La dissuasion nucléaire est-elle encore efficace ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a brusquement fait ressurgir la menace nucléaire dans le débat mondial. Alors que le monde a considérablement changé depuis la fin de la guerre froide, qui avait maintenu un fragile « équilibre de la terreur », les doctrines de dissuasion des différentes puissances nucléaires interrogent.

L’amiral Jean-Louis Vichot, ancien commandant de la flotte française du Pacifique, et le député communiste Édouard Bénard, membre de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, en débattent ensemble.

Au-delà des idées reçues, comment définir la dissuasion nucléaire dans le monde d’aujourd’hui ?

Jean-Louis Vichot

Amiral, ancien commandant de la flotte française du Pacifique

La dissuasion nucléaire, comme le disait Thérèse Delpech (1948-2012, politologue et haute fonctionnaire – NDLR), c’est l’affrontement de deux volontés. Ce n’est pas qu’une question de technologie, mais un choix philosophique : faire peur à l’adversaire pour éviter qu’il attaque. Avec l’arme nucléaire, une seule bombe peut raser une ville entière, là où il fallait autrefois des milliers de bombardiers.

La dissuasion repose sur cette puissance terrifiante. Même un pays plus petit peut dissuader un agresseur s’il a la capacité de riposter. C’est le principe des intérêts vitaux : montrer qu’on est prêt à utiliser l’arme pour se défendre. Il faut aussi comprendre la différence entre arme tactique, qui peut être une « supermunition », et arme stratégique, qui mène à la destruction mutuelle assurée, la fameuse « MAD ». Le problème, c’est que la dissuasion suppose que l’adversaire pense comme nous. L’histoire montre que des dirigeants peuvent prendre des décisions irrationnelles, comme Hitler ou le Japon en 1941.

Édouard Bénard, est-ce que vous partagez cette définition que vient de nous donner Jean-Louis Vichot ?

Édouard Bénard

Député PCF de Seine-Maritime, membre de la commission de la défense

Je suis heureux que l’amiral Vichot ait abordé le sujet sous un angle philosophique, car tout part de là : la notion de raisonnable et le rapport au risque. La doctrine française, souveraine, repose sur l’idée que la dissuasion nucléaire protège nos intérêts vitaux. Mais, dans le contexte actuel, peut-on vraiment en être sûr ?...