Qui est Peter Navarro, le « tsar des droits de douane » états-unien ?
Il y a un an à peine, Peter Navarro purgeait sa peine dans un établissement de sécurité minimale de Floride. Il joue aujourd’hui aux apprentis sorciers depuis le saint des saints du pouvoir états-unien. Rare rescapé du premier mandat de Donald Trump, le conseiller économique de 75 ans avait écopé de quatre mois de prison, début 2024, pour entrave à l’enquête du Congrès après l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, par les partisans du milliardaire qui tentaient d’empêcher la certification du président élu Joe Biden.
Libéré en pleine campagne présidentielle, « le tsar des droits de douane » est quasiment accueilli en martyr à la convention du Parti républicain à Milwaukee, en juillet dernier. Tout sourire, il se lance dans une diatribe devenue coutumière contre « l’État profond » : « Ce matin, je suis sorti d’une prison fédérale à Miami. J’ai un message très simple à vous transmettre : s’ils peuvent venir pour moi, s’ils peuvent venir pour Donald Trump, soyez prudents – ils viendront pour vous. » Une posture qui l’élève au rang de combattant fidèle de la cause Maga (Make America Great Again, le slogan de Donald Trump).
Il a soufflé l’idée des droits de douane au président
Peter Navarro est loyal et c’est sans doute là sa première qualité aux yeux de Trump qu’il ne contredit jamais. « Il n’a jamais trahi et a maintenu que les élections de 2020 avaient été truquées. La personnalité de Trump étant ce qu’elle est, les gens loyaux sont favorisés », relève, pour « l’Humanité magazine », Sébastien Roux, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du survivalisme américain. Peter Navarro a un autre atout dans sa manche : celui d’être particulièrement apprécié de la base Maga. « Elle voue un culte à la figure du chef. En ce sens, elle loue Navarro pour sa loyauté et lui apporte un profond soutien, ce dont ne peuvent pas se targuer tous les membres du cabinet. Trump doit y être assez sensible », poursuit-il.
Parfaitement intégré dans l’écosystème trumpien, l’homme, qui a soufflé l’idée des droits de douane au président, naît dans le Massachusetts. Il grandit entre la Floride et le Maryland dans un foyer modeste. Après le divorce de ses parents, Peter Navarro est élevé par sa mère secrétaire et obtient une bourse d’études à l’université Tufts avant de passer trois ans dans le Corps des volontaires de la paix des États-Unis, en Thaïlande. De retour sur sa terre natale, il décroche une maîtrise en administration publique dans la très prestigieuse Harvard, puis un doctorat en économie.
Son titre de professeur d’économie et de politique publique à l’université de Californie, sur le campus d’Irvine, achève de faire de lui un pur transfuge de classe, comme J. D. Vance, le vice-président. Pour formuler sa doctrine économique, il continue néanmoins de s’appuyer sur la situation des ouvriers. Il joue à cet égard un rôle central pour Donald Trump dont la stratégie s’est largement construite autour de la colère de ceux qui ont la hantise du déclassement.
Admirateur d’Hillary Clinton
C’est pourtant dans les rangs des démocrates qu’il fait ses premières armes. Il se présente en vain en 1992 à la mairie de San Diego mais est alors décrit, par certains commentateurs, comme le « Bernie Sanders de San Diego ». Pour abusive qu’elle soit, l’assertion est liée à sa demande d’une plus forte imposition pour les riches.
Admirateur d’Hillary Clinton, attaché aux questions environnementales avant l’heure, c’est le déclin du tissu industriel qui joue le rôle de catalyseur dans son retournement politique. En 2000, les États-Unis comptent plus de 17 millions de travailleurs en usine mais la décennie suivante est meurtrière : près de 6 millions d’emplois disparaissent.
L’économiste établit un lien entre les faibles perspectives d’emploi et l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, qui a accéléré la délocalisation des chaînes de production vers le géant asiatique. « Un emploi dans l’industrie manufacturière a intrinsèquement plus de pouvoir pour créer de la richesse, parce qu’il est en moyenne mieux rémunéré (…) Les villes se développent ensuite autour de ces emplois, avec des commerces de détail, des avocats, des comptables, des restaurants et des cinémas. Lorsque l’on perd une usine dans une petite ou moyenne ville du Midwest, c’est comme un trou noir. Et toute cette communauté est aspirée dans le trou noir et devient une communauté de désespoir, de criminalité et de délabrement plutôt qu’une communauté prospère », explique-t-il.
Il va jusqu’à inventer un expert, « Ron Vara »
En 2006, il publie un livre remarqué sur cette question, « les Prochaines Guerres de Chine » (non traduit), où il pose les premiers jalons du protectionnisme. Et va jusqu’à inventer un expert « Ron Vara » – une anagramme – qu’il cite régulièrement pour crédibiliser son propos… Mais c’est en 2011 qu’il atteint le Graal. Son ouvrage « la Mort par la Chine : la confrontation avec le dragon » fait l’objet d’une adaptation en documentaire par l’acteur Martin Sheen, connu pour ses engagements antiguerres et écologistes.
Le film attire l’attention de Donald Trump qui le conseille à tous ses proches. Peter Navarro intègre officiellement l’équipe de ce dernier lors de la première campagne de 2016 en tant que conseiller économique et commercial. L’idée de droits de douane de 300 milliards de dollars de marchandises chinoises, c’est lui.
Il justifie ainsi son retournement de veste : « Le Parti démocrate traditionnel ressemblait beaucoup à Maga, en ce sens qu’il était le parti de la classe ouvrière, des cols-bleus de l’industrie manufacturière américaine. L’objectif de ce parti, du moins ce qu’il disait être, était d’augmenter les salaires réels et la prospérité des cols-bleus. » Dans son sillage, une frange de la gauche cède aux sirènes faussement anti-libre-échangistes de Donald Trump.
Comme lors du premier mandat, la politique de Navarro crée des dissensions au sein de l’administration. Les partisans d’une politique davantage axée sur le marché libre critiquent sa stratégie radicale et l’idée selon laquelle les « tariffs » stimuleraient la production nationale et la réimplantation de l’industrie. Elon Musk le traite de « crétin », Peter Navarro affirme, lui, que le patron de Tesla n’est « pas un fabricant de voitures », mais uniquement « un assembleur ».
Le conseiller économique a pour lui d’être parvenu à inscrire cette stratégie au cœur du Projet 2025, le plan d’action conservateur rédigé par la Heritage Foundation, qui sert aujourd’hui de mantra au président. « Le tsar des droits de douane » n’a jamais aussi bien porté son nom.
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