Face à un arbitrage électronique généralisé, Roland-Garros demeure comme le dernier bastion des juges de ligne

Roland-Garros fait de la résistance. Après plusieurs années de test, l'arbitrage électronique a remplacé les juges de ligne sur l'ensemble des tournois ATP et WTA depuis le 1er janvier 2025. Seuls les Grands Chelems, ne dépendant pas du circuit, ont eu leur mot à dire. L'Open d'Australie et l'US Open utilisent cette technologie depuis respectivement 2021 et 2024, et Wimbledon a annoncé à son tour adopter le système pour l'édition 2025.

Seul Roland-Garros résiste donc encore à l'appel du système d'arbitrage électronique et conserve ainsi ses juges de ligne. Pour le moment en tout cas. Bien que Roland-Garros défende ses juges de ligne pour 2025, la réflexion pour les prochaines éditions "est toujours en cours, et n'est en aucun cas figée", a répondu la Fédération française de tennis (FFT) à franceinfo: sport.

Si le système fait désormais partie des murs et que la marge d'erreur est bien inférieure à celle de l'être humain selon Machar Reid, directeur des innovations au sein de Tennis Australia (la fédération australienne de tennis), il est toutefois critiqué depuis le début de la saison sur terre. "C'est horrible, avait lâché Arthur Fils, au Masters 1000 de Madrid. J'ai reçu un service deux ou trois centimètres dehors et quand tu regardes la vidéo, ça te dit que ça accroche la ligne. Pour moi, sur terre, il faut revenir aux juges de ligne et faire confiance au jugement des arbitres", s'est exaspéré le Français en conférence de presse. À la différence des autres surfaces, les marques apparentes laissées par la balle rendent possibles les discussions entre joueurs et arbitres de chaise.

"Maintenant, l'arbitre ne fait plus rien. Il est seulement assis sur sa chaise pour dire 15-40, 30A ou avertissement. Il ne descend jamais de sa chaise pour vérifier une marque. Pour moi, il faut changer ça."

Arthur Fils, 14e joueur mondial

en conférence de presse au Masters 1000 de Madrid

Un constat partagé par Arnaud Clément, ancien top 10 et consultant pour franceinfo: sport. "Le rôle des arbitres de chaises est très limité, à seulement donner des avertissements pour le comportement ou pour le dépassement de temps [au service]. Ce n'est plus le même rôle, déplore Arnaud Clément. Tu n'as plus besoin de savoir juger une balle aujourd'hui. C'est quand même étonnant."

L'Allemand Alexander Zverev a pris en photo la marque d'une balle litigieuse sur le court, après avoir contesté une décision de l'arbitrage électronique, au Masters 1000 de Madrid, le 27 avril 2025. (THOMAS COEX / AFP)
L'Allemand Alexander Zverev a pris en photo la marque d'une balle litigieuse sur le court, après avoir contesté une décision de l'arbitrage électronique, au Masters 1000 de Madrid, le 27 avril 2025. (THOMAS COEX / AFP)

À Madrid encore, Alexander Zverev a interpellé l'arbitre de chaise pour lui faire remarquer une erreur de l'arbitrage électronique sur une balle à "quatre ou cinq centimètres dehors", et pourtant annoncée "in" par le système. "L'erreur était trop grossière. Il y a eu un petit problème de calibrage", estime Arnaud Clément. De son côté, l'ATP défend bec et ongles son système d'arbitrage. "La balle en question a été déclarée 'in' à 1 mm près par le système électronique d'appel de ligne. En examinant les séquences vidéo sous plusieurs angles, il est clair que la balle n'était pas sortie de plusieurs centimètres, comme cela a été suggéré", nous a répondu Ali Nili, directeur de l'administration des officiels au sein de l'ATP.

"Un même coup peut laisser des marques différentes en fonction des conditions de la surface telles que l'humidité, la densité de la terre, et le moment où le court a été balayé pour la dernière fois, argumente Ali Nili. Des tests rigoureux [de ce système] ont été effectués [en amont] et ont révélé des différences entre le point de contact réel de la balle et la marque laissée sur la surface, car l'impact initial peut ne pas générer suffisamment de pression sur la surface pour créer une marque visible", appuie-t-il.

Moins de remises en cause des points selon l'ATP

A Rome, lundi 12 mai lors du 3e tour opposant l'Espagnol Jaume Munar à l'Américain Sebastian Korda, le système d'arbitrage hawk-eye a été perturbé par l'ombre sur le court, annonçant "out" des balles qui rebondissaient au plein milieu du court. Le match a ainsi été interrompu afin de relancer la machine. "En 2025, avant le Masters 1000 de Rome, Electronic Line Calling Live (ELC Live) a été utilisé lors de six tournois sur terre battue, couvrant 486 matches, plus de 75 000 points et plus de 300 000 rebonds. Au cours de cette période, seuls 76 cas ont impliqué un joueur remettant en cause la marque, avec très peu de controverses notables", justifie Ali Nili, directeur de l'administration des officiels au sein de l'ATP.

À titre de comparaison, au cours de la même période en 2024, avec les juges de ligne aux commandes, "les arbitres de chaise ont effectué plus de 1 500 contrôles de la marque, et il y a eu de multiples incidents et litiges d'arbitrage", ajoute Ali Nili, qui souligne que "le nombre d'appels contestés et d'interruptions de match" a été réduit, "tout en augmentant les niveaux de précision et de cohérence".

