Menacé par Israël, l'inamovible dirigeant iranien Ali Khamenei se bat pour sa survie

Un colosse aux pieds d'argile. Guide suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei dirige le pays d'une main de fer depuis 36 ans. Mais son règne et sa vie paraissent plus que jamais en danger face à une menace venue directement de son ennemi juré, Israël.

Jusqu'ici, son pouvoir semblait pourtant survivre à tout, que ce soit aux sanctions internationales, aux mouvements de contestation internes mais aussi aux tensions régionales quasi constantes. Mais depuis vendredi, l'affrontement sans précédent entre Israël et l'Iran semble avoir précipité le guide spirituel dans la crise la plus grave à ce jour.

Alors que des centaines de cibles militaires, nucléaires et sécuritaires iraniennes ont été visées, que plusieurs dirigeants des Gardiens de la révolution parmi les plus hauts gradés du pays ont été tués et que la population des grandes villes se trouve contrainte à l'exode, Israël ne veut pas s'arrêter là. Son objectif : anéantir le programme nucléaire iranien et frapper le régime des mollahs en plein cœur en tuant son leader spirituel et politique, Ali Khamenei.

Tuer l'ayatollah Ali Khamenei ne "mènera pas à une escalade du conflit" mais "mettra fin au conflit", a ainsi assuré le Premier ministre Benjamin Netanyahu sur la chaîne de télévision américaine ABC.

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L'Iran tente bien de répliquer. Le guide suprême iranien a affirmé jeudi dans une déclaration télévisée que son pays ne se rendrait pas. Pour lui, Israël a commis une "immense erreur" en attaquant l'Iran et en "paiera le prix".

Mais après cinq jours d'affrontement, le constat est clair : les deux pays ne se battent pas à armes égales et l'Iran pourrait bien vite se retrouver en position d'infériorité. D'autant plus que le conflit est encore suspendu à la possibilité d'une intervention américaine aux côtés d'Israël.

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Une profonde hostilité à l'égard de l'Occident

Pour de nombreux Iraniens, la situation actuelle donne un sentiment de déjà-vu. En 1980, alors que la République islamique n'avait qu'un an, elle avait déjà été précipitée dans une guerre de huit ans contre l'Irak de Saddam Hussein, qui bénéficiait alors du soutien de la plupart des puissances occidentales et régionales.

Et c'est d'ailleurs en partie le traumatisme de ce conflit qui aura dicté la politique d'Ali Khamenei.

L'homme de 86 ans a succédé à l'ayatollah Rouhollah Khomeini en 1989, devenant alors le deuxième guide suprême du pays depuis l'instauration de la République islamique. À ce poste, il détient l'autorité suprême sur toutes les branches du gouvernement, l'armée et la justice et a la charge de déterminer les grandes orientations politiques du pays. Autrement dit, il est l'homme le plus puissant d'Iran. Si les élus gèrent les affaires courantes, aucune politique d'envergure n'est mise en œuvre sans son approbation explicite.

De la guerre en Irak, il garde une profonde hostilité à l'égard de l'Occident, en particulier vis-à-vis des États-Unis, et une volonté de faire de son pays une puissance régionale dotée d'alliés de poids capables de venir l'épauler en cas de nouveau conflit. En parallèle, il s'affaire aussi à développer l'arsenal militaire iranien, décuplant la capacité de fabrication de missiles et de drones.

Pendant longtemps, il espère que cela suffit à dissuader ses ennemis d'attaquer son territoire. Et un temps, cela a fonctionné. Jusqu'aux attaques du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas en Israël. Depuis, Ali Khamenei regarde avec impuissance le gouvernement de Benjamin Netanyahu neutraliser, diminuer ou renverser tous ses alliés – le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen mais aussi le régime de Bachar al-Assad en Syrie.

Progressivement, l'"axe de la Résistance" qui protégeait le régime iranien s'est ainsi étiolé, ouvrant la porte à un nouveau front pour Israël et déposant une cible dans le dos d'Ali Khamenei.

Quel soutien américain ?

Sur un plan technique, Israël a déjà montré sa capacité à cibler ses principaux adversaires : à Gaza avec les dirigeants du Hamas, au Liban avec ceux du Hezbollah, désormais en Iran. Mardi, l’État hébreu a affirmé avoir tué Ali Shadmani, qu’il présente comme "le commandant militaire le plus haut gradé et la figure la plus proche du guide suprême iranien Ali Khamenei".

