Wimbledon : le service, toujours une arme fatale sur gazon ?

"Go Gio !". Ce cri a hanté le court n°1 deux jours durant alors que le chouchou du gazon londonien, le Français Giovanni Mpetshi Perricard, a envoyé des boulets de canon dans le carré de service lors de son match contre le numéro 5 mondial, Taylor Fritz. Il caracolait en tête du classement des serveurs après le premier tour et s'est même offert le record de vitesse sur l'exercice à Wimbledon avec un service flashé à plus de 246 km/h (153 mph). Il avait réalisé l'an dernier son meilleur résultat en Grand Chelem en atteignant les huitièmes de finale et a, cette année, tenu la dragée haute à un top 5 en cinq sets sur la même surface. Le service serait-il à ce point déterminant pour réussir de belles performances sur herbe ?

"Une prise de balle tôt, un jeu à plat, sont avantagés sur cette surface, sans oublier l'importance du service, raison pour laquelle Serena l'a gagné autant de fois", rappelait pour franceinfo: sport Marion Bartoli avant le tournoi. Un constat partagé en conférence de presse par une grande majorité des Français qualifiés pour le deuxième tour Elsa Jacquemot, Arthur Rinderknech, Diane Parry, ou encore Benjamin Bonzi : un service bien en place est nécessaire.

C'est même devenu, sur ce Wimbledon, un running gag chez les Américains en conférence de presse pour savoir lequel ressemble le plus à un serve bot, soit un "robot de service". "Pour nous, c'est un compliment, a expliqué Taylor Fritz en conférence de presse, après sa victoire au premier tour face à Giovanni Mpetshi Perricard. C’est un compliment pour dire que cette personne a un super service". "C'est juste que, quand les stats au service sont dingues, les joueurs qui les ont, obtiennent beaucoup plus de points facilement", complète son compatriote Tommy Paul.

"Chaque fois que je tape une balle, c'est pour faire un ace"

"Jannik Sinner est favori à Wimbledon au même titre que Carlos Alcaraz même s'il est double tenant du titre, pour moi, pronostiquait avant le tournoi sur gazon notre consultant Arnaud Clément. Il a fait d'immenses progrès au service, on l'a vu à Roland-Garros, c'était flagrant". Il termine d'ailleurs le tournoi avec 38 aces "et seulement deux ou trois doubles fautes", se remémore l'ancien joueur français. "Il n'en fait aucune en finale avec une très grosse qualité de service, un avantage évident pour le gazon". Si l'Italien, numéro un mondial, n'a pas été étiqueté serve bot par le contingent américain, ses qualités au service font partie des piliers de sa réussite, alors qu'il a décoché neuf aces pour deux doubles fautes lors de son premier tour en trois sets face à son compatriote Lucas Nardi.

Des aces, Giovanni Mpetshi Perricard en avait tapé 37 lors de son premier tour en cinq manches, ce qui lui vaut évidemment de figurer régulièrement parmi les serve bot. "Chaque fois que je tape une balle, c'est pour faire un ace", a-t-il concédé en conférence de presse, même s'il admet lui-même peu le travailler. "10% de travail sur le service et 90% pour les retours. Je ne fais pas de technique spéciale pour avoir un gros service ou un mauvais service, a concédé le Français de 21 ans. Je sers juste comme je suis censé le faire, même si on ne s’entraîne pas beaucoup pour cette partie de mon jeu".

