PORTRAIT. Ligue des champions : Luis Enrique, l'entraîneur intransigeant devenu la star d'un PSG transfiguré, à la conquête de l'Europe
"Je ne suis pas du tout inquiet." Alors que le PSG a subi sa première défaite en championnat de la saison vendredi face à Nice, et abandonné son rêve de terminer la Ligue 1 invaincu, Luis Enrique est resté fidèle à sa volonté de transmettre de la confiance à ses joueurs, juste avant la demi-finale aller de Ligue des champions, mardi 29 avril, sur la pelouse d'Arsenal. C'est la deuxième fois en deux saisons au club que le coach parisien atteint ce niveau de la compétition. Et après avoir décroché un nouveau titre de champion de France dès le 5 avril, l'Espagnol peut encore espérer un quadruplé historique à la tête du club de la capitale.
Depuis son arrivée à l'été 2023, il s'est progressivement imposé comme le personnage central du nouveau Paris Saint-Germain. Neymar, Messi puis Mbappé ont largué les amarres, et c'est désormais lui qui tient le gouvernail. Pourtant, quand il chaussait encore les crampons, au Real Madrid ou à Barcelone, il n'a jamais été la star d'un projet de jeu. Besogneux et aussi polyvalent que ses attaquants le sont aujourd'hui, il a joué à presque tous les postes au service du collectif. "Depuis qu'il a commencé à jouer au foot, il se comporte comme un amoureux de sa profession", explique à franceinfo le journaliste et entraîneur Lluis Lainz, membre de l'encadrement du FC Barcelone quand Luis Enrique y a joué, entre 1996 et 2004.
"C'est évident qu'avant même de terminer sa carrière de footballeur, il avait en tête de devenir entraîneur, mais pas n'importe quel entraîneur."
Lluis Lainz, auteur du livre "La méthode Luis Enrique"à franceinfo
Pour arriver à ses fins, l'homme ne tergiverse pas. Joueur, déjà, il a avait le sang chaud, jusqu'à en venir aux mains avec son coéquipier Marc Overmars à l'entraînement. Désormais, il faut le voir bondir et gesticuler dans sa zone technique quand l'équipe qu'il dirige ne récite pas la partition qu'il a composée. "Si je pouvais déplacer mes joueurs à distance en leur envoyant des décharges électriques, ce serait parfait", avoue-t-il dans le documentaire "Vous ne pouvez pas comprendre", diffusé l'an dernier sur Canal+. En Espagne, ce caractère orageux a laissé de nombreux souvenirs sur son passage. "Pour moi, les trois adjectifs qui le qualifient le mieux sont : obstiné, rigoureux et sincère", confie à franceinfo Marti Perarnau, journaliste espagnol proche de Pep Guardiola, son prédécesseur sur le banc des Catalans.
La presse, "c'est une corvée pour lui"
L'Espagnol redouble aussi d'énergie quand il s'agit de détourner les questions des journalistes. "Vous savez, je ne dis pas souvent la vérité", avait-il admis en conférence de presse avant le huitième de finale retour à Liverpool. "Dès lors que j'ai vu que toute la presse était contre moi, je me suis dit que j'étais sur le bon chemin", tacle-t-il encore mi-avril, avant le quart retour sur le terrain d'Aston Villa. Le technicien entretient depuis longtemps une relation plus que tumultueuse avec les médias. Le journaliste Frédéric Hermel fait remonter la brouille à 1996 et le transfert de Luis Enrique du Real Madrid vers l'ennemi juré barcelonais. "Il s'est fait démonter dans la presse madrilène, c'est vraiment une bascule", expliquait-il sur RMC.
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Depuis, l'impulsif ne retient pas ses coups, comme la saison dernière face au journaliste Alexandre Ruiz dans l'émission en ligne de Free, ou en début d'exercice en répondant sur Canal+ à la journaliste Margot Dumont : "Je n'ai aucune intention d'expliquer ma tactique, parce que vous ne le comprendriez pas", avait-il lancé à cette dernière. "Je suis tout à fait conscient de ma façon de traiter la presse. Dès que les journalistes peuvent me rabaisser, ils le font", se justifie-t-il dans le documentaire "Vous ne pouvez pas comprendre".
