Dmitri Medvedev vs Donald Trump : les outrances du provocateur en chef de Poutine
Il est l’homme qui a poussé Donald Trump à annoncer, vendredi 1er août, l’envoi des sous-marins nucléaires dans des "zones appropriées" pas trop loin de la Russie.
L’ex-président Dmitri Medvedev apparaît surtout comme le responsable russe qui pousse le bouchon de la provocation le plus loin depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Une métamorphose d’envergure pour un politicien qui, il y a dix ans, incarnait le visage libéral de la Russie.
Coutumier des sorties outrancières
"Les mots ont un sens et peuvent avoir des conséquences", a averti Donald Trump sur son réseau Truth Social pour justifier sa décision de déployer deux submersibles. En l’occurrence, Dmitri Medvedev s’était emporté à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux contre le nouvel ultimatum de dix jours imposé par Washington à Moscou pour mettre un terme à la guerre en Ukraine. Sur X, l’ex-président russe avait évoqué la perspective d’une Troisième Guerre mondiale si Donald Trump s’obstinait à vouloir forcer la main à Vladimir Poutine. Sur Telegram, Dmitri Medvedev a agité la menace de l’arme nucléaire.

Trop, c’est trop, semble avoir estimé Donald Trump. Pourtant, "mordre à l’hameçon des provocations de Dmitri Medvedev peut étonner", souligne Stephen Hall, spécialiste de la politique russe à l’université de Bath. "Si on veut savoir ce que Vladimir Poutine pense et surtout ce qu’il veut communiquer au monde, ce n’est pas Dmitri Medvedev qu’il faut écouter, mais plutôt Sergueï Lavrov [ministre des Affaires étrangères]", confirme Jenny Mathers, spécialiste des questions de sécurité en Russie à l’université d’Aberystwyth.
L’ex-président russe (2008 à 2012) est devenu coutumier des sorties outrancières ces dernières années. Son compte Telegram, suivi par plus d’un million d’internautes, regorge de provocations à la limite de l’insulte. Ursula von der Leyen, la présidente allemande de la Commission européenne, devient la "grand-mère hystérique" sous la plume de Dmitri Medvedev. La France est accusée d’être nostalgique du régime de Vichy, tandis que les pays baltes sont tout simplement qualifiés de minables. Et tout ça dans un seul message, vu par plus de trois millions d’utilisateurs de Telegram.
Pourquoi tant de haine ? Dmitri Medvedev s’en vante d’ailleurs, assurant que "la haine est une arme formidable". "Ce qui est intéressant, c’est qu’il a toujours incarné une version plus extrême du visage que Vladimir Poutine voulait montrer au monde", souligne Jenny Mathers.
Les deux visages de Dmitri Medvedev
En 2008, lorsque Dmitri Medvedev accède à la magistrature suprême, l’heure est au rapprochement avec les États-Unis de Barack Obama voulu par Vladimir Poutine. "Il est présenté comme un politicien modéré et un libéral capable d’être en phase avec l’Occident parce qu’il sait utiliser Twitter et un iPad", résume Stephen Hall.
Aux yeux de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev présentait aussi un autre avantage : "Il n’appartenait pas au cercle des 'silovikis', ces hommes de l’appareil sécuritaire d’État, et sa formation de juriste en faisait un bon candidat pour incarner une Russie plus moderne", poursuit Stephen Hall.
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Le retour de Vladimir Poutine à la tête de l’État en 2012 va marquer le début d’un virage plus autoritaire et impérialiste pour le pouvoir russe. "Depuis, Dmitri Medvedev tient des propos bien plus extrémistes que ce que le président russe se permettrait", souligne Jenny Mathers.
Pour l’ex-président, "c’est en partie une question de survie politique", assure Stephen Hall. La carrière de Dmitri Medvedev a suivi une courbe descendante depuis 2012. Il est passé de la plus haute marche du pouvoir à Premier ministre pour finir au poste de simple vice-président du Conseil de sécurité. "Il n’est même pas à la tête de cette entité… Mais c’est au moins un poste officiel qui lui permet de s’exprimer sur ce qui touche à la sécurité nationale, c’est-à-dire à peu près tout", estime Jenny Mathers.
Il n’empêche : "À ce poste, il ne joue pas un rôle déterminant. Le vice-président doit probablement pouvoir signer des documents, organiser des réunions et servir le thé à des responsables comme Nikolaï Patrouchev et Sergueï Choïgou, les deux secrétaires généraux du Conseil de sécurité", note Stephen Hall.
Provoquer, c'est gagner ?
En criant plus fort que les autres, Dmitri Medvedev espère prouver qu’il existe et qu’il peut être utile. Comment ? "Il occupe un peu le rôle de feu Vladimir Jirinovski, l’ex-leader ultra-nationaliste mort en 2022. Comme ce dernier, il fait des propositions et des déclarations extrémistes et provocatrices, ce qui permet au pouvoir russe de comprendre ce qui peut passer auprès de l’opinion publique", estime Stephen Hall.
Sur la scène internationale, le Kremlin peut laisser son provocateur en chef agir "sans trop de risque. Après tout, il n’occupe pas un poste très important. Donc si l’une de ses déclarations va trop loin, Vladimir Poutine peut toujours dire que cela ne reflète pas la position officielle du pouvoir russe", souligne Jenny Mathers. En attendant la provocation de trop, le Kremlin peut aussi espérer que les outrances à répétition de Dmitri Medvedev pourront pousser un pays occidental à limiter son soutien à l’Ukraine, juste au cas où… "Moscou sait que les démocraties occidentales ne peuvent pas complètement ignorer les menaces de Dmitri Medvedev, même si elles savent que dans 99 % des cas ce sont juste des fanfaronnades", note Stephen Hall.
Est-ce que Dmitri Medvedev a fini par franchir le Rubicon avec Donald Trump ? Pas sûr d’après les experts interrogés par France 24. Le président américain menaçait depuis un certain temps de hausser le ton et d’agir plus concrètement contre la Russie. Mais "il pouvait difficilement attaquer frontalement Vladimir Poutine avec qui Washington doit négocier pour obtenir un arrêt de la guerre en Ukraine", souligne Stephen Hall.
Dmitri Medvedev apparaissait, à ce titre, comme la victime expiatoire par excellence de l’ire trumpienne. "Il a l’avantage d’être un ancien président, donc il peut apparaître comme un interlocuteur valable pour un échange diplomatique par réseaux sociaux interposés pour Donald Trump", conclut Stephen Hall.