Sa force de frappe et sa régularité au service sont désormais un secret de polichinelle sur le circuit. Mais ceux qui suivent le Français depuis longtemps avaient décelé ces qualités spécifiques depuis longtemps. "Il était déjà hors norme par rapport aux autres meilleurs joueurs de sa catégorie d'âge, mas avec une technique qui était perfectible, se remémore pour franceinfo: sport Caroline Martin, maîtresse de conférences à l'UFR STAPS de l'Université Rennes 2. C'était vraiment étonnant qu'il y a des choses qui pouvaient être améliorées alors qu'il avait une telle taille, une telle avance sur le plan physique. Il était aussi largement au-dessus en termes de vitesse", complète-t-elle. Et pour cause, le colosse en a toujours été un ! A 12 ans, il mesurait 1,77 m et servait à 164 km/h de moyenne, à 15 ans, son service partait à plus de 200 km/h, déjà, alors qu'il atteignait 1,89 m sous la toise.

"Ce sont de petits ajustements"

Dans son laboratoire rennais, l'experte en biomécanique du tennis et ancienne joueuse de niveau national, a reçu depuis 10 ans environ 350 joueurs et joueuses dont une majorité des joueurs français, le Russe Daniil Medvedev ou la Tunisienne Ons Jabeur. "On ne va pas tout changer, surtout avec des joueurs de très haut niveau, on parle plutôt d'optimisation de leurs gestes au service", expose la scientifique, qui place capteurs et caméras pour enregistrer le mouvement, en extraire des données et identifier des erreurs techniques. "Plus on peut corriger tôt dans la carrière, mieux c'est", ajoute-t-elle.

Dans les ajustements qu'elle peut proposer, elle cite notamment un "lancer de balles un peu trop devant". "On essaie vraiment d'individualiser le travail technique, de traiter les problématiques déjà identifiées par les entraîneurs", précise la chercheuse. 

"On travaille avec des Formule 1. Avec des joueurs de très haut niveau, on va chercher les quelques km/h, les quelques centimètres d'hauteur d'impact. Ce sont de petits ajustements parce qu'ils ont une technique en place depuis des années, travaillées des heures durant. En revanche, avec des jeunes qui sont plus malléables, on peut apporter de grosses modifications techniques."

Caroline Martin, experte en biomécanique du tennis

à franceinfo: sport

Impossible de savoir à quel point leur passage dans le laboratoire de Caroline Martin a influencé Giovanni Mpetshi Perricard, Arthur Rinderknech, Corentin Moutet ou encore le Canadien Felix Auger-Aliassime. "Je regarde toujours le tennis et j'ai bien sûr une attention particulière pour ceux que j'ai reçus au labo, partage Caroline Martin. Dans les années qui suivent avec les collègues, on est particulièrement attentifs au pourcentage de réussite de première balle, aux vitesses, parce qu'on apprécie de savoir si les axes de travail proposés ont porté leurs fruits", complète-t-elle, même si elle concède n'être "qu'une infime pièce du puzzle" et ne pas savoir quantifier à quel point leur apport est bénéfique aux joueurs et aux joueuses rencontrés.

"Aujourd'hui, c'est important d'être un joueur complet"

Du côté du gazon londonien, à une exception près lors du match entre la Française Varvara Gracheva et la Biélorusse Aliaksandra Sasnovich où les deux joueuses ont plus breaké qu'inscrit de jeux de service, pour gagner, les gros serveurs ont toujours la cote. Même si Taylor Fritz l'admet, "aujourd'hui, c'est important d'être un joueur complet". Avec le ralentissement de la surface opérée depuis plusieurs années, comme le précisait Marion Bartoli à franceinfo: sport, une polyvalence et "une technique très propre" sont aussi importantes. "A mon époque, c'était stressant parce qu'un mauvais jeu de service, une ou deux doubles fautes à des moments inopportuns, et le match pouvait vite vous filer entre les doigts". 

"Les plus petits frappent des aces, et les plus grands réussissent maintenant à faire des retours", a même affirmé Tommy Paul en conférence de presse. "Évidemment, les joueurs qui n’ont pas un gros service doivent compenser : ils doivent mieux bouger, mieux retourner", a-t-il expliqué avant de conclure : "Je pense que le tennis est dans une période géniale où tout le monde est incroyablement athlétique, et où tout le monde peut tout faire"