Conflits d’intérêts dans le football : le Conseil national de l’éthique va être amené à se prononcer sur la Ligue et la Fédération Française

L’intention est louable. Dans un sport où le flou règne souvent et qui brille par sa ploutocratie, mettre un peu de transparence ne peut pas faire de mal. Les membres du comité exécutif de la Fédération française de football (FFF) et ceux du conseil d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP) devront dès cette année effectuer une déclaration d’intérêts auprès du Conseil national de l’éthique et déontologie (CNED) mentionnant leurs activités professionnelles et associatives hors football et leurs éventuelles conjointes ou conjoint.

Un peu plus de trois mois après avoir été nommé à la présidence du CNED par le comité exécutif de la FFF, Frédéric Thiriez l’a annoncé le 22 avril. Il faut dire que le CNED, organe très discret, créé en 2002 par la Fédération, n’avait pas vraiment le choix puisque la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France et plus particulièrement son article 39, prévoit que le comité d’éthique de chaque fédération doit déterminer la liste des membres des instances dirigeantes nationales et régionales de la fédération et de la ligue qui doivent lui adresser une déclaration d’intérêts.

Les présidents de Ligues régionales et de districts seront concernés plus tard

Le CNED, qui est composé de sept membres, a décidé de procéder par étapes en ciblant prioritairement les instances les plus sensibles du football hexagonal. Ainsi les membres des commissions de disciplines de la Ligue et de la Fédération, ceux de la commission supérieure d’appel, de la DNCG (gendarme financier du foot) et du Conseil national d’éthique lui-même, seront soumis à cette même obligation de déclaration qui demeurera strictement confidentielle. Un formulaire sera envoyé dans les prochains jours à tous les dirigeants et ces derniers ont un mois pour répondre.

Les principaux responsables de la LFP et de la FFF (présidents, vice-présidents, trésoriers, secrétaires généraux) sont, eux, déjà soumis à cette obligation auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). En raison de leurs postes à responsabilités, ils doivent en plus faire une déclaration de situation patrimoniale à la HATVP comme les membres du gouvernement et les élus parlementaires.

Dans un deuxième temps, sans qu’aucun calendrier n’ait été précisé, la procédure déclarative sera ensuite étendue aux instances décentralisées en commençant par les présidents de ligues régionales. « Pour les présidents de districts, on verra plus tard, car j’ai bien conscience que ce sont des formalités administratives un peu désagréables, pour ceux qui y sont soumis », a indiqué Frédéric Thiriez, ancien président de la LFP de 2002 à 2016.

Visioconférence très tendue entre présidents de clubs de L1

Les sept présidents de clubs de L1 siégeant au conseil d’administration de la Ligue vont donc devoir rapidement se soumettre à cette obligation soit Olivier Létang (Lille), Jean-Pierre Rivère (Nice), Damien Comolli (Toulouse), Juan Sartori (Monaco), Jean-Pierre Caillot (Reims), Pablo Longoria (Marseille) et Nasser al-Khelaïfi (PSG).

En mars, l’émission « Complément d’enquête » sur France 2 avait dévoilé les images de la visioconférence très tendue du 14 juillet 2024 entre les présidents de clubs de L1 à quelques semaines du coup d’envoi de saison 2024-2025 en pleine négociations des droits télé.

Dans une ambiance électrique, Joseph Oughourlian, président de Lens, avait critiqué le choix d’attribuer un match par journée à beIN Sports, ce qui rendait moins attractive en termes d’abonnement DAZN et pouvait mener à un échec économique.

Nasser al-Khelaïfi, patron de beIN Media Group dont beIN sport est la filiale, et du PSG, lui avait alors sèchement répondu: « (…) tu ne comprends rien aux médias. Ok ? ».  Le dirigeant lensois avait répliqué en lui lançant : « Nasser, il faut que tu comprennes un concept qui visiblement vous échappe chez beIN, au PSG, ou au deux, qui s’appelle le conflit d’intérêt. »

Une proposition de loi pour mettre un terme au flou

Cette double casquette du président du PSG, qui ne choque personne ou presque dans le football depuis une dizaine d’années, a également été pointé du doigt par les sénateurs Michel Savin (LR) et Laurent Lafon (UDI), dans une mission d’information sur la financiarisation du foot intitulé « Football-business : stop ou encore ? », rendue il y a six mois. Ce rapport va prochainement déboucher sur une proposition de loi (PPL) déposée par les deux sénateurs sur l’organisation, la gestion et le financement du sport professionnel qui devrait être inscrite au Sénat, le 14 mai.

Lors de la conférence de presse de présentation de la PPL, le 19 mars, Laurent Lafon, président de la commission culture, de l’éducation, de la communication et du sport, n’a pas mâché ses mots sur la gouvernance de la  LFP. « Le fonctionnement de la Ligue est l’objet de nombreuses interrogations s’agissant de la gestion des conflits d’intérêt, du mode d’association des clubs à la prise de décision ou encore des rôles respectifs de la Ligue et de la société commerciale », a-t-il indiqué en préambule.

Avant de préciser : « Quand certaines personnes s’expriment, on ne sait pas si elles s’expriment au nom de la Ligue de football professionnel ou au nom de la société commerciale (LFP Media) et on ne sait pas quand des décisions sont prises si elles sont prises dans le cadre du mode de gouvernance de la société commerciale ou si elles sont prises à travers les instances de la Ligue. Il y a une espèce de flou qui certainement participe, d’abord, à faire en sorte qu’il y ait des contestations dans le processus de décision et qui participe surtout à cette opacité qui n’est pas bonne quelque que soit l’instance ou l’institution concernée. »

« Un conseil des sages » plutôt qu’un « gendarme du football »

C’est dans ce contexte que le CNED devra examiner les déclarations d’intérêts des membres des membres du conseil d’administration de la Ligue. « Quand cette déclaration sera remplie, il appartiendra au Conseil de l’éthique de l’examiner et de statuer sur la question de l’éventuel conflit d’intérêt », a souligné Frédéric Thiriez.

« Si nous estimons qu’il y a un conflit d’intérêt, nous en parlerons avec la personne, que nous auditionnerons, a poursuivi celui qui est avocat de métier. Nous formulerons une recommandation en espérant que la personne s’y conforme. Ça peut être l’abandon de telle activité qui nous semble en conflit d’intérêt. Ou ça peut être de se déporter dans telle ou telle affaire qu’il aura à connaître comme dirigeant de football. »

Les compétences du Conseil national de l’éthique ne sont pas très larges. Cet organe consultatif, censé promouvoir des actes pédagogiques et préventifs en faveur de l’éthique sportive et faire notamment des recommandations sur les grandes questions comme le supportérisme et ses dérives, la protection des arbitres, les débordements des bords terrains ou encore la multipropriété des clubs, peut cependant saisir les commissions de discipline de la LFP ou de la FFF s’il le juge nécessaire. Le CNED n’est pas « un gendarme du football, a prévenu Frédéric Thiriez, mais plutôt un conseil des sages amené à donner des avis et à émettre des propositions. »

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