Guerre dans la bande de Gaza : ce que l'on sait des accusations de mélange d'opioïde à de la farine distribuée aux Palestiniens

Des comprimés suspects qui alimentent la psychose. Ces derniers jours, plusieurs images ont été relayées sur les réseaux sociaux montrant des cachets qui auraient été glissés dans des sacs de farine distribués par la très controversée Fondation humanitaire de Gaza (GHF). Au milieu des frappes de l'armée israélienne et du désastre humanitaire, la rumeur a enflammé les canaux Telegram et les stories Instagram, au point d'être brandie par les autorités gazaouies.

Dans un communiqué datant du 27 juin, le bureau des médias du gouvernement de Gaza, qui dépend du Hamas, a jugé ces témoignages crédibles et accusé Israël de vouloir créer et "propager des addictions" à l'oxycodone, un puissant opioïde, dont les effets similaires à la morphine peuvent rendre rapidement accro. Mais le camp israélien nie en bloc, rappelant que ce conflit est aussi une guerre de l'information. Retour sur cette alerte suspecte qui fait réagir bien au-delà de la bande de Gaza.

Des photos virales difficiles à authentifier

Au moins trois images évoquant ces pilules antidouleur ont été partagées en masse sur internet. On y voit des cachets blancs ou beiges placés dans le creux d'une main, marqués d'une inscription "G 80" ou d'une ligne destinée à couper le comprimé en deux. Sur deux photos, la personne tenant le cachet a la main couverte d'une poussière blanchâtre. L'un des clichés montre un tamis en arrière-plan, et se trouve souvent diffusé avec ce témoignage en arabe : "Voilà ce que j'ai découvert en tamisant la farine." Dans leur communiqué, les autorités de Gaza ajoutent qu'elles craignent que des médicaments de type oxycodone aient pu "être délibérément moulus ou dissous dans la farine elle-même", dénonçant une "attaque directe contre la santé publique".

Un utilisateur de la plateforme Instagram assure avoir retrouvé des cachets suspects en tamisant de la farine distribuée dans la bande de Gaza. (CAPTURE D'ECRAN / INSTAGRAM / FRANCEINFO)
Un utilisateur de la plateforme Instagram assure avoir retrouvé des cachets suspects en tamisant de la farine distribuée dans la bande de Gaza. (CAPTURE D'ECRAN / INSTAGRAM / FRANCEINFO)

Sans autres sources, difficile d'en savoir plus sur ces accusations à partir de ces seuls éléments. "Nous avons pris connaissance de ces images, mais aucune organisation de notre réseau n'a eu de confirmation à ce sujet", explique à franceinfo Pierre Motin, responsable plaidoyer de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, qui cherche encore "une source crédible". Sollicitée, l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, "ne peut ni confirmer ni infirmer" ces signalements. Même prudence chez Médecins du monde, dont les équipes sont actives dans l'enclave palestinienne. "Nous ne nions en rien le phénomène, qui reste plausible, mais nous n'en sommes pas des témoins directs", fait savoir l'ONG médicale.

Outre ces photos, deux personnes se présentant comme un pharmacien et un médecin de Gaza ont partagé sur X et sur Facebook des alertes concernant la présence d'oxycodone dans des sacs de farine. Dans un message publié le 26 juin, un certain docteur Khalil Mazen Abu-Nada fait état d'une "propagation illégale d'une drogue connue sous le nom d'oxycodone (...) passée clandestinement à travers des sacs de farine", avant de lister les effets secondaires de cet antidouleur : baisse du rythme cardiaque, dépression respiratoire, perte de conscience... ainsi qu'une sévère addiction.

Impossible de confirmer que les comprimés sont bien de l'oxycodone sur la foi de simples photos. Les inscriptions présentes sur les cachets sont en tout cas insuffisantes, comme l'a expliqué à 20 Minutes Maryse Lapeyre-Mestre, responsable du Centre d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance et d'addictovigilance de Toulouse. "Cette présentation ne correspond pas aux comprimés d'oxycodone disponibles sur notre marché intérieur, mais il s'agit probablement de faux médicaments", note-t-elle cependant, ajoutant que "tout est possible" concernant le contenu de ces cachets.