L'opération s'annonce pourtant bien plus complexe pour le guide suprême, qui sait se cacher et se protéger. Depuis son arrivée à la fonction suprême iranienne, l'ayatollah n'a jamais quitté l'Iran. Sa dernière visite à l'étranger remonte à 1989, en Corée du Nord, lorsqu'il était encore président. Ses déplacements sont secrets et extrêmement sécurisés. Si, selon plusieurs médias, lui et sa famille se cacheraient actuellement dans un bunker dans le nord-est de Téhéran, rien n'est moins sûr.

Quoi qu'il en soit, avant de se lancer dans une telle opération, Israël aurait besoin de l'aval de son plus grand soutien : les États-Unis. Or, selon des sources américaines, les Israéliens auraient informé les États-Unis de la possibilité d’éliminer le guide suprême iranien au début de leur attaque contre leur voisin, en même temps que plusieurs hauts responsables militaires et scientifiques iraniens. Et la Maison Blanche aurait clairement fait savoir que Donald Trump s’opposait à l'élimination du guide suprême.

Le président américain, lui, veut un accord et maintient la pression. Mardi, dans un message posté sur sa plateforme Truth Social, il a appelé l'Iran à une "capitulation sans conditions", avant de menacer : "Nous savons exactement où se cache le prétendu 'guide suprême'. Il est une cible facile mais là, il est en sécurité. Nous n'allons pas l'éliminer (le tuer !), du moins pour le moment", a-t-il assuré.

La fin du programme nucléaire ?

Aux prémices de la confrontation, les États-Unis avaient d'ailleurs salué l'opération israélienne, la voyant comme une façon d'arracher au régime iranien un accord sur le nucléaire. Or, s'accordent à dire les spécialistes, aller jusqu'à la mort d'Ali Khamenei pourrait avoir l'effet inverse en précipitant les efforts iraniens pour obtenir l'arme nucléaire.

Connu pour allier rigidité idéologique et pragmatisme stratégique, Ali Khamenei s'est plusieurs fois montré prêt à négocier lorsque la survie de la République islamique est en jeu, y compris sur le dossier nucléaire.

En 2015, c'est lui qui avait accepté un accord avec six puissances mondiales pour restreindre le programme nucléaire iranien en échange d'un allégement des sanctions imposées au pays. Une façon, espérait-il, de stabiliser l'économie iranienne et de consolider sa mainmise sur le pouvoir. Plus d'une décennie plus tôt, au milieu des retombées de l'invasion de l'Irak en 2003, il avait aussi émis une fatwa – un édit religieux – condamnant les armes nucléaires et chimiques.

Depuis mars, il est de nouveau confronté au dilemme alors le président américain Donald Trump a révélé vouloir discuter d'un nouveau pacte nucléaire avec l'Iran.

Téhéran affirme que son programme nucléaire est purement pacifique et civil, mais l'Occident soupçonne un développement clandestin d'armes et Israël y voit une menace existentielle.

"L'ironie est que la position de Khamenei a été l'un des facteurs déterminants pour ne pas développer d'armes nucléaires en Iran", explique Rouzbeh Parsi, spécialiste du Moyen-Orient et maître de conférences à l'université de Lund en Suède. Or, "s'il est tué, cela détruira toutes les chances de reprendre les négociations et garantira que l'Iran se lance dans l'armement nucléaire", estime-t-il.

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Un après qui soulève de grandes incertitudes

Selon le spécialiste, ces hésitations sont en tout cas révélatrices d'une chose : l'absence d'un objectif stratégique clair pour l'opération militaire israélienne.

"En fin de compte, la solution politique est soit une négociation avec Téhéran, soit l'élimination de la République islamique", poursuit-il. Et si "les Israéliens ont clairement fait savoir qu'ils ne veulent aucun type de négociation avec le régime iranien, ils ne peuvent pas non plus provoquer un changement de régime sans l'aide américaine".

Sans compter que la potentielle chute du régime iranien soulève une ultime question : par quoi et par qui serait-il remplacé ? Dans une interview à Fox News lundi, Benjamin Netanyahu a bien suggéré que les frappes israéliennes pourraient mener à un "changement de régime" en Iran, tout en insistant que ce serait au peuple iranien d'en être à l'initiative.

"L'idée que cela se termine par un soulèvement populaire qui change le régime ou donne le pouvoir à quelqu'un de l'opposition iranienne à l'étranger n'a aucune base dans la réalité", réagit cependant l'expert iranien Arash Azizi, chercheur principal à l'université de Boston, dans un entretien à l'AFP.

Plus vraisemblablement, estiment les spécialistes, la chute d'Ali Khamenei ouvrirait une période de grandes incertitudes. Une peur de l'après qui explique aussi pourquoi les États-Unis gardent le pied sur le frein.

Cet article a été adapté de l'anglais par Cyrielle Cabot. L'original est à retrouver ici.