« Cette année risque d’être particulièrement pénible » : après trois longues années de guerre, les Ukrainiens entre fatigue et peur d’être abandonnés par leurs alliés
Kharkiv, Kiev (Ukraine), envoyé spécial.
Une nouvelle sirène retentit à Kharkiv. Dans le centre, sur l’immense place de la Liberté, les habitants se pressent. Les uns sortent du métro pour aller à l’université Vassili Karazine, les autres attrapent leur tramway pour se rendre au travail. Seules les familles prennent leur temps pour se promener dans le parc Chevchenko.
« Au bout de trois ans, plus personne ne réagit aux alertes. Au début, on se rendait aux abris. Désormais, on préfère vivre et maintenir les activités quotidiennes. C’est tout de même usant et cela contribue au départ d’une partie de la population », nous explique Olena Feduvna.
À une quarantaine de kilomètres, les combats font rage. La ville n’est pas épargnée, avec des bombardements réguliers et des drones qui s’abattent sur divers bâtiments dans les quartiers périphériques, proches de la gare ou celui de Saltivka. Les soldats qui sont sur le front restent partagés.
« Forcément, on a plus de doutes à imaginer la victoire qu’en 2023. Mais on a besoin d’aide pour tenir et résister. Cette quatrième année risque d’être particulièrement pénible. On remarque que les Russes continuent de grignoter des bouts de territoire. On voudrait aussi que d’autres nous relèvent. Et plutôt que de tenir des discours patriotiques, à l’abri, qu’ils viennent combattre à notre place », lance Oleg, un soldat (prénom modifié).
La fatigue et l’épuisement
Les difficultés économiques et sociales pèsent de plus en plus sur la population. Après trois années de guerre, l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov distingue la société actuelle en quatre groupes. « Le premier regroupe les 6 millions de personnes déplacées en Ukraine qui sont les plus précaires, faute d’emploi. Elles subissent aussi du racisme car elles viennent de l’est et du sud du pays, plutôt russophones, et veulent que cela se termine vite. Les 7 millions de réfugiés à l’étranger, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées, forment un deuxième groupe. La plupart ne reviendront pas. Seule une compensation matérielle promise par l’État pourrait leur faire changer d’avis. Pour le troisième, il s’agit de personnes qui se trouvent dans les régions qui subissent le conflit. Et le dernier, celles qui vivent encore chez elles, qui n’ont pas souffert matériellement de la guerre. Ces personnes-là sont les plus patriotiques. »
À l’aquacenter, rue Klochkivska, en ce samedi matin, les gens affluent. À l’intérieur, les parents attendent la fin des leçons en prenant un café. Des soldats blessés viennent également faire des exercices de rééducation. Pour Maksim, qui dirige ce complexe sportif et aquatique, « il faut que cette guerre s’arrête. On ne peut plus sacrifier des générations entières. Nous ne possédons pas autant d’hommes que la Russie. C’est horrible, mais c’est la réalité. Avec les alertes et les bombardements, tout le monde est fatigué et traumatisé, notamment les plus jeunes ».
Dans la capitale, le long de l’avenue Kretiachik, les drapeaux bleu et jaune et les nombreux bouquets ne cessent de flotter sur la place Maïdan. Depuis l’invasion russe, le 24 février 2022, ce mémorial à la gloire des soldats tués sur le front se remplit inlassablement. « Il y a même un emplacement pour les Français », nous indique un vétéran qui semble veiller sur les lieux. Plusieurs jeunes tentent en échange de tissus aux couleurs du drapeau ukrainien d’obtenir quelques billets. La plupart sont des étudiants.
Pour Andreï Kourkov, « dans les régions proches du front, qui subissent physiquement la guerre, les gens veulent la paix et que tout cela s’arrête. Ici, il ne s’agit plus de patriotisme mais de survie. Plusieurs sondages confirment que 50 % des citoyens soutiennent encore Volodymyr Zelensky. C’est beaucoup, après trois années de guerre. Cela signifie qu’ils soutiennent ses discours et ses messages. Depuis quelques mois, ces déclarations portent vers une résolution pacifique du conflit. En d’autres termes, les négociations sont nécessaires ».
« On est conscients de la pression mise par le président des États-Unis »
À Kiev, nombreux sont ceux qui s’inquiètent des conditions d’un futur accord de paix, et notamment des garanties de sécurité assurées à l’Ukraine. Le renversement diplomatique de Washington, orchestré par Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche, fin janvier, leur fait craindre des concessions majeures : terres rares, énergie, reconstruction, etc.
« On est conscients de la pression mise par le président des États-Unis et d’un certain nombre d’entreprises. Ils veulent en capitalistes obtenir la mainmise sur des pans de l’économie ukrainienne, une partie des fonds nécessaires à la relance et des participations dans les secteurs clefs », constate Youri Samoilov, syndicaliste et dirigeant de Sotsialnyi Rukh (« mouvement social »).
Le milliardaire américain souhaite mener des négociations rapides pour mettre un terme à la guerre, qui a fait environ un million de pertes – tués, blessés et disparus –, et l’a détaillé lors d’un entretien téléphonique avec son homologue russe, Vladimir Poutine, le 12 février. « Trump reprend une bonne partie des discours des autorités russes. L’intégrité du territoire, la souveraineté, tout a disparu », s’inquiète Sveta.
Dix ans après les accords de Minsk 2, signés entre l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France, qui avaient permis de geler le conflit dans le Donbass, l’Europe peut-elle s’avérer être une solution ? Sur place, le scepticisme demeure. « Depuis une dizaine de jours, de nombreux discours laissent imaginer que Paris, Berlin et Londres tentent de maintenir leur solidarité. Nous attendons de le voir concrètement », estime Vladislav, qui s’inquiète d’une possible mobilisation. L’entrée dans l’Union européenne et une force de maintien de la paix apparaissent comme les principales revendications.
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