Exclusif. Antonio Costa : "Le seul dictateur, c'est Poutine, pas Zelensky ou Trump"

Le président du Conseil européen Antonio Costa réitère le soutien inconditionnel des Vingt-Sept aux Ukrainiens : "Notre priorité est de renforcer la position de l'Ukraine. Nous étions à ses côtés dès le premier jour de la guerre et nous le resterons pendant la guerre et pendant les négociations." "L'agresseur c'est la Russie, la victime c'est l'Ukraine", ajoute-t-il. Se projetant dans l’après-guerre, il soutient l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne (UE) : "Nous soutenons l’Ukraine dans son avenir, comme État membre de l’UE."

"La paix ne peut pas être seulement un cessez-le-feu"

Alors que les États-Unis ont entamé des discussions avec la Russie, en l’absence des Ukrainiens et des Européens, afin de mettre fin à la guerre, Antonio Costa refuse de parler de "négociations". "Il y a des conversations bilatérales entre les États-Unis et la Russie, ce qui est positif si cela mène à de vraies négociations", explique-t-il. Selon lui, afin de parvenir à des "négociations crédibles", l’Ukraine doit prendre part à ces discussions : "Nous parlerons de négociations seulement quand les belligérants, leurs représentants ou un médiateur, acceptés par les deux parties, feront partie de la discussion."

Il jette les bases de futures négociations : "Cette paix ne peut pas être seulement un cessez-le-feu, car il faut s’assurer que la Russie ne va pas profiter de celui-ci pour revenir plus forte et essayer, une fois encore, de prendre le contrôle du territoire de l'Ukraine." Il accuse la Russie de remettre en cause l’ordre mondial établi après la Seconde Guerre mondiale : "Si nous acceptons qu'un État, qui est par ailleurs membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, puisse ne pas respecter la loi internationale, nous donnons le feu vert à ce que tout le monde puisse imposer la loi du plus fort." Se préparant aux négociations, et s’il explique qu’il ne sera pas nommé négociateur des Vingt-Sept, Antonio Costa confirme qu’il y aura bien "un envoyé spécial de l'UE" : "La conversation est en cours. Je n'ai pas encore parlé avec tous les dirigeants européens, mais je le ferai dans les prochains jours."

Le président américain Donald Trump a récemment qualifié Volodymyr Zelensky de "dictateur" et a appelé à de nouvelles élections dans le pays. "Le seul dictateur, c’est Monsieur Poutine. Donald Trump et Volodymyr Zelensky sont des présidents élus dans le respect de leurs constitutions", rétorque Antonio Costa. "J’ai parlé avec tous les partis politiques ukrainiens et ils m'ont tous dit que ce n'est pas le moment de faire des élections car leur priorité est de se défendre de l'invasion russe, de récupérer leur souveraineté et d'assurer l'intégrité du territoire", détaille-t-il. "Il faut travailler en toute confiance et en toute solidarité avec le président Zelensky qui est le président légitime élu démocratiquement par les Ukrainiens."

"La Russie est une menace globale pour l’Europe"

Face à une menace russe grandissante, les Européens tentent de s’organiser et de renforcer leur défense. "La Russie est une menace globale pour l’Europe et pour toute la sécurité internationale", prévient Antonio Costa. Selon le président du Conseil, la Russie "contrôle la Biélorussie et représente une menace en particulier pour les pays baltes". "La Russie a des militaires dans une partie de la Moldavie et de la Géorgie", poursuit-il. "Nous ne pouvons pas séparer la négociation de la paix en Ukraine de la sécurité européenne."

Antonio Costa se félicite des initiatives et de l’engagement d’Emmanuel Macron : "La France a une position clé". Les Européens devront donner des garanties de sécurité à l’Ukraine : "Ce qui était la façon la plus claire, la moins coûteuse de rassurer l'Ukraine vis-à-vis de son avenir, c’était l’adhésion à l’Otan. Maintenant [que les Américains s’y opposent], il faut trouver des alternatives." Les Vingt-Sept sont pourtant encore divisés face à ces garanties et à la réorganisation de leur sécurité. "Il est important de savoir quelle est la disponibilité de chaque État dans ce cadre de paix et afin d’assurer la sécurité de l’Europe", tempère Antonio Costa. "Il n'y a pas de divergences mais des disponibilités diversifiées", ajoute-t-il décrivant les discussions ayant eu lieu entre les pays membres. Il affirme que tous les pays sont ouverts à la discussion et qu’ils visent "une paix qui soit totale, juste et durable pour l'Ukraine". 

En guise d’exemple, l’Union européenne a approuvé un seizième train de sanctions à l’encontre du pétrole russe. "Nous avons réussi à obtenir l'unanimité pour approuver ces sanctions. Ces trois dernières années, nous sommes toujours arrivés à la même décision : soutenir l'Ukraine et condamner la Russie", explique le président du Conseil.

"L’UE doit être confiante, et agir de façon responsable, prévisible et crédible"

Autre sujet qui enflamme les relations transatlantiques : la menace de Donald Trump d’augmenter les droits de douane des produits européens, en instaurant des "droits de douane réciproques". Certains pays européens dont les dirigeants sont proches du président américain pourraient être tentés de mettre en place des accords bilatéraux avec les États-Unis. "Nous sommes des amis, des partenaires et des alliés des États-Unis. Nous ne voulons aucun conflit commercial et souhaitons gérer ces dossiers comme le font des amis", déclare le président du Conseil. Alors que les Américains connaissent un déficit commercial au niveau des biens mais un surplus commercial en ce qui concerne les services, Antonio Costa prône la discussion pour trouver des terrains d’entente. 

Elon Musk, membre de l’administration Trump, a affirmé son soutien à l’AfD, le parti d’extrême droite allemand qui devrait réaliser un score record aux élections législatives du 23 février. "Ceux qui croyaient que l'extrême droite en Europe était uniquement soutenue par la Russie se sont trompés. Elle est soutenue par toute une internationale de l'extrême droite, notamment aux États-Unis", prévient Antonio Costa, qui reprend le terme d’"internationale réactionnaire" du président français. Il se veut tout de même rassurant : "Les démocraties européennes sont fortes."

Face à ces diverses menaces, le président du Conseil affirme que l’UE "doit se comporter et agir d'une façon responsable, prévisible et crédible". "Je ne vais pas organiser un Conseil européen extraordinaire chaque fois que quelqu’un tweete !", explique-t-il. Antonio Costa souhaite rassurer sur le rôle de l’UE et ses relations avec le reste du monde : "Je crois que les Européens ont toutes les raisons d’être confiants. Nous voulons garder nos alliés et même renforcer nos alliances." "Nous voulons faire alliance avec ceux qui soutiennent la légalité internationale, que ce soit les États-Unis, le Canada, plusieurs pays d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie. C'est une question qui concerne tout le monde, c'est une question de stabilité de l'ordre international", conclut-il.

Une émission préparée par Perrine Desplats, Isabelle Romero, Luke Brown et Oihana Almandoz