Budget 2026 : pourquoi est-il si compliqué politiquement de taxer davantage les plus riches, même si l'idée fait son chemin ?

Faut-il réduire les dépenses publiques ou augmenter la fiscalité pour résorber le déficit de la France ? C'est cette question aussi économique que politique qui divise la gauche et la droite, alors que François Bayrou va présenter, d'ici le 14 juillet, les grandes orientations du budget 2026 et un plan pluriannuel de redressement des finances publiques. Le Premier ministre a prévenu fin mai qu'il allait demander "un effort à tous les Français. Le plus juste possible, mais un effort suffisant". Pourrait-il, entre autres, faire des annonces sur la taxation des plus grandes fortunes ? L'idée, en tout cas, fait son chemin dans la classe politique, comme l'ont montré les récents débats à l'Assemblée nationale et au Sénat.

La "taxe Zucman", qui vise à instaurer un impôt plancher sur la fortune (IPF) de 2%, a fait l'objet d'âpres discussions. La proposition de loi déposée par les députés écologistes a même été adoptée à l'Assemblée nationale, en février, avant d'être rejetée jeudi 12 juin par un Sénat dominé par la droite et le centre. Le dispositif, inspiré par l'économiste Gabriel Zucman, prévoit d'imposer davantage les "ultrariches" qui possèdent plus de 100 millions d'euros de patrimoine.

"La taxation des riches est vue comme un totem de la gauche"

Cette mesure concernerait quelque 4 000 ménages domiciliés fiscalement en France, qui devraient s'acquitter, chaque année, de l'équivalent de 2% de la valeur de leur patrimoine en impôts sur le revenu et sur la fortune. L'objectif ? Que les plus aisés, qui échappent à une partie de l'impôt grâce à des "pratiques d'optimisation fiscale", selon le texte, paient un impôt juste tout en renflouant les caisses de l'Etat, dont le déficit a atteint 5,8% du produit intérieur brut (PIB) en 2024.

Le principe de cet impôt a été porté l'an dernier à l'agenda officiel du G20, à Rio de Janeiro, et a même reçu le soutien de plusieurs pays, dont le Brésil, l'Allemagne, l'Espagne et... la France, qui défend cette taxe à l'échelle internationale, mais s'y oppose au niveau national. "La 'taxe Zucman' a un sens si elle est mondiale. Vous pensez que si la France toute seule met une taxe sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, les gens vont gentiment rester pour être taxés ?", a lancé le chef de l'Etat sur TF1, le 13 mai, à propos d'un dispositif qui pourrait rapporter jusqu'à 20 milliards d'euros par an à l'Etat, selon Gabriel Zucman. Au-delà de la menace de l'exil fiscal des foyers ciblés, le gouvernement craint aussi d'envoyer un signal négatif aux investisseurs étrangers.

L'idée, pourtant, a eu le mérite de relancer un vieux débat autour de la fiscalité des "ultrariches", mais aussi des hauts revenus dans leur ensemble, que la gauche propose régulièrement de faire davantage contribuer. "L'idée mûrit lentement dans les esprits, mais elle fait face à une résistance, car la France est un pays très fiscalisé et la taxation des riches est vue comme un totem de la gauche", analyse Simon-Pierre Sengayrac, codirecteur de l'Observatoire de l'économie à la Fondation Jean-Jaurès. Selon lui, la mesure serait davantage acceptée si elle visait seulement à participer à la réduction du déficit, l'objectif du gouvernement, plutôt qu'à taxer les grosses fortunes, ce que l'exécutif goûte modérément.

Une politique de l'offre qui a favorisé les plus riches

Décrit par ses détracteurs comme "le président des riches", le chef de l'Etat a multiplié les réformes fiscales depuis le début de son premier quinquennat, en 2017. Il a notamment remplacé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), plus limité, baissé le taux de l’impôt sur les sociétés (de 33% à 25%) ou encore créé une "flat tax", un prélèvement forfaitaire unique qui limite à 30% l’imposition sur les revenus du capital.

Si la politique de l'offre d'Emmanuel Macron a eu un effet positif sur les créations d'entreprises, le retour en France des contribuables les plus fortunés et l'image du pays sur la scène internationale, l'effet sur l'investissement et la création d'emplois n'a pas pu être mesuré, selon un rapport publié en 2023 par France Stratégie, un organisme rattaché à Matignon. Les universitaires, députés, représentants de l'Insee ou encore partenaires sociaux ont aussi noté que la politique fiscale du chef de l'Etat avait permis une augmentation des dividendes versés, au bénéfice d'une population particulièrement restreinte (en 2021, 1% des foyers fiscaux a touché 96% des dividendes).

Selon France Stratégie, un rétablissement de l'ISF dans les mêmes critères qu'à sa suppression, en 2017, rapporterait 6,3 milliards d'euros par an à l'Etat, soit 4,5 milliards d'euros de plus que l'actuel impôt sur la fortune immobilière. "Mais le totem d'Emmanuel Macron, c'est de ne pas augmenter les impôts, et lui comme son bloc préconisent de baisser la dépense publique", plutôt que d'augmenter les impôts, y compris celui des plus riches, explique Simon-Pierre Sengayrac.

Des grands patrons vent debout

Dans un rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2024, l'impact des importantes baisses d'impôts octroyées depuis 2017 a été estimé à 62 milliards de recettes en moins pour les finances publiques. Et certaines mesures n'ont profité qu'aux plus aisés : les 0,1% des contribuables les plus riches ont ainsi vu leur niveau de vie augmenter d'environ 3,8% grâce à la "flat tax" (ou PFU), selon un rapport de l'Institut des politiques publiques (IPP) publié en novembre 2021.

Dans un autre rapport publié en juin 2023, l'IPP a estimé que le taux effectif d'imposition payé par les 0,1% les plus fortunés diminuait à mesure que l'on grimpe dans l'échelle des revenus : il passe de 46% pour le début de la tranche à 26% pour les 75 foyers les plus riches (les milliardaires). Des données à mettre en perspective avec l'enrichissement des 40 700 ménages les plus riches en France, qui a plus que doublé en vingt ans, relevait en janvier dernier une étude du ministère de l'Economie relayée par Le Monde.

Malgré tous ces chiffres, le Medef et les grands patrons restent vent debout contre une hausse de la fiscalité. Les mesures votées dans le budget 2025 – contribution exceptionnelle sur les hauts revenus à un taux moyen minimum de 20%, surtaxe provisoire de l'impôt sur les sociétés – avaient provoqué leur colère. Ils estiment que la compétitivité en prendrait un coup. Le patron de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, avait ainsi évoqué une "bêtise", tandis que le PDG de LVMH, Bernard Arnault, avait dénoncé une "taxe du made in France" qui "pousse à la délocalisation". Un argument semblable à celui du chef de l'Etat, qui estime qu'une "taxe Zucman" aurait des effets négatifs sur l'attractivité de la France.

Alors que le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a appelé mercredi 11 juin dans Les Echos à un effort de "tous, à commencer par les plus favorisés", le gouvernement entend toujours maintenir son cap de réduction des dépenses de l'Etat : les 40 milliards d'euros d'économies à faire l'an prochain passeront notamment par des coupes dans les ministères, la fusion ou la suppression d'un tiers des agences et opérateurs de l'Etat et la baisse du nombre de fonctionnaires.