Bombardement d’Israël sur l’Iran : « la menace iranienne et de la bombe atomique reste un prétexte pour Tel-Aviv »

Quelle analyse tirez-vous des bombardements israéliens sur l’Iran qui se sont produits ce matin ? Peut-on s’attendre à une réplique du régime iranien ?

Bernard Hourcade

Directeur de recherche émérite au CNRS, géographe et spécialiste de l’Iran

Les autorités israéliennes se retrouvaient écartées du dossier palestinien avec l’initiative à l’Onu, d’une conférence franco-saoudienne à New York du 17 au 20 juin pour porter la reconnaissance de l’État de Palestine. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou apparaît également de plus en plus isolé au niveau international sur sa stratégie dans la bande de Gaza. Après un an et demi de bombardements et de crimes à Gaza, Tel-Aviv est en train de perdre des alliés. Dans ce contexte, le Premier ministre israélien a repris la vieille rengaine de l’Iran comme la menace existentielle et majeure pour le pays et de détourner ainsi le regard de la Palestine. Cela reste la priorité pour Israël.

La menace iranienne et de la bombe atomique reste un prétexte pour Tel-Aviv. Téhéran ne va pas bombarder Israël qui dispose de capacité militaire supérieure et n’est pas membre du TNP (Traité de non-prolifération, NDLR). Autour de la menace iranienne, qui est un excellent ennemi, Israël va retrouver une certaine unité internationale autour de lui.

Ce qui est intéressant, c’est que les États-Unis n’étaient pas d’accord avec cette opération. Le président Donald Trump qui a refusé les frappes sur les sites nucléaires avait retiré préalablement les bombardiers lourds B-52 de la base militaire aéronavale de Diego Garcia, en plein océan Indien 15 jours auparavant. Les bombes énormes que seuls possèdent les États-Unis pour frapper en profondeur les sites nucléaires iraniens n’ont pas été utilisées. Les usines d’enrichissement d’uranium de Fordo et Natanz n’ont été touchés qu’en surface. De même, les installations pétrolières n’ont pas été perturbées.

Cette opération de Netanyahou visait l’Iran « le grand Satan ». L’armée israélienne a ciblé les résidences et les appartements des grands chefs de l’armée, des gardiens de la révolution et du conseil de sécurité iranien et trois ingénieurs responsables du nucléaire. En octobre dernier, Israël avait détruit quasiment toutes les infrastructures de défense aériennes iraniennes. Donc l’aviation israélienne a pu en toute tranquillité bombarder ce qu’ils ont voulu.

Que peut-il se passer dans les jours qui viennent ?

En Iran, les modérés négociaient un accord avec les États-Unis et semblaient en train de se diriger vers un compromis. Le gouvernement israélien n’en voulait pas. Car Téhéran sert d’ennemi. Ce récit serait invalidé par un accord avec Washington. Tel-Aviv fait donc tout pour le saboter.

Ces dernières années, à chaque frappe israélienne, les réponses iraniennes ont été mesurées. Aujourd’hui, est-ce que Téhéran dispose de moyen pour répliquer de manière beaucoup plus forte ?

L’Iran est un pays écrasé économiquement, avec des sanctions, un isolement politique, etc. Et surtout, Israël a décapité le Hezbollah au Liban, a favorisé la chute régime de Bachar el-Assad en Syrie, rendu inutile les milices chiites irakiennes. Au Yémen, les Houthis ont leur propre stratégie. Autrement dit, l’Iran, qui avait ses « proxys » pour se défendre, devient un pays vulnérable. Le régime iranien ne dispose pas de chasseurs bombardiers, de tanks, de forces militaires capables d’être une menace pour ses voisins.

Même si le pays va répondre de manière symbolique par l’envoi de drones et de missiles, il est trop affaibli. Les bombardements d’aujourd’hui marquent une défaite de l’Iran et des gardiens de la révolution. Ils ont perdu la guerre. Ils ont quitté la Syrie sans combattre. Ils ont été battus sur tous les plans. Cette opération israélienne clôt une longue chute illustrée par la mort du général Hossein Salami. Ce commandant en chef des gardiens de la révolution tué cette nuit n’avait plus le même poids qu’il y a six mois avant la chute de Bachar el-Assad et de toutes ses milices. On évoque un embrassement général. Mais personne n’a envie de participer à une nouvelle guerre dans la région et personne n’en a la capacité.

Sur quels alliés peut compter le régime iranien aujourd’hui ?

Les Chinois et les Russes ne veulent pas d’une guerre. Paradoxalement leur seul allié actuellement apparaît être Donald Trump. La seule menace que les Iraniens peuvent agiter c’est de se retirer du traité de non-prolifération (TNP). Cela reste symbolique mais révélerait une stratégie d’obtenir la bombe atomique. Actuellement, le pays en est tout à fait incapable. Et à l’intérieur du pays, personne n’a envie de choisir cette voie qui signifierait un isolement total. La priorité du gouvernement iranien, c’est de sauver le régime qui est fragilisé dans tous les secteurs : économiquement, politiquement, militairement.

Le seul débat en interne va être porté par les plus radicaux qui vont affirmer : « La seule façon de répondre c’est la guerre et la résistance armée, etc. » Mais combien de militants iraniens vont les suivre ? Plus personne actuellement n’est sensible à ce discours. La population iranienne a d’autres priorités. Elle ne veut pas non plus d’un changement de régime imposé par Israël.

Cette nouvelle séquence démontre qu’Israël est la seule puissance militaire de la région capable d’imposer ce qu’elle veut, de tuer les leaders politiques et militaires de n’importe quel pays comme ils veulent. Est-ce que les pays arabes vont accepter de céder la sécurité de la région à Israël ? Ce n’est pas évident. Cette attaque est une menace pour l’ensemble du Moyen-Orient et ses dirigeants.

La porte de sortie pour Téhéran peut être Donald Trump. Le président a maintenu sa proposition de négocier de manière sérieuse ou sinon de laisser les mains libres aux Israéliens. Seuls les États-Unis peuvent être en mesure de stopper les futures attaques israéliennes.

Le pouvoir, pourtant peu populaire, va-t-il tenter de trouver une porte de sortie politique en activant la fibre nationaliste des Iraniens ?

En Iran, le nationalisme, l’islam et l’ouverture internationale font partie des piliers du régime. Une partie de la population attendra des réponses à cette attaque. Elle ne va pas accepter qu’on vienne les bombarder, sans réaction. Mais les Iraniens ne sont pas favorables à une guerre totale contre Israël. Le régime a donc peu de moyens de réagir. Ils vont affirmer : « Nous allons rayer Israël de la carte ». Mais concrètement, qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Rien.

Si l’alliance avec Donald Trump s’avère difficile politiquement, les négociations peuvent être primordiales. Le pouvoir peut défendre un marché de 92 millions d’habitants, une influence dans le Moyen-Orient, des réserves de pétrole et de gaz.

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