REPORTAGE. À Wimbledon, temple du tennis et de la tradition, la disparition des juges de ligne à la faveur des joueurs, moins des spectateurs

"On adore les traditions et les juges de ligne en faisaient partie". Archie et Jane, 170 ans au compteur à eux deux, sont des habitués du tournoi de Wimbledon. Et malgré leur âge avancé et leur santé de plus en plus fragile selon eux, ils "ne rateraient ce rendez-vous pour rien au monde". Croisés dans une file à l'entrée du All England Club, ils regrettent tout de même la nouveauté de cette édition : le remplacement des juges de ligne sur le gazon, qualifications à Roehampton comprises, par la technologie dite "Hawk-Eye", du nom de la société qui gère désormais l'arbitrage, entièrement électronique avec nombre de caméras et de capteurs.

C'est la première année où le Grand Chelem anglais s'aligne sur l'Open d'Australie et l'US Open, et surtout sur la recommandation de l'ATP en 2023, non obligatoire, de mettre en place un dispositif électronique pour vérifier si les balles touchent ou non les lignes, menant de fait à la suppression de la fonction des juges de ligne. La direction du circuit masculin espère ainsi "optimiser la précision et la cohérence entre les tournois" et Wimbledon y voit l'occasion d'"équilibrer tradition et innovation".

"On est habitués à l'électronique toute l'année"

"Franchement, je trouve ça bien, s'est réjoui avant le tournoi Taylor Fritz, numéro 5 mondial. Maintenant qu’on est habitués à l’électronique toute l’année, c’est vraiment difficile de revenir en arrière. C’est dur de devoir potentiellement arrêter un point en plein échange à cause d’un appel douteux, ou de devoir challenger, alors que 95 % de l’année, on n’a plus à y penser", a ajouté l'Américain, qui ne savait pas que c'était une première pour l'herbe londonienne.

Le défilé des juges de ligne à Wimbledon, le 11 juillet 2015. (BPI/REX SHUTTERSTOCK/SIPA / SIPA)
Le défilé des juges de ligne à Wimbledon, le 11 juillet 2015. (BPI/REX SHUTTERSTOCK/SIPA / SIPA)

Pour Donna, croisée en début de semaine caniculaire dans les allées de Wimbledon, "c'est dommage de ne plus les voir, pour la tradition, pour l'élégance so british, mais porter une tenue aussi chaude par ce temps ne devait pas être une partie de plaisir", s'est-elle exclamée. Car les quelque 350 arbitres de ligne participaient au folklore du temple de tennis, habillés comme tous les représentants du tournoi, par une grande marque de prêt-à-porter, connue pour son élégance et sa sobriété.

"Ils étaient une partie de Wimbledon, considère Jane. On aime cette parenthèse chic. Et puis, je ne suis pas sûre que ce nouveau système soit plus sûr. Ça enlève vraiment un charme", complète-t-elle alors que son mari approuve de la tête. "Ça fait peut-être un peu plus vide sur le court", a partagé Elsa Jacquemot à franceinfo: sport. Pas sûr que Gaël Monfils, entré en collision avec une ramasseuse de balle jeudi, partage cet avis, lui qui est habitué à multiplier les déplacements et à heurter régulièrement les représentants de bord de court.

Moins d'erreurs et de contestations ?

Cependant, la Française, issue des qualifications et sortie jeudi au deuxième tour par la Suissesse Belinda Bencic trouve que malgré "des moments où on a l'impression que la machine se trompe sur certaines marques, c'est un peu plus rassurant que l'humain parce qu'il y a peut-être moins d'erreurs". Ce que confirme l'un des locaux du tournoi, le Britannique Cameron Norrie (61e mondial), qualifié pour les huitièmes de finale et désormais meilleur Britannique à l'ATP avec l'élimination de Jack Draper. "C'est un peu dur pour eux", mais "en tant que joueur, une décision arbitrale c'est noir ou c'est blanc", a-t-il affirmé en conférence de presse, assurant que désormais "il n'y a aucune erreur".

Une juge de ligne évite de justesse une balle à Wimbledon, le 8 juillet 2015. (GLYN KIRK / AFP)
Une juge de ligne évite de justesse une balle à Wimbledon, le 8 juillet 2015. (GLYN KIRK / AFP)

Reste encore moins d'un quart du contingent, environ 80 d'entre eux, qui assistent l'arbitre de chaise et peuvent intervenir à tout moment en cas de problèmes avec le système électronique. Les dernières années, la vidéo avait déjà fait son apparition pour valider ou infirmer un "challenge" demandé par un joueur. Un bon moment pour le public qui imitait un roulement de tambour à l'aide d'un "clapping" collectif pour vérifier la marque, un dilemme pour les joueurs qui diluait leur concentration. Du côté de l'organisation, Sally Bolton, directrice générale du All England Lawn Tennis Club affirme qu'"il ne s'agit pas d'économiser de l'argent, mais de faire évoluer le tournoi et de s'assurer que nous fournissons la décision arbitrale la plus efficace possible".

"C’est vraiment agréable de pouvoir jouer un point sans jamais se soucier d’un appel sur la ligne. Pas besoin de se demander “Est-ce que j’arrête le point ?”, “Est-ce que je challenge ?” C’est un réel confort."

Taylor Fritz

en conférence de presse

Un confort auquel Ben Shelton n'a pas vraiment eu droit jeudi. Alors qu'il allait servir pour le gain du match vers 21h30 à Londres, contre l'Australien Rinky Hijikata, l'arbitre de chaise a décidé d'arrêter le match pour manque de luminosité, provoquant l'ire de l'Américain, numéro 10 mondial. Visiblement agacé, il n'a pas compris pourquoi la décision était intervenue à ce moment. "Si on avait encore des arbitres humains, oui, on aurait pu jouer un jeu de plus, c’est possible oui", a-t-il concédé en conférence de presse vendredi après... 70 secondes passées sur le court pour boucler son deuxième tour.

"Mais le tennis s’éloigne de ça, a ajouté le numéro 10 mondial. Le système Hawk-Eye n’est pas parfait,  on l’a vu sur terre battue avec des joueurs qui montrent les marques", a-t-il complété avant d'admettre qu'il considère la machine meilleure que les juges de ligne. "Eliminer l'erreur humaine a aidé sur certains matchs. Pas tous".

Du côté du corps arbitral, difficile d'obtenir une quelconque déclaration. Reste Jane, ardente défenseure de la tradition devant l'éternel, qui affirme que si elle "n'avait pas été aussi âgée, elle aurait aimé découvrir Roland-Garros à Paris, et profiter encore une fois de tous ces arbitres bien habillés en bord de terrain", s'esclaffant tout sourire en guise de conclusion, en français dans le texte : "Oh vous les Français !"