@eurosport_france De l’ombre sur le court et le hawk-eye a déraillé lors du match entre Jaume Munar et Sebastian Korda. Regardez le Masters 1000 de Rome en exclusivité sur Eurosport #sportstiktok #tennistiktok #tennis #hawkeye ♬ son original - Eurosport France

Pour autant, ces nombreux exemples consolident la décision des organisateurs de Roland-Garros. "Plusieurs joueurs ont manifesté leur incompréhension face à des dysfonctionnements apparents du système d'arbitrage électronique, qui ne semble pas faire l'unanimité. À ce stade, ces réactions nous confortent dans notre approche de conserver les juges de ligne", insiste la FFT auprès de franceinfo: sport, qui reste "bien entendu attentive aux évolutions mises en place".

Valoriser "l'excellence de l'arbitrage français"

Au-delà de cet argument, la Fédération française de tennis veut valoriser "l'excellence de l'arbitrage français, reconnue à travers le monde entier, et qui apporte pleine satisfaction à l'organisation du tournoi". "Nous sommes une référence et je souhaite que l'on continue à l'être, a fièrement défendu le président de la FFT Gilles Moretton, lors de la conférence de presse d'avant tournoi, le 17 avril. Derrière Roland-Garros, nous sommes une fédération de clubs, de licenciés avec des compétitions tous les week-ends."

"Nous avons des arbitres qui œuvrent au quotidien. On est le meilleur pays sur le circuit qui fournit des arbitres, et je dis cela en toute modestie, sur l'ensemble des tournois."

Gilles Moretton, président de la FFT

en conférence de presse

Si Roland-Garros rejoignait les trois autres Majeurs, le retrait des arbitres de lignes aurait des conséquences dans les plus petits clubs français, assure Laurent Rochette, ancien 202e mondial :  "Sans l'objectif de pouvoir rêver à l'opportunité d'arbitrer un tournoi du Grand Chelem, le risque est qu'il n'y ait plus de candidats pour arbitrer le reste de l'année sur l'ensemble des compétitions, dont au niveau amateur. Je ne sais même pas comment ils vont faire pour avoir un renouvellement des arbitres de chaise", alerte celui qui est devenu entraîneur et créateur de contenus autour du tennis sur les réseaux sociaux.

Un renouvellement des arbitres de chaise en danger ?

Car les arbitres de chaise font leurs armes en tant que juges de ligne. "C'est un moyen important pour un arbitre d'apprendre à gérer la pression, les annonces, et de prendre confiance avant de monter en grade", poursuit Laurent Rochette, qui regrette de voir "des courts vides" et déshumanisés. L'un des derniers exemples de ce parcours vertueux est le Français Renaud Lichtenstein, qui a fait ses gammes sur les lignes (notamment celles du service) avant de monter sur la chaise. En 2024, c'est lui qui officiait lors de la finale de Roland-Garros entre Carlos Alcaraz et Alexander Zverev. 

L'arbitre français Renaud Lichtenstein sur la chaise lors de la finale de Roland-Garros entre Carlos Alcaraz et Alexander Zverev, le 9 juin 2024 à Paris. (JEAN-FRANCOIS BADIAS / SIPA)
L'arbitre français Renaud Lichtenstein sur la chaise lors de la finale de Roland-Garros entre Carlos Alcaraz et Alexander Zverev, le 9 juin 2024 à Paris. (JEAN-FRANCOIS BADIAS / SIPA)

Un point de vue confirmé par Charlotte Girard, présidente de l'association française du corps arbitral multisport (AFCAM), qui regroupe l'ensemble des fédérations françaises et qui est reconnue par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF). "Tous les arbitres se forment par la ligne. Aura-t-on des arbitres de chaises suffisamment entraînés ? Dans vingt ans, qu'est-ce qui fera rêver un gamin pour devenir arbitre ? D'être toute sa vie sur un tournoi régional ou peut-être un jour d'arbitrer sur le Central, pour récompenser son engagement citoyen, civique et sociétal au service de son sport ? On perd des vocations", avance Charlotte Girard, qui prône "l'aide de la technologie pour affiner les décisions", plutôt que de remplacer toute présence humaine sur le court.

Pas de modification prévue par l'ATP

Face à ses nombreuses contradictions, la fin de la saison sur terre battue sonnera-t-elle l'heure du bilan et des ajustements ? "Des adaptations seront nécessaires en fonction de la réalité du terrain, au niveau des règles et de l'environnement de ces nouveaux outils digitaux qui ne peuvent être qu'une aide à la décision humaine", poursuit Charlotte Girard"Je ne pense pas que l'on reviendra en arrière, tranche Arnaud Clément. On trouvera probablement des solutions techniques encore plus précises pour évoluer, et il y aura de moins en moins d'erreur dans le futur", rassure-t-il.

Le Serbe Filip Krajinovic s'entretient avec le juge de ligne pendant son match contre l'Américain Frances Tiafoe, à Roland-Garros, le 29 mai 2023. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)
Le Serbe Filip Krajinovic s'entretient avec le juge de ligne pendant son match contre l'Américain Frances Tiafoe, à Roland-Garros, le 29 mai 2023. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Parmi les solutions évoquées, celle qui permettrait à l'arbitre de chaise de descendre en cas de litige, afin de constater par lui-même la marque, pourrait être défendue par les joueurs. Pour le moment, cela leur est interdit sauf en cas de "dysfonctionnement du système et que celui-ci est incapable de prendre une décision", souligne l'ATP. "Bien que nous soyons toujours ouverts aux améliorations, nous ne prévoyons pas pour l'instant de modifier les protocoles ELC Live existants sur terre battue", a ajouté l'instance du Tour. 

Si Roland-Garros fait désormais office d'exception, l'ATP prône "l'innovation" et la "cohérence dans les événements de notre propre circuit". Gilles Moretton espère de son côté que les joueurs, "qui tirent la locomotive", permettront de maintenir les juges de lignes porte d'Auteuil le plus longtemps possible.