Après l’attentat au Cachemire, l’Inde et le Pakistan engagés dans une démonstration de force

À quoi joue Narendra Modi ? Après l’attaque terroriste du 22 avril, qui a fait 26 morts au Cachemire indien, le Premier ministre nationaliste, a signifié avoir donné à son armée « la liberté opérationnelle de répondre » après avoir suspendu unilatéralement le traité sur le partage des eaux de l’Indus qui tenait jusqu’alors malgré quatre conflits directs en 1947, 1965, 1971 et 1999. Alors que les échanges de tirs se poursuivent le long de la ligne de contrôle (LoC), frontière de facto entre les deux pays, le Pakistan, qui rejette toute responsabilité dans l’attentat de la semaine passée, requiert une « enquête neutre » sur l’attentat.

Il renvoie également les accusations de soutien au terrorisme à l’Inde. Pour appuyer son propos, l’armée pakistanaise assure avoir abattu 54 djihadistes, soutenus par New Delhi, qui tentaient de s’infiltrer sur son territoire depuis l’Afghanistan. L’allégation renvoie à un fait classique entre les deux rivaux qui s’accusent régulièrement de dépêcher des espions. En 2017, le Pakistan avait ainsi condamné à mort Kulbushan Sudhir Jadhav, accusé d’être un agent du renseignement, arrêté un an plus tôt au Baloutchistan.

De son côté, l’Inde multiplie les arrestations en lien avec l’attaque du 22 avril, dans la partie qu’elle contrôle au Cachemire, et a lancé un avis de recherche contre trois militants du LeT, le mouvement jihadiste Lashkar-e-Taiba, basé au Pakistan, auquel elle impute l’attaque. Celle-ci a été revendiquée officiellement par le groupe Kashmir Resistance, également appelé The Resistance Front (TRF). Apparu en 2019, il est considéré comme une émanation du Lashkar-e-Taiba.

Une opération armée indienne sous « 24 à 36 heures » ?

Cette fois, après avoir abattu un drone de surveillance qui aurait pénétré l’espace aérien au Cachemire, le Pakistan explique disposer de « renseignements crédibles » sur l’imminence d’une opération armée indienne sous « 24 à 36 heures ». Le ministre pakistanais de l’Information, Attaullah Tarar, prévient : « Toute agression entraînera une riposte décisive. L’Inde sera pleinement responsable de toute conséquence grave dans la région ». L’Inde semble vouloir profiter des coups de boutoirs portés au droit international par d’autres puissances, comme les États-Unis, la Russie ou Israël, pour tirer parti de la situation provoquée par l’attentat au Cachemire et réaffirmer sa souveraineté sur le territoire contesté.

Le secrétaire général de l’ONU a tenté de calmer le jeu. Antonio Guterres s’est ainsi entretenu séparément par téléphone avec le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif et le ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, les enjoignant à « éviter » un affrontement direct aux « conséquences tragiques ». Sur le plan régional, la Chine, l’Arabie saoudite, toutes deux alliées du Pakistan, mais aussi l’Iran ont pris des contacts avec Islamabad et New Delhi pour éviter que la situation ne dégénère entre les deux puissances nucléaires.

Narendra Modi n’en est pas à son coup d’essai dans la politique du fait accompli. En 2019, le premier ministre indien avait révoqué l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire, en proie à une insurrection autonomiste depuis les années 1980. Cependant, il y a loin de la disparition du statut spécial à l’annexion.

Dans une tribune parue dans le quotidien pakistanais de langue anglaise, Dawn, l’analyste Zahid Hussain estime que « la véhémence de l’Inde s’explique principalement par le fait que l’attentat terroriste a mis à mal l’idée selon laquelle la situation au Cachemire occupé est tout à fait normale et que la population a accepté la décision de New Delhi d’abroger le statut d’autonomie du territoire détenu. Le gouvernement Modi n’est pas disposé à accepter l’échec de ses propres services de renseignement ».

L’armée pakistanaise tentée de jouer la confrontation

Dans cette escalade, le Pakistan n’est pas en reste. Le ministre de la Défense ne cesse depuis quelques jours de faire étalage des capacités nucléaires de son pays. À Islamabad, l’armée, qui tire traditionnellement les ficelles, reste une institution puissante. Cette dernière pourrait être tentée de jouer de la confrontation avec l’Inde à l’heure où l’opinion publique laisse entrevoir des signes de lassitude et remet en cause son pouvoir du fait des problèmes de sécurité intérieure et de terrorisme dans un paysage économique dévasté.

En janvier dernier, 2 000 pêcheurs et agriculteurs protestaient ainsi à proximité du barrage de Kotri (sud) contre l’érection d’un canal dont une entreprise gérée par l’armée, Green Pakistan, pourrait tirer les bénéfices. Cette extension de la mainmise des militaires sur l’économie, l’agriculture et l’énergie nourrit la contestation.

Toutefois, tempère Zahid Hussain, « en 2002, la menace d’une guerre totale entre les deux pays était imminente, mais la raison l’a emporté. Non seulement la guerre a été évitée, mais un processus de paix plus substantiel entre l’Inde et le Pakistan a également été observé ». Pour l’heure, Narendra Modi, issu des rangs de l’extrémisme hindouiste, semble porté par l’illusion de sa supériorité militaire pour tenter de modifier la situation au Cachemire à majorité musulmane. Il profite en ce sens de ce que les yeux du monde soient tournés vers d’autres conflits majeurs, en Ukraine et à Gaza.

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