RECIT. Tour de France 2025 : de cannibale à défenseur prudent, comment Tadej Pogacar a construit son 4e sacre

On ne sait pas si Tadej Pogacar raffole de Joe Dassin, mais, sur les Champs-Elysées, le Slovène connaît la chanson. Pour la sixième fois en autant de participations, le champion du monde s’est en effet hissé sur le podium final du Tour de France, dimanche 27 juillet, à Paris. Deuxième en 2022 et 2023, Tadej Pogacar a remporté la Grande Boucle pour la quatrième fois, après ses succès de 2020, 2021 et 2024. Le tout sans jamais être inquiété au bout de trois semaines d’un Tour de France qu’il a maîtrisé de main de maître.

À 26 ans, le cannibale des temps modernes est en plein "âge d’or", estime Lilian Calmejane, consultant pour france.tv. "Depuis deux saisons, il est ultra-dominateur, mais ce n’est pas dit que ça dure encore deux ans. Il vit sûrement les plus belles années de sa carrière, je serai surpris qu’il fasse mieux". Difficile en effet d’imaginer un Tour de France aussi abouti que celui que vient de vivre le champion du monde, capable de tuer tout suspense avant la fin de la deuxième semaine, avant de se contenter d’un rôle inhabituel pour lui : celui de défenseur prudent et patient.

Un départ pied au plancher 

Tenant du titre et grandissime favori, Tadej Pogacar était sur toutes les lèvres dès le Grand Départ de Lille. Même si la haute montagne n’était prévue que pour la fin de la deuxième semaine du Tour, tout le monde craignait de voir le Slovène passer à l’attaque dans la première semaine de course, jalonnée d’étapes pour puncheurs. "C’est sûr que s’il a coché une étape, ça sera plus dur pour nous", imaginait ainsi Julian Alaphilippe avant le grand départ.

S’il n’a rien pu faire face à Mathieu van der Poel à Boulogne-sur-Mer (2e étape), Tadej Pogacar a levé les bras une première fois à Rouen (4e étape), avant de s’emparer du maillot jaune le lendemain sur le contre-la-montre de Caen, tout en assommant Jonas Vingegaard au passage. Mais porter la tunique de leader du général après cinq étapes seulement, c’était un peu trop tôt au goût du cannibale slovène. Sur les routes de la Suisse normande, il a ainsi laissé Mathieu van der Poel s’échapper pour se débarrasser du maillot jaune… avant de le reprendre le lendemain à Mûr-de-Bretagne (7e étape), au soir de sa deuxième victoire d’étape du Tour.

Après sept jours de course, l’homme au maillot arc-en-ciel en avait déjà fait voir de toutes les couleurs au peloton et aux suiveurs. Et ce, alors que la montagne ne faisait son apparition que le 14 juillet, en Auvergne, vers le Mont Dore. Jonas Vingegaard et ses coéquipiers de la Visma-Lease a bike ont essayé d’y faire flancher le Slovène. En vain. "Ils étaient un peu énervants avec leurs attaques, alors j’ai décidé d’en placer une moi-même, en mieux", a même piqué le Slovène à l’arrivée, après s’être débarrassé - une nouvelle fois - de son maillot jaune au profit de Ben Healy. De quoi se dispenser du protocole médiatique inhérent à la tunique de leader, avant le plus long transfert de cette 112e édition.

Le feu d'artifice pyrénéen

À l’entame des Pyrénées, et malgré une chute dans les rues de Toulouse au lendemain de la première journée de repos, Tadej Pogacar était déjà dans un fauteuil, avec une minute d’avance sur Remco Evenepoel et une minute et vingt secondes sur Jonas Vingegaard. Un fauteuil qu’il a transformé en trône, en deux coups de force dans les Pyrénées. Sur la 12e étape, le Slovène s’est envolé dès le pied de l’ascension finale d’Hautacam, pour s’offrir une troisième victoire d’étape sur cette 112e édition, là où il avait perdu le Tour 2022. Jonas Vingegaard était alors relégué à plus de trois minutes. 

Le lendemain, Tadej Pogacar a enfoncé le clou en remportant le contre-la-montre entre Loudenvielle et Peyragude, pour compter quatre minutes d’avance sur son dauphin danois. À moins d’une chute, ou d’une terrible fringale, la Grande Boucle 2025 était sans doute déjà pliée, même si la Visma-Lease a bike n’a jamais cessé d’attaquer, comme promis, mais en vain. La question n’était plus de savoir si Tadej Pogacar allait gagner le Tour, mais s’il allait battre le record de huit victoires sur une seule édition, codétenu par Charles Pélissier (1930),  Eddy Merckx (1970, 1974), et Freddy Maertens (1976).

