Escalade de violences au Soudan du Sud : le spectre d’un retour de la guerre civile

Le risque d’un embrasement généralisé menace le Soudan du Sud. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a réitéré ce 28 mars, devant la presse, ses vives préoccupations suite à l’arrestation de Riek Machar, premier vice-président du gouvernement d’union nationale, après plus d’un mois de vives confrontations dans le Nord.

Les hostilités ont éclaté à la mi-février dans le comté de Nasir, à la frontière du Soudan, où s’affrontent « l’Armée blanche », une milice communautaire à majorité Nuer soupçonnée de liens avec les forces de Machar (SPLM-IO) et l’armée sud-soudanaise (Forces de défense du peuple sud-soudanais, SSPDF).

Des frappes aériennes sur la population civile

Le 4 mars, la milice a attaqué une caserne à Nasir, provoquant une riposte de l’armée sud-soudanaise. Appuyée par des troupes ougandaises, celle-ci a lancé des frappes aériennes qui ont touché la population civile. Depuis, les allégations de violence se multiplient de part et d’autre.

Le 24 mars, le parti de Riek Machar a dénoncé une attaque contre un cantonnement militaire à Wunaliet, à 15 km de la capitale Juba, perçue comme une « provocation », en violation des accords de paix de 2018. Le lendemain, des tirs d’artillerie ont retenti dans la région, avant l’arrestation de Riek Machar, assigné à résidence à Juba.

Ses partisans dénoncent une « violation » et « l’abrogation » de l’accord de paix, qui prévoyait notamment le partage des postes stratégiques du pouvoir, l’intégration de milices dans l’armée nationale et la révision des listes électorales en vue des élections générales, initialement prévues en décembre 2024 et repoussées au 22 décembre 2026.

Multiplicité de groupes ethniques

Les violents affrontements qui secouent l’État du Nil Supérieur, au nord-est du pays ravivent le souvenir douloureux de la guerre civile qui a ravagé le Soudan du Sud entre 2013 et 2018, ainsi que les décennies de conflits avec le Soudan voisin (la première guerre civile s’est déroulée de 1955 à 1972).

Le Soudan du Sud, traversé par une multiplicité de groupes ethniques, a finalement obtenu un statut d’autonomie en 2005. Durant cette période, John Garang, chef historique du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM/A, qu’il a fondé en 1983 en pleine seconde guerre civile soudanaise) et vice-président du gouvernement de Khartoum à partir de 2005, prônait un Soudan uni, laïc et socialiste, en opposition aux tentatives d’islamisation des élites du Nord.

Son idéologie politique inclusive visait à surmonter les rivalités ethniques et religieuses, reconnaissant les spécificités du Sud, majoritairement chrétien et animiste, et leur marginalisation sociale, religieuse, économique et politique face au Nord, à dominante musulmane.

Le fragile accord de paix de 2018

Son décès tragique, mystérieux pour certains, dans un accident d’hélicoptère en juillet 2005, a ouvert la voie à Salva Kiir. Il a occupé le poste de premier vice-président du Soudan, puis de président du Sud-Soudan après l’indépendance du pays le 9 juillet 2011.

Accusant son vice-président Riek Machar de fomenter un coup d’État, Salva Kiir l’a limogé en juillet 2013, faisant resurgir d’anciennes tensions entre les factions du SPLM/A. Au lieu de poursuivre un projet politique rassembleur et progressiste, les deux dirigeants ont instrumentalisé leurs communautés respectives pour alimenter leur lutte politique meurtrière.

Le pays a sombré dans une guerre civile de six ans, opposant les forces loyales à Kiir (issu de l’ethnie Dinka) à celles de Machar (de l’ethnie Nuer). Si l’accord de paix fragile de 2018 a permis de mettre fin à la guerre civile, la rivalité politique entre ces deux hommes demeure vive, alimentant les récentes violences et font redouter une reprise du conflit à grande échelle.

Ingérences étrangères

Pour Daniel Akech, expert de Crisis Group, l’accord de paix de 2018 est désormais caduc en raison du « manque de volonté politique des deux dirigeants » dans un climat de crise politique et économique, explique-t-il à l’Humanité. Les tensions internes sont attisées par des ingérences étrangères notamment soudanaises, ougandaises et dans une moindre mesure kenyane.

« Leur objectif est de s’approprier les ressources du Soudan du Sud », dénonce Fathi El Fadl, porte-parole du Parti communiste soudanais (PCS), que nous avons joint par téléphone. Juba regorge de mines d’or et de pétrole, suscitant les convoitises. Le régime de Khartoum est particulièrement accusé de soutenir des milices sud-soudanaises pour déstabiliser le pays. Par ailleurs, Juba dépend de l’exportation de son pétrole, qui transite par des pipelines traversant un Soudan lui-même livré à une guerre civile depuis avril 2023.

La paralysie d’un oléoduc stratégique près de la capitale soudanaise met en péril les finances du Soudan du Sud, l’or noir représentant 90 % de ses exportations. La perte de ces revenus a affaibli le système de patronage soutenant les forces fidèles au président Kiir, ce qui pourrait expliquer le remaniement de ses alliances politiques.

Vers une montée des violences ethniques ?

Confrontée à une situation économique désastreuse et à l’effritement de la confiance au sein de son propre camp, Salva Kiir a lancé une vaste purge au sein du gouvernement d’union nationale. Depuis février, plusieurs hauts responsables ont été limogés, dont le chef des services de renseignement et les gouverneurs de l’État de Jonglei et du Haut-Nil, remplacés par des membres du parti du président, contrairement aux accords de 2018 sur le partage du pouvoir.

Plusieurs figures du SPLM-IO, le parti de Machar, ont aussi été arrêtées, notamment le ministre du Pétrole et le chef adjoint de l’armée. Une offensive que ses dirigeants dénoncent comme relevant d’une « chasse aux sorcières ». Les tensions entre Kiir et Machar atteignent un point critique. « Avec la prolifération de la désinformation, les discours de haine sont devenus monnaie courante, et le conflit pourrait basculer sur une base ethnique », alerte le représentant de l’ONU au Soudan du Sud. Bien que les affrontements entre Dinkas et Nuer aient été au cœur de la guerre civile passée, les milices ethniques suivent leurs propres intérêts, indépendamment des alliances politiques, souligne Daniel Akech.

Les combats autour de Nasir ont forcé plus de 50 000 civils à fuir depuis fin février, déjà en proie aux intempéries et à une insécurité alimentaire extrême. Une situation humanitaire préoccupante, combinée à une situation politique hautement instable, qui renforce les craintes d’une reprise du conflit à grande échelle, menaçant de replonger le pays dans une guerre dévastatrice.

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