Acier vert : ArcelorMittal a-t-il jamais voulu décarboner ses hauts-fourneaux ?

Dunkerque (Nord), envoyée spéciale.

Entre les cheminées des deux hauts-fourneaux de l’aciérie ArcelorMittal de Dunkerque, la scène prenait des allures de promesse pour l’avenir. Le 15 janvier 2024, l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’était rendu sur le site pour signer un contrat d’aide de l’État avec la promesse de 850 millions d’euros d’argent public pour verdir la production d’acier dans l’usine du Nord. Plus d’un an après, l’ambition de décarboner les hauts-fourneaux semble plus que jamais au point mort.

Le projet de remplacer l’un des deux gigantesques chaudrons par un four à arc électrique, moins gourmand en carbone, semble avoir été gelé et le géant de l’acier a même annoncé supprimer plus de 600 postes sur plusieurs sites en France.

La sidérurgie représente « environ 10 % des émissions mondiales »

Un pas dans la mauvaise direction que le groupe met sur le compte d’un « contexte de crise et d’incertitude réglementaire en Europe », et que les employés dénoncent vivement. « La société n’investit pas pour décarboner, mais nous dit que c’est de la faute des salariés si on ne parvient pas aux objectifs climatiques », déplore Aline, déléguée syndicale à l’aciérie de Dunkerque.

Si ArcelorMittal, deuxième producteur d’acier mondial, tergiverse, il est pourtant urgent de décarboner la production du métal, présent en quantité dans les produits du quotidien, de la voiture à la machine à laver en passant par les fondations des bâtiments. « Si on y inclut l’extraction du minerai, l’industrie sidérurgique représente jusqu’à 3,7 gigatonnes de CO2 fossile par an, soit environ 10 % des émissions mondiales de CO2 fossile », notait en janvier dernier une note d’analyse de France Stratégie.

Avec ses deux sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), ArcelorMittal contribue pour 16 % des émissions industrielles françaises, et même pour 2,8 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, tous secteurs confondus, explique un rapport de l’ONG Réseau action climat publié en juillet 2024.

Le recyclage des ferrailles, une solution imparfaite

Les institutions internationales ont bien saisi l’enjeu de la décarbonation énergétique de l’industrie sidérurgique pour réduire durablement les émissions. L’Agence internationale de l’énergie, dès 2021, publiait ses recommandations : l’industrie de l’acier devrait réduire ses émissions de 25 % d’ici à 2030 et de 92 % d’ici à 2050. Fin mars dernier, la Commission européenne a également présenté un plan pour soutenir et décarboner l’acier européen, alliant assouplissement des aides d’État et soutien aux contrats d’électricité à long terme entre les industriels et les fournisseurs.

Mais comment faire pour transformer l’acier, très émetteur, en acier vert ? Aujourd’hui, la méthode traditionnelle de production consiste à faire fondre dans les hauts-fourneaux le minerai de fer et du coke – du charbon métallurgique – pour obtenir le métal en fusion. Une première solution pourrait consister à augmenter les capacités de recyclage de la filière, en refondant les ferrailles issues d’objets métalliques en fin de vie. L’acier à recycler peut dans ce cas être refondu dans les fameux fours à arc électrique, qui ne consomment pas de charbon.

Si cette solution est prometteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle reste imparfaite, relève la note d’analyse de France Stratégie, en particulier parce que la quantité de ferrailles disponible ne permet pas de couvrir les besoins de production d’acier. « Il s’avère presque impossible de dessiner des scénarios « circularisant » totalement l’acier dès les prochaines décennies, même à la seule échelle de l’Europe », estiment les auteurs du document. Et d’ajouter : « La décarbonation de la production d’acier primaire est donc incontournable. »

Remplacer le charbon par de l’hydrogène

Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que, même en utilisant du minerai de fer, les groupes sidérurgiques vont devoir apprendre à se passer du charbon. Un chantier délicat, mais des alternatives existent déjà. Il est en effet possible de recourir à des fours électriques – et non des hauts-fourneaux – pour produire de l’acier à partir de minerai de fer, à condition que celui-ci ait été préréduit en amont.

Ce procédé chimique peut utiliser différentes sources d’énergie : du charbon, certes, mais aussi du gaz naturel, de l’électricité ou de l’hydrogène. C’est la technique vers laquelle s’est tournée l’entreprise GravitHy. Cette dernière a levé le mois dernier 60 millions d’euros pour implanter à Fos-sur-Mer un site de réduction du minerai de fer grâce à de l’hydrogène vert, produit notamment avec de l’énergie nucléaire. Le fer obtenu pourrait ensuite être fondu dans des fours électriques.

Les investissements nécessaires pour convertir le système productif de l’acier font toutefois freiner des quatre fers les géants du secteur. « Les coûts supplémentaires peuvent représenter 100 à 200 euros par tonne de CO2 évitée », explique France Stratégie.

800 millions d’investissement contre 12 milliards de dividendes

« Les fours électriques sont fort demandeurs en énergie, dont le prix a beaucoup augmenté ces dernières années. Parfois, l’hiver, en pleine période de grand froid, on nous demandait même d’arrêter la production pour que les foyers puissent se chauffer », se souvient Christophe Delhelle, salarié d’ArcelorMittal qui a commencé sa carrière auprès d’un four électrique. « Cette alternative a des avantages, mais aussi des inconvénients. »

Ces surcoûts expliquent-ils les réticences d’ArcelorMittal à agir dans le sens de la décarbonation ? Selon un rapport publié mardi 6 mai par l’ONG SteelWatch, le sidérurgiste se situe à rebours complet des objectifs climatiques. « Les investissements de l’entreprise continuent d’être dirigés en priorité vers des modes de production de l’acier dépendant du charbon », note ainsi la directrice de l’ONG, Caroline Ashley.

Selon les données du rapport, le groupe a investi uniquement 800 millions de dollars au niveau mondial pour décarboner sa production entre 2021-2024, soit seulement 2,5 % de ses bénéfices. Sur la même période au contraire, ses actionnaires ont perçu 12 milliards de dollars.

Les salariés du groupe sidérurgique craignent dès lors qu’au lieu de tenir ses engagements concernant l’acier vert l’entreprise n’opte pour une nouvelle technique d’économie : importer d’Inde ou du Brésil des brames, ces lingots de métal prêts à être laminés en bobine. « Si on importe ces brames, produits ailleurs et transportés jusqu’ici, il n’est pas dit que notre impact carbone diminue », tranche toutefois Laurent-Pierre Thueur, employé sur le site dunkerquois.

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