Trump conteste le droit du sol aux États-Unis : une usine à gaz judicaire "sans base légale"
Donald Trump a perdu la première manche. Mais la bataille promet d'être longue. Un tribunal fédéral de Seattle a temporairement bloqué, jeudi 23 janvier, le décret du président américain révoquant le droit du sol, qualifiant cette mesure de "manifestement inconstitutionnelle". "Évidemment, nous ferons appel", a dans la foulée réagit le président américain face à la presse, depuis la Maison blanche.
Parmi les premiers actes signés dès son investiture, le nouveau président des États-Unis a ordonné aux agences fédérales d'abolir l'attribution automatique de la citoyenneté des enfants nés aux États-Unis, s'ils n'ont pas au moins un parent citoyen ou résident permanent légal dans le pays.
L'encre à peine sèche, 22 États américains, dont New York, le New Jersey, le Connecticut, Hawaï et la Californie, se sont unis dans une spectaculaire fronde contre le nouveau pouvoir, signifiant à Donald Trump une avalanche de poursuites judiciaires.
Les villes de San Francisco et de Washington ont également rejoint ce combat, déposant une plainte auprès du tribunal fédéral de district du Massachusetts. D'autres actions ont également été intentées par des groupes de défense des droits des immigrés et par une femme enceinte vivant aux États-Unis depuis 15 ans et qui cherche à devenir résidente permanente.
Un "acte extrême et sans précédent"
Signé quelques heures seulement après le début de sa seconde présidence, le décret de Donald Trump vise à mettre fin à la citoyenneté de naissance, c'est-à-dire à la citoyenneté automatique accordée à toute personne née aux États-Unis, quel que soit le statut d'immigration de ses parents.
En vertu de ce décret, les agences fédérales devaient cesser, à partir du mois prochain, de délivrer des documents de citoyenneté aux enfants nés de mères sans papiers ou de mères séjournant dans le pays avec un visa temporaire, comme les touristes ou les étudiants étrangers, si le père n'est pas citoyen américain ou résident permanent.
Or les États-Unis accordent la citoyenneté automatique à toute personne née sur leur territoire, conformément au 14e amendement de la Constitution.
"Depuis plus de 150 ans, notre pays suit la même règle de base : les bébés qui naissent dans ce pays sont des citoyens américains", a déclaré le procureur général du New Jersey, Matthew Platkin, lors d'une conférence de presse mardi.
"Dans ce pays, les présidents disposent d'un large pouvoir. Mais ils ne sont pas des rois", a-t-il rappelé, qualifiant le décret de Donald Trump d'"acte extrême et sans précédent".
Pour Alex Nowrasteh, vice-président chargé des études de politique économique et sociale au Cato Institute, un think tank basé à Washington, l'issue de la bataille judiciaire qui débute laisse peu de doutes.
"Il n'y a pas de base légale pour ce décret", dénonce-t-il.
"Ils (ceux qui contestent le décret) ont des centaines d'années de jurisprudence de leur côté, le texte du 14e amendement et de très nombreuses décisions de justice", souligne-t-il.
Le droit du sol, "fondement de l'identité américaine"
Le droit du sol, protégé par la constitution américaine depuis 1868, a joué un rôle déterminant dans l'octroi des droits de citoyenneté aux Afro-Américains. La Cour suprême des États-Unis a examiné cette question pour la dernière fois en 1898, lorsqu'elle a statué en faveur d'un enfant d'immigrés chinois né aux États-Unis qui avait obtenu gain de cause après s'être vu refuser la citoyenneté.
Les tentatives de Donald Trump d'éliminer ce droit nécessiteraient un vote des deux tiers à la fois à la Chambre des représentants et au Sénat des États-Unis pour réussir à modifier la Constitution.
Les partisans de la ligne dure de Trump en matière d'immigration soutiennent que la citoyenneté de naissance favorise l'immigration illégale et encourage les femmes enceintes à entrer illégalement aux États-Unis pour y "ancrer des bébés".
Jugeant que des femmes immigrées dévoient le droit du sol, Donald Trump et ses soutiens estiment que les enfants de clandestins devraient pouvoir être expulsés en même temps que leurs parents, même s'ils sont nés aux États-Unis.
Selon le Pew Research Center, environ 4,4 millions d'enfants nés aux États-Unis vivaient avec un parent immigré sans papiers en 2022. Parmi les adultes nés aux États-Unis, on estime que 1,4 million ont des parents sans papiers.
Tara Watson, directrice du Centre pour la sécurité et les opportunités économiques à l'Institut Brookings Institution et autrice du livre "The Border within: The economics of Immigration in an Age of Fear", se dit convaincue que le droit du sol est immuable.
"Ce décret vise principalement à susciter la peur et à signaler l'hostilité à l'égard des Américains de deuxième génération", analyse-t-elle. "Le droit du sol est un tel fondement de l'identité et de la législation américaine que le simple fait d'en parler bouscule et désoriente."
Maillon du projet antimigration de Donald Trump
Depuis sa prestation de serment, Donald Trump a mis en branle plusieurs mesures de son projet visant à "repousser, rapatrier et expulser" les immigrés illégaux.
Outre la révocation du droit du sol, le président a suspendu le programme d'admission des réfugiés pendant au moins trois mois et a exigé un réexamen de la sécurité nationale qui pourrait aboutir à une interdiction d'entrée pour les ressortissants de certains pays.
Autre mesure extrême : la levée de l'interdiction pour les services de l'immigration et les douanes (ICE) de procéder à des arrestations dans les lieux sensibles, dont les écoles, les églises et les hôpitaux.
Environ 733 000 enfants en âge d'être scolarisés se trouvent illégalement aux États-Unis, selon le Migration Policy Institute. Ils pourraient être arrêtés au sein de leurs établissements scolaires si cette mesure venait à être appliqué.
Actuellement bloqué, le décret de Donald Trump sur la révocation du droit du sol était censé entrer en vigueur le 19 février. Les experts juridiques semblent s'accorder sur le fait que la longue bataille judicaire autour de ce texte risque de remonter jusqu'à la Cour suprême des États-Unis.
Au-delà du débat autour de la mesure en elle-même, certains voient en ce texte une ingérence dans les droits constitutionnels qui pourrait créer un dangereux précédent.
Enfin, même au sein la population américaine, majoritairement favorable à un durcissement des lois migratoires, la mesure est loin de faire l'unanimité.
Dans un sondage AP-NORC réalisé la semaine dernière, seuls 28 % des Américains interrogées se sont déclarés favorables à l'abrogation du droit du sol. 51 % des sondés se sont déclarés opposés à une modification de la Constitution, permettant de supprimer la citoyenneté automatique attribuée aux enfants d'immigrés clandestins nés sur le sol Américain.
* Cet article a été adapté depuis la version originale en anglais, disponible ici
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