Génocide à Gaza : « Afficher une banderole pour la Palestine ne devrait pas être du courage politique », interpelle le maire d’Ivry-sur-Seine Philippe Bouyssou
Maire communiste d’Ivry-sur-Seine, Philippe Bouyssou se retrouve dans le viseur de la préfecture du Val-de-Marne pour avoir accroché, sur la façade de l’hôtel de ville, une banderole dénonçant le génocide en cours à Gaza et demandant la libération de tous les otages. Malgré la décision du tribunal administratif de Melun, qui a donné raison au préfet Étienne Stoskopf jeudi 21 août, Philippe Bouyssou refuse de décrocher la banderole. Il dénonce, auprès de l’Humanité, l’invisibilisation du génocide en cours à Gaza.
Que votre mairie soit au centre d’une bataille juridique, la cible de menaces, pour une banderole et une prise de position politique est-il inédit ?
Cela fait dix ans que je suis maire. Nous avons toujours affiché des messages politiques sur la façade de l’hôtel de ville. Je ne dis pas que c’est une tradition ivryenne, mais c’est une volonté qui a toujours existé. D’ailleurs, d’autres villes mettent aussi des banderoles sur les façades des mairies, soit pour accompagner les mouvements sociaux, soit pour dénoncer des scandales sur le plan international.
Ce qui me revient en tête, c’est que, lors de l’éclatement de la guerre en Ukraine, nous avons affiché une banderole. Au moment de la bataille contre la réforme des retraites, nous avons aussi affiché un message pour dénoncer le passage de la retraite à 64 ans. C’est donc la première fois que le préfet intervient sur un sujet comme celui-là et nous traduit devant le tribunal administratif devant notre refus.
Et ce, alors que vous affichez votre soutien au peuple palestinien depuis octobre 2023…
Dès que l’armée israélienne est entrée à Gaza et que les premiers massacres ont eu lieu, nous avons dénoncé la politique israélienne. Déjà, il y avait une banderole affichée sur la mairie. Les seules différences sont qu’elle n’était pas positionnée au même endroit de la façade et qu’elle ne parlait alors pas explicitement de génocide. La banderole demandait la libération des otages et un cessez-le-feu. L’affiche a d’ailleurs été détruite à trois reprises par des activistes pro-Israël.
Quand est-ce que le virage répressif pris par la préfecture s’est manifesté ?
Le 11 juin, lorsque nous avons modifié la banderole. Nous sommes passés du terme « massacre » à celui de « génocide ». Est-ce que ce changement a attiré l’attention de l’État ? Peut-être. Personnellement, je pense qu’il y a une consigne du gouvernement en direction de tous les préfets. Preuve en est ce qui s’est passé à Avignon, où une banderole « Stop au génocide » déployée par des citoyens a été enlevée, mais aussi à Gennevilliers, où le tribunal administratif a ordonné au maire de retirer le drapeau palestinien placé sur la façade de l’hôtel de ville.
L’un des arguments de l’État est particulièrement pervers : celui du risque de trouble à l’ordre public. Or, depuis octobre 2023, nous avons une banderole sur la façade de l’hôtel de ville, plusieurs rassemblements en soutien à la Palestine ont eu lieu et nous accueillons une famille de réfugiés gazaouis. Il n’y a pas eu le moindre trouble à l’ordre public.
En quoi est-ce important pour vous de refuser de se plier à l’ordonnance du tribunal et aux attaques de la préfecture ?
Car l’État français alimente une confusion inacceptable. Ce n’est pas les juifs d’un côté et les musulmans de l’autre. Nous sommes confrontés à un conflit d’essence coloniale, avec un État qui se développe en opérant un nettoyage ethnique. Aussi, le timing de cette décision de justice est incompréhensible. Les Nations unies viennent de reconnaître l’état de famine pour un demi-million d’habitants. La Cour pénale internationale et la Cour de justice internationale ont lancé un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de l’Intérieur. Emmanuel Macron, lui, envisage enfin de reconnaître l’État de Palestine – s’il va au bout de sa démarche.
Vous insistez, dans votre défense, sur le minimum que représente la mise en place d’une banderole pour dénoncer les crimes d’Israël. En quoi la répression que suscite cette « simple action » symbolise le manque de considération pour le peuple palestinien ?
Afficher une banderole pour la Palestine ne devrait pas être du courage politique. Mais on en arrive à devoir rappeler que : « On est mobilisé, on ne lâchera pas et on continuera à dénoncer ce génocide. » Le petit côté juridiste de l’État, avec la mobilisation du tribunal administratif, me paraît complètement décalé avec la gravité du drame humain en cours.
Ma petite résistance institutionnelle n’est pas du courage, mais le minimum que la dignité me commande. Les véritables courageux sont la population gazaouie, victime d’un drame humanitaire inédit à l’échelle du XXIe siècle, les pacifistes israéliens qui résistent sur place, ou encore, les civils qui embarquent sur les flottilles de la liberté pour briser le blocus en cours.
Quelle suite va prendre cette affaire ?
Nous allons engager un recours auprès du Conseil d’État. Le juge administratif a donné son jugement en référé, même pas sur le fond. Le tribunal a considéré qu’il y avait une mesure d’urgence à enlever cette banderole. C’est complètement absurde. Non seulement, on nous empêche – en tant que maires – de nous exprimer sur la tragédie en cours à Gaza, mais en plus, on voudrait faire entendre que les élus locaux n’ont pas voix au chapitre.
La décision du tribunal peut permettre d’interdire aux maires de prendre des positions politiques ne relevant pas de leur champ de compétence. Et ça, c’est une atteinte à la démocratie. Si le Conseil d’État décide qu’il faut qu’on la retire, nous retirerons la banderole avant d’en remettre immédiatement une autre.
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