Le Danemark veut louer des places de prison au Kosovo pour les migrants soumis à un ordre d’expulsion

Ce n’est pas Cayenne, mais il y a tout de même quelque chose de profondément inquiétant dans l’actuelle dérive européenne sur l’immigration et l’application du droit pénal. Pour lutter contre la surpopulation carcérale et le manque d’effectif dans l’administration pénitentiaire, le Danemark est en passe de louer 300 places à Gnjilane (Kosovo), à quelque 2 000 kilomètres de ses frontières. L’accord concerne des migrants soumis à un ordre d’expulsion parce qu’ils ont enfreint la loi. Ils sont le plus souvent condamnés pour des vols, de la contrefaçon ou la détention de substances illicites. Les détenus finiront ainsi leur peine au Kosovo avant d’être expulsés vers leurs pays l’origine, sans que ceux-ci garantissent pour autant de jouer le jeu et d’accueillir les déboutés.

En discussion depuis 2021, la location de places de prison pendant dix ans pour la somme de 200 millions d’euros a été actée par un accord de coopération avec le gouvernement kosovar en février dernier. « Cela envoie un signal clair aux criminels étrangers : leur avenir n’est pas au Danemark et ils ne devraient pas purger leur peine ici », se félicitait le ministre danois de la Justice, Peter Hummelgaard, lors du vote au Parlement kosovar en mai 2024. Qu’importe que le dispositif prive les migrants de leur droit à faire appel en cas d’expulsion.

Greenwashing, surpopulation, pratiques dégradantes et inhumaines

L’accord signé avec le Kosovo prévoit qu’une partie de la somme soit allouée à l’amélioration des institutions pénitentiaires du pays et à des projets d’énergie renouvelable. Malgré cette touche de vert, le comité contre la torture de l’ONU, qui a à plusieurs reprises alerté sur les pratiques dégradantes et inhumaines dans les prisons du Kosovo, a déjà exprimé des doutes sur « la manière dont le Danemark entend respecter ses obligations au titre de la convention dans des prisons situées en dehors de son territoire ». 

Des experts kosovars soulignent en outre que les prisons du pays connaissent déjà une surpopulation et ne sauraient accueillir dignement les condamnés d’autres pays. « Nous avons connaissance d’un grand nombre de blessures auto-infligées. Il y a des affrontements en prison et aussi des décès. Jusqu’à récemment, les conditions dans les prisons kosovares n’étaient généralement pas conformes aux normes internationales ou européennes et, au cours des cinq dernières années, seules trois nouvelles prisons ont été construites conformément à ces normes », note Fatmire Haliti du Centre kosovar de réhabilitation pour les victimes de tortures.

La Suède, les Pays-Bas, la Belgique et la France pas insensibles à l’idée

Le Danemark et son gouvernement centriste ne sont pas les seuls à envisager la déportation de certains prisonniers à l’étranger. Dans une interview au Journal du dimanche, le 22 mars, le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, estimait qu’il n’y avait « pour le moment aucun contre-avis juridique » à la sous-traitance de l’incarcération. C’est également le cas de la Suède, qui a formé une commission d’experts chargée de la prospection « au sein de l’UE ou dans l’espace Schengen », et des Pays-Bas, qui ne cachent pas réfléchir à la question. L’Estonie a déjà fait acte de candidature et établit la location mensuelle d’une cellule à 3 500 euros.

Début avril, la ministre belge de la Justice, Annelies Verlinden, avouait également être séduite par l’idée. « Ils n’ont pas leur place dans les prisons belges », tempêtait-elle auprès du quotidien néerlandophone Het Belang van Limburg (l’intérêt du Limbourg), citant le Kosovo parmi les options. Si la proposition figure dans le programme de la Nouvelle Alliance flamande (N-VA), la formation du premier ministre nationaliste, Bart De Wever, elle n’est pas sans poser de sérieuses questions de droit. Car, si la Belgique a été le premier pays de l’Union européenne (UE) à transférer ses détenus vers un pays tiers (la prison de Tilburg aux Pays-Bas), elle le faisait jusqu’alors au sein de l’espace communautaire.

Depuis 2008, une décision de l’UE acte en effet le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires prononçant une peine de prison. Le texte autorise ainsi un pays membre à exécuter une peine de prison prononcée dans un autre pays à l’encontre d’une personne résidant sur son territoire. Le Kosovo, qui a déposé une demande d’adhésion à l’UE en décembre 2022, pourrait voir de manière illusoire dans cette sous-traitance un moyen d’accélérer l’approbation de son dossier, dans une Europe qui tend de plus en plus à faire de la migration une question sécuritaire.

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