"On a du mal à voir comment ils vont faire" : pourquoi économiser 40 milliards sur le budget 2026 ressemble à une mission impossible pour le gouvernement
L'objectif est martelé depuis plusieurs mois, comme un mantra. Le gouvernement souhaite réaliser 40 milliards d'euros d'économie sur le budget 2026, répartis entre l'Etat, la Sécurité sociale et les collectivités locales. Un chiffrage ambitieux, qui intervient dans un contexte d'instabilité politique.
Pour éviter le scénario catastrophe d'une censure du gouvernement sur le budget (comme cela s'était produit l'an dernier avec le gouvernement de Michel Barnier), les groupes parlementaires seront reçus à Bercy, à partir de mercredi 2 juillet et avant le 11 juillet, date de la fin de la session parlementaire après laquelle le Premier ministre François Bayrou doit présenter ses pistes d'économies.
L'objectif pour le déficit public de la France, que le gouvernement espère ramener à 4,6% du PIB en 2026, exige "40 milliards d'euros d'efforts supplémentaires", a prévenu, dès le 13 avril dernier, le ministre de l'Economie et des Finances, Eric Lombard. Pour sa collègue Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, il s'agit de passer du "quoi qu'il en coûte" au "quoi qu'il arrive". Traduction : quels que soient les événements, la priorité est à présent donnée au désendettement du pays.
Un objectif (trop) ambitieux
A gauche de l'échiquier politique, la recherche des 40 milliards d'euros donne le tournis. "C'est l'équivalent du budget de l'Education nationale", s'était rapidement insurgé Jean-Luc Mélenchon,le leader de La France insoumise – il est en réalité de 87 milliards d'euros. Pas question pourtant de parler de politiques d'austérité du côté de Bercy. "Avec 57% de PIB de dépenses publiques, on peut tout à fait à la fois réduire les dépenses et maintenir la qualité des services", répliquait Eric Lombard.
Mais comment l'exécutif a-t-il calibré cet objectif à 40 milliards d'euros ? "Difficile de l'expliquer", juge l'économiste Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au CNRS. Avec ce chiffrage, souligne-t-elle, le gouvernement se place au-dessus des objectifs fixés par la Commission européenne. "Cela vient compenser en partie le fait que le budget adopté pour 2025 a été moins ambitieux que prévu dans son objectif de réduction du déficit structurel", complète Mathieu Plane, directeur adjoint à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste des finances publiques.
Parmi ces 40 milliards, au moins dix correspondent en outre à la nécessité de compenser la fin de mesures exceptionnelles (comme la surtaxe sur les grandes entreprises, par exemple) non-reconduites en 2026, poursuit l'économiste. "On est donc plutôt sur 30 milliards qui concernent de nouvelles mesures d'économies, c'est un peu plus que ce que Bruxelles nous demande de faire", admet-il.
"La question de fond, c'est de trouver comment répartir correctement les efforts. On a du mal à voir comment ils vont faire !"
Mathieu Plane, économisteà franceinfo
Avec ce zèle budgétaire, le gouvernement se trouve contraint à un véritable numéro d'équilibriste. S'ajoutant à la crise budgétaire, la crise politique que traverse le pays depuis la dissolution de l'Assemblée nationale complique un peu plus toute prise de décision. "La difficulté, c'est trouver des montants colossaux, tout en cherchant le consensus", décrypte l'économiste.
Les impôts comme intouchables
L'exercice est d'autant plus complexe que l'enveloppe de 40 milliards d'économies s'est accompagnée d'une promesse : celle de ne pas augmenter les impôts du contribuable. "Il n'y aura pas de hausse d'impôt d'ensemble", a réaffirmé le ministre de l'Economie début juin sur France 2, au nom de "la stabilité fiscale". Et ce, même si François Bayrou a demandé que "tous les Français fassent des efforts".
Une promesse politique avant tout de l'ordre de la "rhétorique", selon la chercheuse Anne-Laure Delatte. "Lorsque vous réduisez certaines dépenses publiques, c'est comme un impôt. Il y a moins de dépenses pour l'Etat mais plus de dépenses privées, il s'agit d'un transfert : les Français auront moins de revenus disponibles à la fin du mois", résume l'économiste, qui appelle à sortir "de la binarité 'impôts contre dépenses'".
Le temps presse pour l'exécutif, qui doit parvenir à trouver rapidement la manne financière nécessaire. D'ordinaire, ces arbitrages interviennent plutôt en septembre ou en octobre. Mais cette année, les "grandes orientations" du budget et le plan de réduction du déficit public devront être dévoilés d'ici le 14 juillet, comme s'y est engagé le Premier ministre afin que "tout le pays réfléchisse à la situation dans laquelle on se trouve".
Toutes les pistes sont étudiées
Dans cette dernière ligne droite, pourtant, très peu de leviers d'économies ont été dévoilés. Ont-ils d'ailleurs été trouvés ?
"Il y a des ballons d'essais qui circulent dans la presse, puis, rapidement, le gouvernement fait marche arrière."
Mathieu Plane, économisteà franceinfo
Signe ultime de la complexité de l'équation, la ministre des Comptes publics exigeait publiquement, début juin, que les membres du gouvernement, chargés de proposer des pistes d'économie dans leur ministère, revoient leur copie. "Un bon ministre dégage des marges de manœuvre et pilote son administration", insistait Amélie de Montchalin dans un entretien au Journal du dimanche, avant d'affirmer : "Le compte n'y est pas."
"Trouver 40 milliards, c'est très ambitieux" et "toutes les pistes sont étudiées, sans tabou", a affirmé la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, sur franceinfo. Parmi elles, celle d'une "année blanche", qui permettrait de reconduire les dépenses sans les indexer sur l'inflation. "Cette mesure, presque apolitique, est aveugle : c'est une manière de dire 'je ne fais pas de choix'", analyse Mathieu Plane. Une solution jugée "imparfaite" par l'économiste, mais surtout, insuffisante. Dans un contexte d'une inflation qui ne cesse de reculer, une "année blanche" ne permet pas de se rapprocher des 40 milliards d'économie.
D'autres pistes sont à l'étude : celles d'une revue à la baisse des niches fiscales et autres crédits d'impôt, d'une baisse des dotations accordées aux collectivités locales, d'une réduction du nombre de fonctionnaires ou encore de la suppression d'agences de l'Etat. Les dépenses de santé devraient, elles aussi, être largement mises à contribution, alors que le gouvernement prévoit déjà 1,7 milliard d'euros d'économies dans ce domaine en 2025. Dans le viseur de l'exécutif également, le sujet de l'emploi et du financement de l'apprentissage.
"Il n'y aura pas une grande mesure choc, mais une succession de mesures qui vont affecter l'ensemble de la sphère de la dépense publique"
Mathieu Plane, économisteà franceinfo
Et alors que le gouvernement doit réduire de 6% les dépenses publiques d'ici à 2029, le directeur adjoint de l'OFCE met en garde face au danger que représenterait un échec dès la première marche : "2026 n'est que la première étape de l'Himalaya budgétaire. Si vous n'arrivez pas à passer le premier col, comment faites-vous pour la suite de l'ascension ?"