La Fondation humanitaire de Gaza se défend de toute manipulation

Ces accusations de contamination de sacs de farine interviennent dans un contexte extrêmement tendu au sujet de la faim dans la bande de Gaza. Après un blocage total des camions d'aide alimentaire ordonné le 2 mars, Israël a partiellement rouvert les axes d'acheminement, mais sous l'égide de la Fondation humanitaire de Gaza, organisation opaque soutenue par l'Etat hébreu et le gouvernement américain.

Devenue la plaque tournante des distributions alimentaires dans l'enclave, la GHF a rapidement été accusée de contaminer la farine. Ce qu'elle a nié en bloc le 28 juin, accusant le Hamas de mener une campagne de désinformation. "La farine que nous distribuons est conditionnée commercialement et n'est ni produite, ni manipulée par le personnel de la GHF (...), aucune boîte de farine ouverte avant distribution ne peut être distribuée", a-t-elle assuré sur son compte X. Trafic de bandes mafieuses, contamination volontaire, rumeur répandue pour détourner les Gazaouis des centres de distribution... Dans ce contexte, "tous les scénarios sont possibles, si tant est que ces cachets soient bien des opioïdes", rappelle Pierre Motin.

Un système de distribution d'aide chaotique et meurtrier, dénoncé par les ONG et l'ONU

Pour le responsable de la Plateforme Palestine, cette polémique aux contours flous ne doit pas occulter "les méthodes désastreuses" de la GHF, accusée par de nombreuses ONG, ainsi que l'ONU, d'attirer les populations affamées vers "un champ de bataille". En marge de ces distributions chaotiques, plus de 500 personnes ont déjà été tuées et 4 000 autres blessées, selon Médecins sans frontières (MSF), qui dénonce "un massacre maquillé en aide humanitaire". Ces morts sont imputées en grande partie à l'armée israélienne, accusée d'avoir tiré délibérément dans la foule, et qui ne reconnaît que des coups de semonce.

Des Palestiniens transportent des denrées alimentaires distribuées par la fondation privée GHF près du camp de réfugiés de Nuseirat (bande de Gaza), le 26 juin 2025. (EYAD BABA / AFP)
Des Palestiniens transportent des denrées alimentaires distribuées par la fondation privée GHF près du camp de réfugiés de Nuseirat (bande de Gaza), le 26 juin 2025. (EYAD BABA / AFP)

"Face aux violences, les gens s'organisent désormais en groupes et s'arment pour aller chercher de la nourriture, c'est extrêmement inquiétant et surtout déshumanisant", déplore Pierre Motin. Outre la GHF, le Programme alimentaire mondial parvient à faire entrer des camions de farine au compte-gouttes dans la bande de Gaza. Mais ces convois trop peu nombreux sont régulièrement pris d'assaut, et même "pillés par des bandes qui revendent leur cargaison au prix fort", explique à franceinfo un cadre humanitaire local, qui souhaite rester anonyme. "C'est le chaos, mais un chaos orchestré de A à Z par le gouvernement israélien qui veut pousser la population à bout", dénonce cette même source. 

Samedi, la France s'est dite "prête à concourir à la sécurité des distributions alimentaires" à Gaza, sans autre précision. Une annonce qui a provoqué un tollé au sein des ONG. "Cette proposition revient à légitimer les actions de la GHF, ce qui est inacceptable", tance Pierre Motin, ajoutant que "la majorité des acteurs humanitaires refuse de travailler avec cette fondation". MSF appelle même à "démanteler" ce système de distribution, jugé discriminant, inadapté et trop dangereux. "L'ONU est capable de reprendre en main les distributions, les ONG internationales ont le savoir-faire et n'attendent que ça. Mais Israël ne fera aucun pas en arrière sans pression des pays tiers, dont la France", redoute Pierre Motin.