"Si on me disait 'T'es payé 25% de moins et tu ne parles pas à la presse', je signe."
Luis Enriquedans un documentaire sur Canal+
"Tu sens que c'est une corvée pour lui", confirme Julien Froment, journaliste au service des sports de Radio France. "Il ne raffole pas de l'exercice médiatique", explique une source dans l'entourage du club. "Mais après, il faut dire qu'il parle tous les deux jours. Il est tout le temps devant les médias." Rien que pour le match aller face à Arsenal, le coach parisien se doit d'assurer une quinzaine de sollicitations médiatiques. Ces derniers mois, les résultats aidant, l'entraîneur se montre parfois plus ouvert. "Il se laisse même aller à glisser des petits mots de français en conférence de presse", observe Julien Froment. Un effort "louable" pour Bruno Salomon, journaliste sur "ici Paris Ile-de-France". Mais l'animateur du podcast "100% PSG, la tribune" aimerait voir le coach s'ouvrir encore davantage. "Il sourit un peu plus, mais je pense que ça n'ira pas plus loin."
"Je n'apprécie pas son fonctionnement avec la presse. Le côté 'vous n'y connaissez rien', je ne le supporte pas."
Bruno Salomon, journaliste sur "ici Paris Ile-de-France"à franceinfo
L'entraîneur n'est pourtant pas un novice en matière de communication. Comme sélectionneur de l'Espagne, il avait su innover, que ce soit en annonçant les listes des joueurs retenus depuis un vélo ou pour discuter tactique directement avec les internautes via sa chaîne Twitch. Comment expliquer, dès lors, un tel contraste avec son attitude face aux journalistes ? Peut-être par une stratégie du paratonnerre, attirant les critiques et la négativité sur lui afin de protéger son groupe. "Il peut prendre les coups et il aime ça. Je pense que ça ne le dérange pas", analyse Julien Froment. "Que les gens m'aiment ou qu'ils me détestent, ça m'est égal", confirme le coach dans le documentaire que lui a consacré Canal+.
Capable de courir le marathon en moins de 3 heures
Luis Enrique n'est pas du genre à faire dans le sentiment. A peine ses valises posées à Paris, en juillet 2023, il se lance dans un grand ménage estival et indique la sortie à Neymar et Marco Verratti, deux cadres critiqués pour une hygiène de vie jugée douteuse. Une exigence plus facile à imposer à ses joueurs quand il s'y astreint lui-même. A bientôt 55 ans, il lui arrive d'interrompre une discussion en plein briefing pour se lancer dans une série de pompes. "Il faut bouger toutes les 30 minutes", ne cesse de répéter celui qui se rend parfois au campus PSG à vélo. Son logement et son bureau ont même été aménagés pour qu'il puisse faire du sport à tout moment.
Juste après avoir mis fin à sa carrière de joueur, en 2004, il s'est mis à la course à pied et au triathlon. Il a notamment couru le marathon de Florence en moins de 3 heures, en 2007, et participé au terrible Marathon des sables (plus de 200 km dans le désert), un an plus tard. Quand il est devenu entraîneur, son ascétisme n'a pas fléchi. Lors de son passage sur le banc de l'AS Rome (2011-2012), il avait mené une croisade contre les cappuccinos trop généreux servis au petit déjeuner. Aujourd'hui, il s'astreint à un seul repas par jour et se réjouit du gain de temps que cela représente.