Vainqueur à six reprises l’été dernier, le Slovène pouvait légitimement viser les arrivées à Superbagnères, au Mont Ventoux, à Courchevel et à la Plagne, et pourquoi pas le final parisien avec la triple ascension de Montmartre. Comme tout Cannibale, son appétit paraissait sans limite. "Mon équipe me paye pour gagner, pas pour laisser des victoires aux autres. Tu ne peux pas reculer quand une opportunité de gagner une étape se présente. Tu ne sais jamais quand sera ton dernier jour", prévenait-il au soir de la 13e étape. 

"J'ai toute une équipe derrière moi qui travaille tous les jours pour moi afin d'arriver au Tour en forme, et si je décidais de mon propre chef de délaisser des opportunités, ils ne seraient pas très contents."

Tadej Pogacar, après la 13e étape

Quitte à se mettre une partie du peloton à dos ? "A la fin de ma carrière, je ne parlerais probablement pas à 99 % du peloton. Je me concentrerai sur mes amis et ma famille", évacuait Tadej Pogacar. C’est pourtant à ce moment précis que la stratégie du Slovène a basculé : de cannibale impitoyable, toujours porté à l'attaque, il est passé à une posture défensive, prudente, presque contre-nature pour lui. Dans Superbagnères, au Ventoux, puis dans le col de la Loze, Tadej Pogacar a suivi sans sourciller les nombreuses attaques de Jonas Vingegaard, sans jouer les victoires d’étapes. Le champion du monde se contentait seulement d’une attaque symbolique dans les derniers mètres pour finir devant son rival danois.

Gestion en pente douce dans les Alpes

Le Mont Ventoux et le col de la Loze rappelaient pourtant chacun des mauvais souvenirs au Slovène, qui avait effacé ceux d’Hautacam quelques jours plus tôt. Mais pas cette fois. Pourquoi ce changement de braquet soudain ? Certains évoquaient un rhume, d’autres un sens politique pour ne pas brusquer le peloton, ou parce que toute ultra-domination réveille toujours les fantômes du dopage.

"Il est d’une telle facilité qu’on ne peut pas empêcher les gens de s’interroger, à cause du passé du cyclisme. On me demande souvent si c’est possible de faire le Tour de France en étant seulement à l’eau. Oui, c’est possible. On s'entraîne des années pour ça. J’ai des amis qui ont fait podium sur le Tour en étant à l’eau, j’en mets ma main à couper", tempère Yoann Offredo.

"La vérité c’est que Pogacar a une classe incroyable sur le vélo. On a l’impression d’assister à l’émergence d’un talent inédit depuis Bernard Hinault et Eddy Merckx."

Yoann Offredo

à franceinfo: sport

Toujours est-il que Tadej Pogacar a pu se contenter de gérer la dernière semaine du Tour de France. Un luxe qu’il s’est offert sur la première partie de course, mais qui ne lui a pas tant plu que ça. "Pogacar a besoin d’adversité, comme Van der Poel lui en donne sur les Classiques. Il paraît presque lassé par ce Tour de France. C’est lui le premier à s’ennuyer", imaginait ainsi Yoann Offredo, avant l’arrivée dans les Alpes. Une impression confirmée par le principal intéressé, au soir de sa deuxième place au col de la Loze (18e étape).

"Des fois je me demande ce que je fais encore là, c’est si long. Je compte les kilomètres jusqu’à Paris. J’ai hâte que ce soit terminé, que je puisse rentrer à la maison et faire autre chose dans ma vie."

Tadej Pogacar

après la 18e étape

"Mais quand on est dans ces grands cols avec tous ces gens qui vous encouragent, ça donne une motivation supplémentaire et on se rend compte que finalement, ce n’est pas si mal", concluait le Slovène, à la veille d'une dernière étape de montagne vers la Plagne. Une ambiance qu'il a retrouvée dans la rue Lepic, lors des trois ascensions de la butte Montmartre de la 21e et dernière étape dimanche, jouant les premiers rôles, accélérant à chaque fois pour tenter de devenir le deuxième maillot jaune de l'histoire à lever les bras sur les Champs-Elysées, après Bernard Hinault en 1979 et 1982. Mais il est tombé sur un Wout van Aert déchaîné

Tadej Pogacar n'a pas levé les bras une cinquième fois sur ce Tour, ni à La Plagne, ni sur les Champs. Un détail anecdotique pour le Slovène, sacré pour la 4e fois, et désormais à une longueur des légendes (Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault, Miguel Indurain) couronnées cinq fois sur la Grande Boucle.