En route vers la dérégulation du système bancaire… et la crise financière
Il n’y a pas qu’en matière de tarifs douaniers que les décisions erratiques du président américain placent l’économie mondiale au bord du gouffre. Sa volonté affichée de délester le secteur bancaire des derniers garde-fous dont ce dernier avait été doté à la suite de la crise financière des subprimes, en 2008, jette elle aussi une ombre sur la stabilité économique. « Le risque est qu’on entre dans une nouvelle crise financière, extrêmement coûteuse pour les finances publiques, puisqu’elle devra être gérée par les États et les banques centrales, et dont l’addition reposera ensuite sur le contribuable », prévient Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à Paris-I Panthéon-Sorbonne et conseillère à l’Institut Veblen.
Pourquoi cette crainte ? Mi-mai, le Financial Times a indiqué que les autorités américaines se préparaient, comme attendu, à annoncer « l’une des plus importantes réductions des exigences en matière de capital des banques depuis plus d’une décennie ». Autrement dit, les plus gros établissements bancaires américains vont bientôt être autorisés à réduire le matelas de fonds propres dont ils doivent se doter depuis l’adoption de règles prudentielles instaurées sous l’administration Obama.
L’accord Bâle III
À l’époque, il avait été augmenté pour limiter les risques de faillite, dans le cadre d’une série de mesures prises par les États, échaudés par les centaines de milliards de dollars qu’ils avaient dû mettre sur la table pour sauver les banques. Lancée aux États-Unis avec le Dodd-Frank Act, la vague de régulation avait également permis de relancer un round de négociations sur le contrôle bancaire, qui avait abouti en 2010 à un léger renforcement des règles dans l’accord de Bâle III.
L’annonce de la prochaine réduction de la réserve de fonds propres des banques n’est pas une surprise. Donald Trump n’a jamais caché son hostilité à toute forme de régulation, dans le secteur bancaire comme ailleurs. Déjà, lors de son premier mandat, il avait pris des mesures pour affaiblir les règles prudentielles. « Il avait relevé le seuil à partir duquel les banques américaines sont considérées comme systémiques, passé de 50 milliards de dollars d’actifs au bilan à 250 milliards, ce qui a permis à près de la moitié des établissements concernés de repasser sous les radars », rappelle Jézabel Couppey-Soubeyran. Cette fois, outre la volonté de libérer des liquidités pour doper le crédit, la Maison-Blanche espère voir les banques américaines réinvestir dans sa dette publique en achetant des bons du trésor.
« Ma grande inquiétude aujourd’hui est que les législateurs et les régulateurs de l’Union européenne répondent à cette dernière vague de dérégulation américaine par encore plus de dilution de leurs propres règles, en s’écartant tellement du cadre de Bâle que celui-ci finisse par être lettre morte », s’alarme Christian M. Stiefmueller, conseiller principal auprès de l’organisation Finance Watch. Il observe d’ailleurs que le détricotage des règles prudentielles est déjà en route. La Commission européenne a par exemple décidé de rendre permanentes des mesures temporaires sur les liquidités (appelées NSFR pour Net Stable Funding Ratio) qui auraient dû déboucher sur des garanties plus solides prévues par Bâle III. « Vous pouvez d’ores et déjà constater que cette dynamique s’accélère. Une juridiction se retire d’une partie du cadre et les autres suivent le mouvement », résume l’ancien banquier.
Des règles déjà insuffisantes
Les règles communes négociées dans le cadre de Bâle III n’étaient pourtant pas très contraignantes. Si les Américains avaient adopté un système dit de « ratio de levier », qui consiste à calculer le matelas de sécurité nécessaire par rapport à la totalité des actifs de la banque, l’accord international se concentrait plus sur la logique du « ratio pondéré », défendue par l’UE. Celle-ci ne prend en compte que les fonds jugés « risqués » pour calculer les réserves de fonds propres. « Et comme les banques sont autorisées à évaluer la pondération des risques selon leur propre modèle interne, ce ratio est beaucoup plus facilement manipulable », rappelle Jézabel Couppey-Soubeyran. D’une façon générale, les règles prudentielles adoptées étaient jugées bien insuffisantes. « En Europe, le ratio de sécurité utilisé par les banques est de 3 %, et autour de 5 % aux États-Unis, mais des études ont montré qu’il aurait fallu qu’il soit à 15 % pour prémunir l’État contre le risque d’une nouvelle opération de sauvetage », explique Christian M. Stiefmueller.
Réclamé de longue date par le secteur bancaire, le détricotage des normes est soutenu et acclamé des deux côtés de l’Atlantique. Jamie Dimon, patron de JP Morgan, la plus grosse banque du monde, a ainsi raconté qu’à l’annonce de la victoire de Donald Trump, « c’était comme si les banquiers dansaient dans la rue. Ils ont connu des années et des années de réglementations successives, dont beaucoup ont entravé le crédit ». Côté banques européennes, les décisions américaines sont une aubaine pour appeler aussi à la fin des mesures de prudence, pourtant moins contraignantes que celles de leurs concurrentes états-uniennes.
« L’Europe est quand même assez largement influencée par les lobbies bancaires et financiers. Ils vont faire entendre leur petite musique qui est : » Vous ne vous rendez pas compte, on subit une concurrence déloyale des banques américaines », et les régulateurs vont lâcher la bride », analyse Jézabel Couppey-Soubeyran. Ce récit a d’autant plus de poids en France, dit-elle, que « beaucoup de nos gouvernants viennent du secteur bancaire et financier, avec des allers-retours fréquents qui permettent ce mélange de culture ».
L’argument commun aux dirigeants financiers et politiques pour justifier la mise à bas des règles prudentielles, c’est qu’avec les mains plus libres, les banques vont pouvoir financer les entreprises et ainsi booster la croissance en berne. « Argument fallacieux, estime pourtant Jézabel Couppey-Soubeyran. Depuis plusieurs décennies, les banques européennes ont changé de modèle d’activité. Elles se sont largement tournées vers des activités de marché et du crédit immobilier, en même temps qu’elles ont largement délaissé le crédit aux entreprises, notamment à celles qui s’engagent dans la transition écologique. »
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