L’élection anticipée du Bundestag de ce dimanche 23 février est censée mettre un terme à la crise politique provoquée par l’éclatement de la coalition tripartite (SPD/Verts/parti libéral) du chancelier Scholz début novembre dernier. Elle devait permettre à l’Allemagne de retrouver au plus vite une stabilité très désirée, sur fond de crise économique et de tensions internationales. Le moins que l’on puisse dire est que ce scénario lénifiant s’éloigne, dans un paysage marqué par un glissement très à droite du spectre politique.
Friedrich Merz en pole position mais…
Patron de l’opposition chrétienne démocrate (CDI/CSU), Friedrich Merz fait figure de favori pour accéder au poste de chancelier. Son parti est donné en tête du scrutin autour de 30 % des suffrages. Issu du monde des affaires – il ne fut rien moins que le chef de la branche allemande de BlackRock, le géant de Wall Street –, il avance un « agenda 2030 », présenté comme un moyen de « réveiller la compétitivité des entreprises allemandes » mais très concrètement fondé sur des mesures de dérégulations sociales.
Au risque d’accentuer encore précarité et pauvreté de masse, un phénomène hérité d’une précédente offensive contre l’État social lancée au début du siècle par le gouvernement SPD/Verts du chancelier Schröder. Merz, auteur du livre Oser plus de capitalisme, ne cache rien de son but.
Cet engagement du leader de la CDU pourrait gêner quelque peu les partenaires, SPD ou (et) Verts, d’une éventuelle coalition indispensable des forces démocratiques face à la montée de l’AfD (extrême droite). Mais c’est surtout son discours pour « la loi et l’ordre », clamé par ses grandes affiches de campagne, et contre l’immigration, dont les accents se rapprochent, voire se confondent précisément avec ceux de l’extrême droite, qui pourrait contredire cette obligation d’alliance démocratique.
Instrumentalisant l’horreur de crimes récents commis par des réfugiés, Friedrich Merz a clamé sa volonté de fermer les frontières et de rendre quasi inaccessible l’accès au droit d’asile. Selon une démarche à ce point convergente avec l’AfD qu’il n’a pas hésité à s’appuyer sur les voix de ce parti pour avancer, fin janvier, au Bundestag une motion contre les migrants et une loi contre le regroupement familial. Ce qui a provoqué une énorme émotion, car l’instauration d’un cordon sanitaire systématique contre l’extrême droite a été érigée en règle absolue de la vie démocratique depuis 1945, en lien évidemment avec le plus terrible épisode de l’histoire du pays.
L’AfD en embuscade
Sur la défensive, Merz a juré qu’il n’était pas question pour lui d’aller au-delà de ce type d’entente ponctuelle, et que jamais il ne passerait d’accord de gouvernement avec l’AfD. Mais il a reçu aussi une pression, en sens inverse, de Washington.
À la conférence de Munich sur la sécurité, le 14 février, le vice-président James David Vance est en effet monté au créneau pour dénoncer explicitement le « cordon sanitaire », dont la mise en œuvre constituerait « une atteinte aux libertés fondamentales » des citoyens. L’équipe de Donald Trump pèse ainsi de toutes ses forces en faveur des eurofascistes du vieux continent.
L’oligarque Elon Musk est à l’avant-garde de l’ingérence états-unienne en faveur de l’AfD. Il s’est érigé en faire-valoir de sa cheffe, Alice Weidel, sur son réseau social X (ex-Twitter), et il est intervenu en direct dans une des grands-messes électorales du parti. Au-delà de la recherche des mêmes boucs émissaires, Weidel et les trumpistes se rejoignent sur l’aspiration à ce capitalisme autoritaire et libertarien, déjà inscrit dans les travaux pratiques par Elon Musk sur le territoire allemand lui-même dans sa gigafactory Tesla de Grünheide, près de Berlin, sans syndicat ni convention collective.
Ce coup de main de Washington ne peut que conforter une AfD déjà en pleine ascension depuis un an. Le parti est donné en seconde position à plus de 20 % par les sondages. Soit rien de moins qu’un doublement du score réalisé en 2021. Ce qui ferait monter très haut la capacité de nuisance de l’extrême droite, qui aurait près de 150 députés dans le prochain Bundestag.
Le SPD vers son plus bas historique
L’affaissement du SPD, avec un chancelier Scholz qui a enfoncé tous les records d’impopularité, va constituer sans doute le principal obstacle à la mise en place d’une « grande coalition » (CDU/SPD). Le parti n’est plus crédité que de 15 % à la veille du scrutin, soit le plus bas jamais enregistré dans toute son histoire. L’explosion des prix de l’énergie et des loyers pèse sur le niveau de vie des plus pauvres et des classes moyennes, et alimente une terrible crise de confiance parmi les électeurs sociaux-démocrates, dont une partie se réfugie dans l’abstention, l’autre n’hésitant plus à franchir le pas du vote pour l’AfD.
Si le SPD semble s’y être résigné, les Verts sont devenus promoteurs, eux, d’une ligne très néolibérale. Le ministre de l’Économie et candidat écologiste à la chancellerie, Robert Habeck, a fait du marché et de ses acteurs privés les seuls vecteurs de sa politique dite de transition énergétique. Il en rajoute dans son programme électoral : quand il se rapproche des exigences de Trump en déclarant vouloir porter à 3,5 % les dépenses militaires du pays ; ou quand il avance une réforme du système de retraite en crise « grâce à la capitalisation ».
Des démarches à ce point proches de celle de la CDU qu’elles font penser à de vraies offres de service gouvernemental. Mais la démarche pourrait s’avérer compliquée en cas d’obligation de triple alliance de forces démocratiques. Surtout si le parti libéral (FDP) n’en est pas, car incapable, comme annoncé par les sondages, de franchir la barre qualificative des 5 %.
La dynamique de Die Linke
L’adhésion de dizaines de milliers de jeunes à Die Linke, l’engagement de figures du parti avec les associations contre toute rupture du cordon sanitaire à l’égard de l’AfD, leur omniprésence dans les manifestations antifascistes de ces derniers jours, traduisent une vraie dynamique. Créditée de plus de 6 % par les enquêtes d’opinion, Die Linke pourrait constituer la seule note rassurante du scrutin.
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