Damien Iozzia, cheminot et passeur de culture

« Je ne suis pas directeur de théâtre. Je suis un militant syndical. » Damien Iozzia est pourtant bien celui qui dirige l’association du Théâtre Traversière : un espace de création et de diffusion théâtrale, à quelques pas de la gare de Lyon, entièrement géré par les cheminots d’Île-de-France.

« La culture est un vecteur d’émancipation. Certaines œuvres sociales font le choix de donner aux salariés des chèques-cadeaux. Nous, on préfère créer du lien, explique le quadragénaire dans le hall du lieu de spectacle. Ça fait partie de notre héritage communiste et des combats menés au sein de la SNCF pour que les cheminots aient tous accès à un repas complet, à des vacances et à la culture. » En tant que fils de cheminot, Damien a lui-même bénéficié de cet engagement des ouvriers du rail pour une culture émancipatrice et populaire. « C’est grâce au comité d’entreprise que j’ai pu voir des spectacles, enfant, et que j’ai pu partir en vacances », confie-t-il.

Mobilisation des cheminots et des élus communistes

Embauché en 2000 comme guichetier, il n’a pas encore 20 ans lorsqu’il commence à travailler à la SNCF. Très vite il se lance dans le combat syndical tout en consacrant du temps à sa passion pour la musique. « Entre 2003 et 2015, j’ai accompagné plusieurs groupes punk dans leurs tournées, raconte-t-il. J’étais un peu leur tourneur, leur roadie, leur nounou… » Les choses se calment à la naissance de son fils.

Damien évolue professionnellement au sein de l’entreprise malgré les bâtons dans les roues que lui met régulièrement la direction alors qu’il prend de plus en plus de responsabilités syndicales. En 2024, on lui propose la présidence de l’association gérante du Théâtre Traversière. La structure créée en 2017 a permis de faire renaître le lieu de culture alors que la SNCF avait décidé de le mettre en vente quelques années plus tôt. « Il a fallu la mobilisation des cheminots, des syndicats et d’élus politiques, notamment communistes, pour que la SNCF revienne sur sa décision », explique Damien.

Le Théâtre Traversière a ouvert en 1927 lors de la construction du siège administratif de la Compagnie des chemins de fer du PLM. Il est ensuite géré, de 1938 à 1985, par la SNCF. Puis, en application de la loi Auroux, il est confié en 1986 au comité d’établissement régional de Paris Sud-Est.

Au milieu des années 2010, en même temps que la SNCF cherche à se débarrasser du lieu, la filialisation de l’entreprise bat son plein et les ordonnances Macron viennent casser la structuration des œuvres sociales cheminotes. Naissent alors les comités des activités sociales interentreprises cheminots (Casi cheminots).

Ce sont aujourd’hui cinq Casi d’Île-de-France qui soutiennent et surtout financent le Théâtre Traversière. À la suite de la crise du Covid, le lieu ferme un temps pour rouvrir ses portes en 2024 avec une équipe renouvelée. « Trois personnes sont salariées de l’association, décrit Damien. Une directrice de la programmation, un directeur technique, une personne qui s’occupe du lien avec le public et on s’appuie sur une grosse équipe de militants pour l’accueil, la buvette. »

S’approprier le lieu

Pour Damien, la famille cheminote doit complètement s’approprier le lieu. « C’est un défi pour moi, insiste-t-il. Je souhaite qu’on parvienne à faire venir au théâtre ceux qui travaillent et ont le sentiment que l’accès à la culture ne les concerne pas. » Cet objectif implique des choix de programmation touchant le public le plus large tout en préservant l’exigence de propositions artistiques engagées. « Pas forcément tout le temps de façon militante, précise Damien. On propose des créations théâtrales mais aussi de la chanson et de l’humour. On souhaite développer une activité ciné-club et, en direction des plus jeunes, des goûters spectacles. »

La salle est, en outre, un lieu de vie militante où des réunions syndicales peuvent se tenir comme d’autres temps de rencontre et Damien souhaite que le public parisien, au-delà de la famille cheminote, investisse le lieu. « Ça passe par une politique tarifaire qui propose des prix bien plus attractifs que ceux des théâtres privés parisiens, souligne-t-il. Le Théâtre Traversière est au carrefour d’une réflexion politique, artistique et partenaire. Il est aujourd’hui un outil, au service de la création et de la diffusion théâtrale, doté d’un équipement performant. »

« Son seul financement : les cotisations des cheminots. À l’heure où certains veulent diviser, fracturer, encourager l’individualisme, nous démontrons que nous pouvons mettre en commun nos moyens pour créer du beau, du positif », poursuit le cheminot. Et de conclure : « Cela peut sembler naïf, mais ce théâtre est un rempart au défaitisme ambiant. »

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