Bombardements en Asie du Sud : entre l’Inde et le Pakistan, la crainte d’une guerre totale

Antonio Guterres a eu les mots justes. « Le monde ne peut pas se permettre une confrontation militaire entre l’Inde et le Pakistan », a déclaré le secrétaire général de l’ONU mercredi 7 mai. Mais, une nouvelle fois, il n’a que les mots. La nuit même, l’armée de terre, de l’air et la marine indiennes bombardaient plusieurs localisations pakistanaises.

L’opération conjointe « Sindoor », du nom de la poudre rouge qui recouvre les fronts et cheveux des femmes hindoues mariées, avait pour but de venger l’attentat – non revendiqué – de Pahalgam, le 22 avril dernier. Vingt-six personnes avaient été tuées dans cette ville du Jammu-et-Cachemire, le nom de la province cachemirie contrôlée par l’Inde. Depuis, Delhi et Islamabad sont à couteaux tirés, et 48 personnes ont été tuées.

Le long de la frontière, les tirs ne faiblissent pas

Rehana Saeed Hashmi est docteure en sciences politiques à l’université du Pendjab. Elle habite à Lahore, à quelques kilomètres de la frontière indienne et de trois des cibles indiennes. « Il était environ 1 h 30, donc la plupart des Pakistanais dormaient, explique-t-elle. Mais, à partir de l’aube, nous avons tous vu les informations, particulièrement dans le Pendjab, qui disaient que les Indiens avaient frappé une mosquée en affirmant que c’était un repaire terroriste. »

Si le gouvernement indien qualifie son assaut de « ciblé, mesuré et de nature non escalatoire », au moins 31 personnes ont été tuées cette nuit. Dans un communiqué, Masood Azhar, le leader du mouvement islamiste Jaish-e-Mohammed, indique qu’une dizaine de membres de sa famille sont morts dans le bombardement de la mosquée Bahawalpur, dont cinq enfants.

De son côté, le Pakistan a répliqué en bombardant plusieurs localisations indiennes, dont une base militaire, la ville de Poonch, où 12 personnes sont mortes, et en abattant cinq avions de chasse. À la frontière, lourdement militarisée, les tirs ne faiblissent pas. Islamabad a multiplié les actions : tirs d’artillerie, défense antiaérienne, neutralisation de drones et a fermé durant plusieurs heures les principaux aéroports du pays « pour des raisons opérationnelles », a annoncé, jeudi 8 mai, l’autorité de l’aviation civile. « Ils ont pris l’initiative, nous avons juste répondu. Si l’Inde est prête à reculer, nous aussi », affirmait le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Muhammad Asif.

« Nous ne sommes pas dans un état de peur, mais d’incertitude quant aux risques d’escalade du conflit, craint Rehana Saeed Hashmi. L’Inde a accusé le Pakistan sans aucune enquête ni aucune preuve, et a attaqué de façon irrationnelle un État souverain. Sauf que maintenant que le droit international a été violé, le Pakistan est dans son droit de répondre. Je pense que le gouvernement vise la désescalade, puisqu’il a dit avoir répondu après avoir abattu les cinq avions de chasse. »

De son côté, le ministère de la Défense indien, faisant état de 16 morts civils, a confirmé que « dans la nuit du 7 au 8 mai, le Pakistan a tenté de viser des cibles militaires dans le nord et l’ouest de l’Inde (…) avec des drones et des missiles ». Dans ce communiqué, New Delhi détaille avoir répliqué contre des radars et des systèmes de défense aérienne au Pakistan, notamment à Lahore.

Une opération soutenue par la population

Les peuples indien et pakistanais vivent régulièrement des attentats terroristes, notamment dans la région du Cachemire, divisée entre l’Azad Cachemire (Pakistan) et le Jammu-et-Cachemire (Inde), dont le premier ministre indien, Narendra Modi, a récemment révoqué l’autonomie. Les deux États, régulièrement ensanglantés, s’accusent de financer des groupes terroristes.

« Nous avons beaucoup de frontières poreuses avec l’Afghanistan, dans le Baloutchistan et le Khyber Pakhtunkhwa, d’où proviennent des groupes terroristes, rappelle la docteure en sciences politiques. Mais, lors de l’attentat terroriste du Jaffar express (le 11 mars, des islamistes faisaient exploser un train du Baloutchistan, faisant 64 morts et 380 blessés, NDLR), le gouvernement n’a pourtant pas voulu faire d’allégations visant Delhi ! »

En Inde, justement, l’opération « Sindoor » est soutenue par l’entièreté de la classe politique, opposition progressiste comprise. Le Parti communiste indien-marxiste (PCI-M), qui tenait sa première réunion après son 24e congrès à Madurai, veut « continuer de faire pression sur le Pakistan pour qu’il livre les responsables du massacre d’innocents à Pahalgam ». Il a toutefois prévenu des conséquences d’une escalade, rejetant « des mesures telles que la démolition de maisons de terroristes, qui affecte des familles innocentes et aliène le peuple ».

La destruction de lotissements entiers est l’une des spécialités du Bharatiya Janata Party (BJP, extrême droite) de Narendra Modi, suprémaciste hindou qui alimente continuellement la haine contre les musulmans et les Pakistanais depuis son arrivée au pouvoir, en 2014. Le PCI-M condamne d’ailleurs cette « campagne de haine en cours sur les réseaux et qui a conduit à des attaques sur des individus », qui « ne sert que l’objectif des terroristes de diviser le peuple ». Depuis Pahalgam, l’islamophobie bat son plein dans la plupart des médias indiens, possédés pour beaucoup par les milliardaires Gautam Adani et Mukesh Ambani, proches de Narendra Modi.

Ce dernier avait déjà décidé, une semaine après l’attentat, de lancer une inhumaine guerre de l’eau en suspendant le traité sur le partage des eaux de la Chenab et de l’Indus. Ce dernier fleuve prend sa source en Inde et abreuve le Pakistan, et notamment le Pendjab très densément peuplé. Lors de l’opération « Sindoor », l’armée indienne a d’ailleurs également visé le barrage hydroélectrique de Neelum-Jhelum, concrétisant une nouvelle étape franchie dans la tension entre les deux pays.

L’escalade pourrait aller beaucoup plus haut : l’Inde et le Pakistan font tous deux partie des neuf États du monde possédant l’arme nucléaire. Le gouvernement pakistanais n’avait d’ailleurs pas hésité à le rappeler. « Je ne crois pas à une guerre nucléaire, puisque les deux États savent que ce serait un désastre, veut croire Rehana Saeed Hashmi. Mais nous devons faire en sorte que ce ne soit pas non plus une guerre, puisque l’Inde et le Pakistan ont tous deux des missiles extrêmement puissants. Il faut que les institutions internationales s’emparent de la situation et éviter une plus grande tragédie. » Dès que les missiles indiens se sont écrasés de l’autre côté de la frontière, la Chine et le Royaume-Uni se sont proposés pour aider aux discussions.

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