RECIT. "Il n'y a pas vraiment de signaux d'espoir" : le calvaire de Cécile Kohler et Jacques Paris, inculpés pour espionnage en Iran

Les proches de Cécile Kohler et Jacques Paris sont à nouveau "extrêmement inquiets". Les deux Français, retenus en otage par l'Iran, ont été inculpés mercredi 2 juillet pour espionnage pour le compte d'Israël. Jusqu'à présent, le régime iranien avait déclaré que le couple était accusé d'espionnage, mais il n'avait jamais révélé pour quel pays. Une énième nouvelle alarmante pour cette professeure de lettres de 40 ans, originaire d'Alsace, et son compagnon de 72 ans, professeur de mathématiques à la retraite, arrêtés le 7 mai 2022 lors d'un séjour en Iran.

Cécile Kohler et Jacques Paris ne devaient rester que dix jours dans le pays. Les deux enseignants profitent des vacances de Pâques pour visiter Téhéran, Ispahan et sa grande mosquée, Kachan, relate Le Figaro. Au dernier jour de leur périple touristique, ils sont arrêtés dans la capitale. Leur entourage s'alarme rapidement. "On n'est pas une famille très téléphone, mais ils nous envoyaient tous les jours des photos d'eux super heureux. Depuis leur départ à l'aéroport, on avait des photos et des messages enthousiastes. Et d'un coup, plus rien", témoigne Noémie, la sœur cadette de Cécile Kohler, dans le quotidien. Quatre jours plus tard, le ministère des Affaires étrangères français leur annonce l'arrestation du couple. 

Cécile Kohler en visite dans une mosquée à Ispahan (Iran), le 3 mai 2022. (AFP / FAMILLE DE CECILE KOHLER)
Cécile Kohler en visite dans une mosquée à Ispahan (Iran), le 3 mai 2022. (AFP / FAMILLE DE CECILE KOHLER)

Pendant de longs mois, leurs familles restent sans nouvelles. Jusqu'à octobre 2022, lorsque la télévision iranienne diffuse une vidéo dans laquelle Cécile Kohler et Jacques Paris affirment être des agents du renseignement extérieur français et s'être rendus en Iran pour "préparer les conditions de la révolution et du renversement du régime iranien islamique", en finançant des grèves et des manifestations, et en utilisant des armes "si nécessaire pour se battre contre la police", rapporte Libération. Les autorités françaises dénoncent des aveux forcés, une "mise en scène indigne, révoltante, inacceptable et contraire au droit international".

"Notre seul levier, c'est la mobilisation"

Jacques Paris et Cécile Kohler sont incarcérés dans la prison d'Evin, à Téhéran, dans deux cellules séparées. La diplomatie française dénonce des conditions de détention "assimilables en droit international à de la torture". L'enseignante est recluse dans une cellule de 9 m2 sans fenêtre, vit sous une lumière vive allumée 24h/24 et dort sur une couverture au sol. Ses codétenus changent régulièrement "pour ne pas créer de lien humain", explique son avocate au Figaro. Seules deux à trois sorties par semaine de 30 minutes leur sont accordées.

Les otages sont aussi soumis à une pression psychologique harassante. Les contacts avec leurs proches sont rares et courts. "On ne sait jamais quand tombent ces appels WhatsApp" et ils "durent autour de cinq minutes", témoigne Noémie Kohler auprès du Figaro. Les livres et lettres envoyés à Cécile Kohler ne lui sont jamais parvenus, ajoute le journal. De son côté, le ministère des Affaires étrangères n'a pu obtenir qu'une poignée de visites consulaires. 

Au moins cinq Français détenus en Iran ont été libérés entre 2023 et 2025, après plusieurs mois, voire plusieurs années de détention. Mais Cécile Kohler et Jacques Paris détiennent le triste record de plus de trois années d'incarcération, dont trois mois à l'isolement total. Aucune explication n'a jamais été officiellement livrée sur les conditions de libération des autres prisonniers, qui, assurent les autorités françaises, n'ont donné lieu à aucune contrepartie.

Un rassemblement en soutien à Jacques Paris et Cécile Kohler, à l'occasion des trois ans de leur captivité en Iran, à Paris, le 7 mai 2025. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS)
Un rassemblement en soutien à Jacques Paris et Cécile Kohler, à l'occasion des trois ans de leur captivité en Iran, à Paris, le 7 mai 2025. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS)

Paris et d'autres pays européens dont les ressortissants sont retenus en Iran accusent le régime de pratiquer la "diplomatie des otages", notamment pour peser dans les discussions sur le nucléaire iranien, dans l'impasse depuis des années, afin d'obtenir une levée des sanctions. La France a déposé une plainte en mai devant la Cour internationale de justice pour violation des droits de Cécile Kohler et Jacques Paris. Une décision saluée comme un "tournant majeur" par les familles, mais sans effet à court terme.

"Cécile et Jacques sont de plus en plus désespérés et y croient de moins en moins."