En football aussi, Luis Enrique semble prêt à mourir avec ses idées. Ses ambitions sont inflexibles et ses consignes tactiques ont valeur d'Evangile. Son style de jeu, offensif, fondé sur la confiscation du ballon et le contre-pressing, demande une implication totale du collectif. Après un débriefing musclé, Ousmane Dembélé a fait les frais de son manquement "aux obligations de l'équipe" en étant mis à l'écart lors d'un précedent match contre Arsenal, début octobre. Cette brouille, qui aurait pu déclencher un feuilleton interminable, n'a eu pour conséquence que de créer un déclic chez le joueur. Tout en confortant, paradoxalement, le statut de l'entraîneur comme homme clé de l'équipe. "Depuis le début du projet, c'est Luis Enrique la star, parce qu'il a un peu le droit de vie ou de mort sur ses joueurs et qu'il a construit son équipe", estime le journaliste Julien Froment.
"C'est l'architecte, il a posé les premières pierres, les fondations. Et il a réussi à tirer le meilleur de certains joueurs prometteurs."
Julien Froment, journaliste au service des sports de Radio Franceà franceinfo
"C'est lui le boss, mais il sait aussi être à l'écoute. Il sait parler aux joueurs", ajoute un membre de l'entourage du club. Pour assumer pleinement cette position, Luis Enrique bénéficie aussi d'un revirement stratégique de la direction du PSG, qui l'a placé au centre du projet et lui a permis de partir d'une feuille blanche afin de transfigurer rapidement le jeu parisien, ce qui n'était pas le cas de certains de ses prédécesseurs. "Nous avons le meilleur coach au monde", s'est extasié Nasser Al-Khelaïfi, avec son emphase habituelle, après la victoire renversante contre Manchester City en janvier. Le président du PSG a d'ailleurs choisi de prolonger le contrat de son entraîneur jusqu'en 2027.
"Ne réagissez pas avec votre cœur"
Dans ce groupe de joueurs particulièrement jeune (le plus âgé, Marquinhos, a 30 ans), Luis Enrique parvient à diffuser une confiance à toute épreuve, qui tranche dans un club habitué aux désillusions. En 2017, c'est d'ailleurs lui-même, à la tête du FC Barcelone, qui avait infligé au PSG la fameuse "remontada" (4-0, 1-6). "Si le PSG a mis quatre buts [à l'aller], on peut en mettre six", avait-il prophétisé. Sept ans plus tard, il a refait le coup, en faveur de Paris et sur la pelouse du Barça (2-3, 4-1), l'an dernier. "L'équipe a beaucoup de personnalité. Elle ne lâche rien. Le coach nous dit de toujours y croire, quoi qu'il arrive pendant le match", rapportait Ousmane Dembélé mi-avril.
Le technicien est arrivé à Paris avec dans ses valises avec un psychologue sportif, un compatriote et ami du nom de Joaquin Valdes. Cet ancien judoka assiste à toutes les conférences de presse et a permis au club de passer un cap au niveau mental. Mais le coach a également participé à cette évolution. Il a appris à ses jeunes joueurs à accepter le chaos, plutôt qu'à paniquer. "Ne pétez pas un câble si on marque ou prend un but. Ne réagissez pas avec votre coeur", explique-t-il dans le documentaire qui lui est consacré.
Dans son histoire personnelle, l'Espagnol a vécu le pire, en 2019 : la mort de sa fille de 9 ans, Xana, touchée par une tumeur osseuse maligne. Mais il a démontré une capacité de résilience, avec la création d'une fondation afin de venir en aide aux familles confrontées à cette épreuve. "C'est plus facile que ça en a l'air" de continuer à vivre sa vie, expliquait-il en conférence de presse en janvier. "Je m'estime très chanceux. 'Mais ta fille est morte à 9 ans, pourtant'. Oui, mais ma fille a vécu neuf belles années à nos côtés", se livre-t-il dans le documentaire diffusé sur Canal+. "C'est dans les moments tristes qu'on en apprend le plus."
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De ce deuil tragique, Luis Enrique semble avoir tiré une force d'âme supplémentaire. Il ne cesse de mettre en avant la notion de "courage" et refuse de voir son équipe se laisser gagner par la peur. Il est ainsi parvenu à insuffler une nouvelle mentalité aux troupes parisiennes, au sein du club comme dans le vestiaire, confirme un salarié du PSG : "Il a une énergie contagieuse. Tu as envie d'aller à la guerre avec lui."