« Unité ! » : la Fête de l’Humanité, la gauche rappelée à l’union

Quand on lui demande de parler de la Fête, ses mots s’enchaînent, se percutent. « Convivialité », « copains », « confrontation »… Mais lorsque vient la question du contexte politique, entre tensions à gauche et montée de l’extrême droite, c’est un cri du cœur qui vient : « Il faut une alternative collective ! »

Frédéric Le Merrer, 55 ans, cheminot à la retraite et militant PCF, est fidèle au rendez-vous depuis trente-cinq éditions. Ses yeux sont fatigués, ses traits tirés. C’est le lot des piliers de l’événement, qui tiennent les stands : on dort peu. Mais son sourire l’emporte. « C’est le plus bel endroit du monde, clame-t-il pour justifier son dévouement. Les gens se parlent, se rencontrent, les clivages se transforment en échange, on traverse les différences et on les abolit. On raccourcit les distances. » En particulier entre les forces de gauche, nullement irréconciliables.

« Si nous persistons à nous diviser, nous sommes inconséquents »

Devant le stand de la fédération PCF du Gard, un sosie de Karl Marx, barbe blanche, costume gris, joue au crieur public. « Les individus ne constituent une classe que pour autant qu’ils ont à soutenir une lutte commune contre une autre classe ! » hurle-t-il. Sinon, poursuit-il, « ils s’affrontent en ennemis dans la concurrence ».

C’est justement tout le propos d’Églantine, 23 ans, « militante sans carte » pour l’union, « fatiguée des divisions pour une virgule ». En trois jours, celle-ci a assisté à toutes les tables rondes capables de « mettre du liant ». « J’ai l’impression qu’on a retrouvé un souffle ce week-end, juge-t-elle. Ces dernières semaines, les médias ne pointaient que les divisions. Mais maintenant, « l’unité » reprend de la force. »

Un retour en grâce constaté tout au long du week-end. De toutes les allées émane l’envie d’avancer ensemble. Et pour cause, l’année dernière, au même endroit, les membres du Nouveau Front populaire (NFP) se faisaient acclamer pour leur capacité à faire front commun contre le RN. Un an plus tard, ce sont leurs divergences stratégiques qui les distinguent. Faut-il revendiquer Matignon ? Négocier avec la Macronie ? Réclamer une dissolution ? Pousser à la démission du président de la République ?

Sur la scène de l’Agora ce samedi, plusieurs représentants des formations de gauche sont invités à débattre de leurs analyses et positions, alors que la France replonge dans la crise de régime. Au micro, le député insoumis Hadrien Clouet s’adresse en particulier au premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, présent à ses côtés. « Prenons garde à ne surtout pas glisser dans l’union bourgeoise et au risque de fusion avec un macronisme pourrissant », lui dit-il, promettant par là même une candidature insoumise à l’élection présidentielle, quoi qu’il arrive.

Une sortie prématurée, aux yeux du public, qui hue comme un rappel à l’ordre et répète en boucle un mot simple : « Unité ! » Le désir de voir la gauche avancer ensemble ne s’est pas érodé, relayé par François Ruffin et Marine Tondelier.

« Arrêtons de fabriquer deux projets, abonde Stéphane Peu, chef des députés communistes à l’Assemblée. J’ai une date à l’esprit : le 12 février 1934. Deux grandes manifestations devaient se tenir. Celle des socialistes d’un côté et des communistes de l’autre. Et sous la pression du peuple, les deux manifestations ont convergé et cela a donné les prémices du Front populaire qui a gagné en 1936. Si nous persistons à nous diviser, nous sommes inconséquents ! »

« Qui, ici, veut laisser le pouvoir à la Macronie ? »

Plus tard dans l’après-midi, le fondateur de la France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, lors de son meeting, rend hommage aux communistes pour la tenue de la Fête et nombre de combats communs mais n’épargne pas les socialistes, coupables, selon lui, d’avoir « capitulé » en rompant avec le NFP.

« Cette alliance a été intégralement détruite par ceux qui avaient signé le papier ! », s’exclame-t-il, avant de renouveler une « proposition d’offre fédérative » : une « coalition sur la base du programme du NFP à tous ceux qui le veulent pour ouvrir dès maintenant la discussion ».

Un appel clair aux communistes et aux écologistes qu’ils saluent pour avoir « voté toutes les motions de censure, comme les insoumis ». Une façon pour lui de tordre le cou à l’idée qu’il y aurait « toute la gauche d’un côté et les galeux de LFI de l’autre ». « Il y a deux blocs : celui de la rupture et celui de l’accompagnement », insiste-t-il, visiblement soucieux de mettre le PS à l’index. « Nos désaccords sont une richesse », observait un peu plus tôt Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, plaidant pour sa part pour un « nouvel accord à gauche » avec des candidatures à négocier par département, sans exclure les socialistes.

Visé par LFI, un temps hué par une partie du public de l’Agora… Olivier Faure a tenté tout au long du week-end d’éteindre les reproches, notamment sur sa volonté d’accéder à Matignon. « J’aimerais comprendre, dit-il aux plus véhéments. Qui, ici, n’est pas prêt à gouverner ? Qui, ici, veut laisser le pouvoir à la Macronie ? Qui n’est pas prêt à mettre en place la taxe Zucman ou à abroger la réforme des retraites ? Nous n’avons pas le temps d’attendre. La gauche n’a jamais gagné que quand elle a gouverné. »

Se retrouver pour mener bataille

« Inquiète » de certaines divisions, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, confie à ses militants réunis dans leur stand, sa lassitude de voir « trop de temps d’antenne » occupé « pour nous critiquer entre nous sans parler des autres ». « S’il y a une dissolution, il faudra regarder les électeurs droit dans les yeux et leur dire : « Nous partons divisés car nous avons préféré ce petit jeu à l’union », avertit-elle. Dans ce cas, les électeurs nous sanctionneront et ils auront raison. »

Cette pression populaire observée lors de la Fête peut-elle marquer un tournant dans les relations entre les différentes forces de gauche ? Michèle, 72 ans, retraitée de La Poste, est fille de socialistes. Ex-militante communiste avant de rallier les rives insoumises et de s’en éloigner pour le seul engagement associatif, elle se dit agacée des « tacles entre amis ».

Mais elle l’espère : ses anciens amours se retrouveront rapidement. « Regardez ce monde dans les allées, s’enthousiasme-t-elle en agitant son keffieh rouge. Le peuple de gauche veut un refuge. Il veut se retrouver pour mener bataille. » Il veut l’union, la rupture et le pouvoir. Tout, tout de suite.

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