Noémie Kohler, sœur de Cécile Kohler

à l'AFP

Après trois ans de captivité, "il n'y a pas vraiment de signaux d'espoir", a reconnu Noémie Kohler. "Notre seul levier, c'est la mobilisation, faire un maximum de bruit en espérant que cela arrivera en Iran." Une quarantaine de rassemblements de solidarité ont été organisés le 7 mai dans toute la France. La diplomatie française assure faire de leur libération "une priorité absolue". "La France agit sans relâche pour obtenir leur libération", a martelé Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux.

"Cécile ne dort plus depuis les bombardements"

Fin mai, la fille de Jacques Paris a pris publiquement la parole. "Je m'exprime aujourd'hui face à vous pour la première fois, car j'ai peur pour la vie de mon père et actuellement je ne sais pas où il se trouve", s'alarme Anne-Laure Paris. "Lors de son dernier appel, mon père m'a dit en me regardant dans les yeux, à travers l'écran du téléphone : 'Ecoute moi, je suis lessivé'", raconte-t-elle.

Le conflit entre l'Iran et Israël a encore compliqué davantage la situation. Le 14 juin, alors que les deux pays se bombardent mutuellement, le chef de l'Etat français déclare avoir exigé leur libération immédiate auprès du président iranien. Neuf jours plus tard, la prison d'Evin est visée par des frappes israéliennes. En l'absence de "signe de vie de Cécile et Jacques", leurs familles se disent "tétanisées"

"Depuis le début de la guerre, c'est ce qu'on craint. On craint que Cécile et Jacques meurent sous les bombes. On craint aussi que tout ce chaos engendré par des frappes sur la prison puissent occasionner des émeutes qui puissent déborder les autorités iraniennes et que ça puisse finir dans le sang."

Noémie Kohler, sœur de Cécile Kohler

sur franceinfo

Les avocats des otages adressent le jour des frappes un courrier à Emmanuel Macron pour le "supplier d'intercéder sans délai auprès des autorités israéliennes". Les autorités françaises demandent pour leur part de "pouvoir rentrer en contact directement" avec les deux Français. Le ministre des Affaires étrangères affirme qu'ils ont reçu la visite d'un diplomate français. L'entretien de 35 minutes s'est tenu à Bozorg, un pénitencier du sud de Téhéran, "sous haute surveillance en présence de gardes", a précisé Noémie Kohler à l'AFP. "Pour la première fois, Cécile et Jacques étaient ensemble lors de cette visite (...) mais rien ne nous indique que ce soit leur lieu de détention", a-t-elle rapporté, en se basant sur le compte-rendu de la visite transmis par le Quai d'Orsay.

Lors du bombardement sur Evin, "ils ont entendu trois frappes qui ont fait trembler les murs de leur cellule", a raconté la sœur de la professeure française. "Ils ont vu des prisonniers, notamment des co-détenus de Jacques, qui avaient été blessés (...) mais eux n'ont pas été blessés", a-t-elle encore assuré. Cécile Kohler a alors été transférée à la hâte avec d'autres prisonniers, sans pouvoir emmener d'affaires personnelles, à la prison de Qarchak, où elle est restée vingt-quatre heures.

"On lui a bandé les yeux et on l'a emmenée dans un autre lieu de détention qu'on ne connaît pas. Elle-même ne sait pas où il se situe."

Noémie Kohler, sœur de Cécile Kohler

à l'AFP

"Cécile ne dort plus depuis les bombardements. (...) Elle a très peur que cela recommence", a poursuivi Noémie Kohler, dont le dernier contact téléphonique avec sa sœur remonte au 28 mai. Jacques Paris a, lui aussi, été transféré dans un lieu inconnu, "tout seul dans une cellule". "Il n'a pas de meubles. Donc il continue à dormir à même le sol", alerte-t-elle. "Il ne dispose toujours pas de lunettes adaptées à sa vue et il souffre énormément de l'absence de visibilité", selon elle.

"Ils sont innocents"

L'inculpation de Jacques Paris et Cécile Kohler intervient alors que les relations entre l'Iran et la France sont particulièrement tendues. Téhéran reproche aux pays occidentaux l'absence de condamnation des frappes israéliennes. En plus d'"espionnage pour le Mossad", le couple est aussi accusé de "complot pour renverser le régime" et de "corruption sur terre", trois chefs d'inculpation passibles de la peine de mort en Iran.

"Ces motifs d’inculpation, s’ils sont confirmés, sont totalement infondés."

Une source diplomatique française

à franceinfo

"Cécile Kohler et Jacques Paris sont innocents. Aucune sentence ne nous a été communiquée et à notre connaissance n'a été prononcée", a poursuivi cette source. Les informations sont, comme à l'accoutumée, parcellaires. "Tout ce qu'on sait, c'est qu'ils ont vu un juge. On ne sait pas quel juge, on n'a pas son nom, donc tout est très flou", a réagi Noémie Kohler sur franceinfo. "Ça les laisse dans cet état de terreur, de torture psychologique. (...) Nous, en tant que famille, ça nous terrifie, c'est vraiment inhumain."