Rafle du Vél’d’Hiv : malgré des commémorations, les longues décennies d’oubli de la responsabilité du régime de Vichy
Sébastien Ledoux
Historien et maître de conférence à l’université de Picardie Jules-Verne
La rafle du Vél’d’hiv des 16 et 17 juillet 1942 est associée aujourd’hui au discours prononcé il y a trente ans par le président de la République Jacques Chirac, le 16 juillet 1995. Ce discours est devenu au fil du temps une sorte d’héritage symbolique, autant moral que politique.
En reconnaissant la responsabilité de la France dans la persécution et le génocide des juifs mis en œuvre par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, le chef de l’État mettait fin à la lecture officielle d’un gouvernement de Vichy déclaré « nul et non avenu » en 1944, la Résistance incarnant de son côté la continuité de la France pour de Gaulle et ses successeurs. Cette reconnaissance officielle de 1995 a été d’autant plus saluée qu’elle intervenait après des années de dénonciation de l’oubli de ce crime français du Vél’d’Hiv, qui aurait duré pendant des décennies.
Une première commémoration deux jours avant le procès de Pétain
Pourtant, c’est dès la fin de la guerre que la plus grande rafle de Juifs en Europe de l’Ouest est commémorée. Le 21 juillet 1945, un grand rassemblement a lieu au Parc des Princes à la mémoire de ses victimes. Elle est organisée par le Comité d’entente des associations de défense des victimes de l’oppression, regroupant des organisations juives et non juives issues de la Résistance.
Plusieurs déportés, certains tout juste revenus des camps trois mois plus tôt, prennent la parole lors de cette commémoration. Juive d’origine roumaine, Berthe Falk fait partie des très rares survivants de la rafle du Vél’d’Hiv : une centaine sur près de 13 000 juifs arrêtés, dont 4 000 enfants qui seront tous exterminés. Revenue en avril du camp de Mauthausen, elle est présente pour témoigner.
Cette première commémoration est aussi un moment politique. Parmi les orateurs, le déporté résistant communiste Marcel Prenant s’insurge contre « une gigantesque opération de police dirigée contre les juifs, à Paris et en province, (qui]) s’accompagnait de mesures sauvages et révoltantes, orientées notamment contre les enfants ». Alors que le procès de Pétain s’ouvre deux jours plus tard, il appelle à le juger pour ses crimes contre les juifs.
La responsabilité de Vichy
Résistant déporté à Buchenwald et responsable des Jeunesses communistes, André Leroy prend la parole pour demander également que le « traître Pétain » soit jugé afin que « les auteurs de l’œuvre barbare du 16 juillet 1942 soient punis ». La responsabilité de Vichy dans ce crime antisémite est donc clairement évoquée au sortir de la guerre par des anciens déportés, juifs ou non juifs résistants communistes.
L’année suivante, en 1946, la commémoration se déroule à l’entrée du Vélodrome d’Hiver, un lieu de rencontres sportives très populaire depuis le début du siècle pour ses courses cyclistes et ses matchs de boxe. C’est dans ce vélodrome qu’environ 8 000 des juifs raflés en juillet 1942 – principalement les 4 000 enfants et leurs parents – avaient été amenés après leur arrestation à leur domicile, au petit matin, par la police française.
Lors de cette commémoration de 1946, le gouvernement provisoire prend la parole en la personne du résistant communiste Laurent Casanova, alors ministre des Anciens combattants et des Victimes de guerre. Il y dénonce la propagande antisémite de Vichy et termine son discours en criant : « Honte aux traîtres et aux assassins qui ont servi l’ennemi ! »
Spécificité génocidaire du martyr juif
C’est à cette occasion qu’une plaque commémorative est inaugurée à droite de l’entrée du Vél’d’Hiv. Elle est initiée par le Mouvement national contre le racisme (MNCR), organisation résistante juive communiste engagée notamment dans le secours aux enfants juifs pendant l’Occupation, avec l’appui de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (Lica).
À partir de 1947, l’Amicale des anciens déportés juifs de France, créée en 1945, prend en charge la commémoration de la rafle devant le Vélodrome, et ce, pendant des décennies. Cette association, proche du Parti communiste et dans laquelle le résistant juif Henry Bulawko, rescapé d’Auschwitz, jouera un rôle majeur, ne va cesser de rendre hommage aux raflés du Vél’d’Hiv chaque mois de juillet, en rappelant la spécificité génocidaire du martyr juif, à côté de l’expérience concentrationnaire des déportés résistants.
C’est ainsi par l’engagement de déportés juifs, résistants juifs communistes et déportés résistants communistes que s’est construite une première mémoire de la rafle du Vél’d’Hiv au sortir de la guerre, dans l’hommage aux victimes et la dénonciation du rôle de Vichy dans ce crime antisémite.
Dernier ouvrage paru : Vichy était-il la France ? Le Vél’d’Hiv et sa mémoire, J.-C. Lattès, 2025.
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