique expérience », décrit-elle amère avant de souligner : « Mais l’entraide a été fondamentale durant cette période. La société a fait corps. Chacun veillait sur son voisin, ses amis, ses proches. »
En ce début de quatrième année de guerre, Lyubov Denisiuk, apparaît marquée. Vêtue de sa blouse verte, elle nous dresse, entre deux opérations, le bilan des conditions de travail particulières pour le personnel de santé dans l’ensemble des hôpitaux. « Prenez un chirurgien français, qui vit à Paris. Il va débuter son opération, quand, soudain, les murs tremblent et des explosions se font entendre. Des sirènes retentissent. Des gens paniquent. Comment pouvez-vous travailler calmement ? Cette situation extrême est stressante. Nos médecins, infirmières, ambulanciers la subissent tous les jours. »
« Nous ne pouvons pas avoir le bras qui tremble, ni commettre la moindre erreur »
Dans le centre, le parcours de soins débute par un premier échange avec un ophtalmologue généraliste. En fonction, un deuxième palier concentre l’ensemble des opérations chirurgicales et de rééducation. « Les bombardements quotidiens ont un impact. Par exemple, certaines nuits vous n’arrivez pas à dormir correctement avec les nombreuses sirènes et les drones qui frappent la ville de 1 heure à 7 heures du matin. Vous êtes parfois obligés de descendre dans les abris. Et reprendre le travail à 8 heures du matin, sans avoir beaucoup dormi alors que vous devez assurer une opération. À la différence d’autres métiers, nous avons la vie d’un patient entre les mains. Nous ne pouvons pas avoir le bras qui tremble, ni commettre la moindre erreur », témoigne Lyubov Denisiuk.
Face à cette horreur, la directrice distribue à ses équipes le livre du psychiatre autrichien Viktor E. Frankl, Oui à la vie, malgré tout. L’auteur l’a écrit en 1945, lors de son retour des camps de concentration. Il avait envie d’expliquer comment, avec ces codétenus, ils ont trouvé la force mentale de lutter pour survivre. « Cela permet de relativiser le quotidien, les difficultés. Et puis c’est un formidable hymne à la vie », juge-t-elle.
Trois ans après l’agression russe, les chiffres du nombre de morts restent cachés des deux côtés de la ligne de front. Plusieurs services de renseignements occidentaux estiment les pertes à près de 500 000 (tués, blessés et disparus) côté ukrainien et 600 000 côté russe.
En tant que chirurgienne, Lyubov Denisiuk s’interroge toujours : « Comment pouvez-vous lancer des bombes sur des villes où des millions de personnes vivent ? Des milliers d’enfants sont morts… », et se demande : « Quel héritage va-t-on laisser aux générations futures ? Un pays en ruine ? Les gens s’en vont, à force. »
Prendre soin des soldats qui reviennent du front
À une quarantaine de kilomètres de la capitale, la ville d’Oboukhov, cernée d’une imposante forêt, accueille un hôpital multidisciplinaire. Au sein de cet espace de soins, l’une des priorités est portée sur la réhabilitation des blessés, principalement les soldats.
Sa directrice, Oksana Fetisenko veut leur permettre de se reconstruire afin de pouvoir regagner la société guérie des blessures physiques et mentales. « Il y a beaucoup de traumatismes et un réflexe à l’isolement. Ils ont vu et commis des choses que leur esprit accepte difficilement. Il leur faut une aide psychologique importante », explique-t-elle.
Lyubov Denisiuk partage le même diagnostic. À Kiev, l’hôpital oculaire aussi « propose des opérations et de nombreuses rééducations aux militaires. Au début, on a dû apprendre car ce type de blessures n’étaient pas courantes en Ukraine. En tant que médecins, nous ne faisons pas de politique car la priorité est de soigner. Mais jamais l’un de nous ne soutiendra une guerre. Alors mettez-nous autour de la table avec des collègues français, allemands et des Russes et nous obtiendrons la paix. » Pour éviter que, chaque jour, des dizaines de personnes soient tuées.
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