« On assiste à une superposition de textes visant à précariser et stigmatiser les étrangers » : l’alerte de la Cimade contre les projets de loi anti migrants
Que penser de la proposition des sénateurs LR d’allonger la durée de rétention administrative au-delà de trois mois ?
Paul Chiron
Chargé de soutien et des actions juridiques en rétention pour la Cimade
Bruno Retailleau en parle depuis longtemps, notamment à l’occasion des différents faits divers ayant impliqué des personnes étrangères. On ne peut que regretter la logique « un fait divers, une loi » car cela ne fait pas réellement avancer le droit. Surtout, le texte de cette PPL a beaucoup évolué, et les critères de l’allongement de la période d’enfermement sont devenus très larges, notamment avec la notion floue de menace pour l’ordre public, laissant place à l’arbitraire.
Bruno Retailleau a même proposé d’aller plus loin, en comparant le système français avec celui de l’Allemagne où la rétention peut aller jusqu’à 18 mois.
En France, la durée maximale de 90 jours est déjà problématique. Les associations, comme la Cimade, avaient déjà sonné l’alerte lors du doublement de cette durée, en 2018. L’augmenter encore multipliera les effets négatifs, notamment les actes de violence des retenus contre eux-mêmes.
On voit de grands changements physiques et psychiques chez les personnes retenues entre le début et la fin de leur rétention. Et on observe de plus en plus de cas de grèves de la faim ou de suicides. Avec une durée à 210 jours, ce serait encore pire. La rétention est une violence institutionnelle qui n’augmente pas significativement les expulsions.
N’est-ce pas aussi un détournement de l’objet de la rétention administrative ?
Oui, c’est censé être une privation de liberté prévue dans le cadre d’une procédure d’éloignement d’une personne, comme écrit dans la loi depuis 1981. Mais, depuis plusieurs années, on observe un détournement de son utilisation pour en faire un outil de politique sécuritaire. Les ministres de l’Intérieur parlent de menace pour l’ordre public, et non plus d’expulsion. On enferme des personnes jugées indésirables, sans, d’ailleurs, forcément parvenir à les expulser. La PPL discutée au Sénat reflète vraiment ce détournement.
La deuxième proposition de loi tend à conditionner l’octroi de droits sociaux à une durée de séjour ou de travail plus longue. N’est-ce pas aussi une façon de mettre les personnes étrangères au ban de la société ?
C’est clairement une forme de préférence nationale qui aurait en plus pour conséquence d’augmenter la précarité, notamment des familles et des personnes âgées. On assiste à une superposition de textes visant à précariser et stigmatiser les étrangers.
L’évacuation des mineurs non accompagnés qui occupaient la Gaieté Lyrique, sans véritable proposition de mise à l’abri, s’inscrit-elle dans la même logique ?
Oui, c’est une logique inscrite dans la durée. Les évacuations de campements dans le Calaisis ou de lieux emblématiques comme la Gaieté Lyrique, mais aussi les opérations de police dans des parcs à Paris ou ailleurs, reflètent une volonté assumée de ne pas agir pour sortir les personnes concernées de la précarité. Au contraire, l’État déloge les personnes cherchant un endroit où survivre, sans solution de mise à l’abri, et ce en dérogeant à ses obligations légales. Cela devient malheureusement la norme.
C’est pourtant contre-productif. Les plus vulnérables ne courent-ils pas le risque d’être exploités par des réseaux criminels, alimentant ainsi la défiance vis-à-vis de l’étranger ?
En effet. La politique de l’État visant à précariser et exclure les personnes étrangères implique, par exemple, qu’une personne précaire peut se retrouver en prison après avoir commis un délit, comme le vol ou le trafic de stupéfiants, dans le but de s’en sortir financièrement.
Cette personne entre alors dans un cercle vicieux de détention, rétention et est mise à l’écart. Sous le coup d’une mesure d’expulsion, elle ne peut plus demander de titre de séjour, ni s’intégrer via le travail ou les études. Les droits fondamentaux des personnes étrangères sont sacrifiés pour afficher toujours plus de fermeté, afin de séduire les électeurs de l’extrême droite en s’alignant sur les positions de plus en plus dures de certains partis.
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