« Équipe sans frontières » : Le foot comme vecteur d’inclusion sociale
L’image paraît banale. Une dizaine d’hommes jouent à une partie de football amateur sur un terrain synthétique. Situé au cœur du quartier de la Goutte d’Or, dans le 18e arrondissement, l’espace, ouvert sur l’extérieur, est simplement recouvert d’une toiture en bois laissant filtrer la lumière du jour, visible de tous. Pourtant, la plupart des sportifs présents sont à quelques exceptions près, sans papiers. Tous font partie de l’association Équipe sans frontières, fondée et coprésidée par Chloé Cassabois. « Je n’aurais jamais imaginé créer un jour une équipe de foot », confie en riant la jeune femme de 32 ans, par ailleurs enseignante de littérature anglaise dans un lycée international. « J’ai toujours adoré le foot, notamment le Real de Madrid dont j’étais une fan absolue », ajoute-t-elle, tout en regrettant de n’avoir jamais pu le pratiquer. « À l’époque, on disait que le foot, c’était pour les garçons et la danse pour les filles. J’ai été une des nombreuses victimes de ces stéréotypes de genre. »
Littérature et engagement militant
Franco-anglaise, originaire de Londres, Chloé Cassabois laisse momentanément sa passion de côté lorsqu’elle débarque en France en 2016. « Après mon master de recherche en littérature, j’ai décidé que je ne voulais plus faire de doctorat. Je ne voulais plus rester enfermée dans une bibliothèque car le monde, c’est dehors qu’il est ! » Désireuse de s’engager, elle devient bénévole au Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (Baam). « Je donnais des cours de français plusieurs fois par semaine. On se donnait rendez-vous juste à côté », dit-elle en pointant du doigt un square arboré, situé derrière le terrain de foot. C’est lors de l’un de ces cours que l’amour du football refait surface. « J’avais préparé un cours sur le thème du sport. La réponse des élèves a été unanime. Il n’y avait que le foot qui les intéressait », se souvient Chloé. « C’était incroyable car cela faisait parler tout monde, y compris les plus timides qui n’osaient pas s’exprimer d’habitude. Je me suis demandé si les apprenants avaient la possibilité de jouer au foot en dehors des cours. »
Rapidement, l’idée de créer une association sportive infuse dans l’esprit de l’enseignante bénévole. Elle est rejointe par d’autres collègues du Baam, dont Julien Demets. À 40 ans, cet enseignant de français dans une association dédiée aux personnes exilées est membre de l’équipe des encadrants. Il arbitre les entraînements tous les jeudis soir depuis 2018 : « L’objectif de la structure est de permettre à des personnes exilées de faire du foot, et ce, quelle que soit leur situation administrative. À l’époque, en 2016-2017, il était impossible aux personnes sans papiers d’avoir une licence à la Fédération française de football (FFF). C’était un exemple de plus de l’absence de politique d’accueil en France. Il est évident qu’il est plus important d’avoir un logement plutôt que de faire du foot, mais cet obstacle était significatif », remarque Julien, qui précise ne pas connaître la politique actuelle de la FFF. Contacté à ce sujet via son service de presse, l’organisme ne nous a pas répondu.
Le foot, un sport ouvert et multiculturel
Sur le terrain, le jeu bat son plein. Affublés de maillots jaunes et bleus, les joueurs enchaînent les matchs sans s’arrêter sous le regard attentif de Julien. Des cartons jaunes et rouges sont posés dans un coin. « Je n’ai jamais eu besoin de les utiliser jusque-là », confie-t-il en souriant. Il s’interrompt pour enfiler un maillot bleu et rejoint le reste des joueurs. Certains sont devenus les vétérans du club, à l’instar d’Ibou, 38 ans, venu encourager ses camarades. « J’ai découvert le club par hasard », indique ce fan de Lionel Messi. Originaire du Sénégal, arrivé en France en 2012, Ibou assiste régulièrement aux entraînements. « Je travaille de nuit sur le marché de Rungis. Dès que je peux, j’essaye de venir. J’aime la convivialité qui règne ici. Et c’est important de soutenir les camarades ! » Plusieurs coups de sifflet retentissent. À l’extérieur, la lumière est devenue crépusculaire.
En période de ramadan, c’est le moment pour les joueurs de rompre le jeûne. Julien et Chloé se joignent à eux. Assis sur de petits murets, les sportifs grignotent des dattes. Des pizzas et des jus d’orange complètent le repas. L’ambiance est aussi festive que bon enfant. « Le club est devenu comme une famille. Nous nous retrouvons tous unis autour du ballon. Le football est par définition un sport d’accueil. Il est accessible et parle à tout le monde », analyse Julien. « En sept ans, nous avons vu beaucoup de personnes. Certaines réussissent à trouver du travail. D’autres ont été transférées ailleurs, dans d’autres villes de France en raison de leurs démarches administratives, ou carrément expulsées », grince l’encadrant en croquant une datte.
Depuis septembre 2019, l’Équipe sans frontières a intégré le championnat de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT). L’organisme, créé en 1934, promeut le droit d’accès au sport de toutes et tous. « La FSGT a vraiment été accueillante. C’est grâce à elle que nous avons pu avoir les premières licences pour les joueurs », indique Chloé, qui précise que l’association dispose également de subventions de la Ville de Paris, de l’Agence nationale du sport (ANS) ou encore de dons. « Cela nous permet de participer à des tournois solidaires le samedi avec d’autres équipes. Ce qui constitue une réelle motivation pour les joueurs. »
Le sport : outil contre le racisme
Un avis que partage Mame, 17 ans. Depuis un an, le jeune homme participe aux entraînements. « Je rêve de devenir footballeur professionnel depuis tout petit », livre cet admirateur d’Olivier Giroud. « La première fois que je suis venu ici, avec un ami, cela ne m’a pas plu. Mais, au fur et à mesure, j’ai commencé à apprécier l’ambiance entre les gens. » Originaire de Guinée, Mame traverse la Méditerranée et arrive en France en 2023, à l’âge de 15 ans. « C’était très dur, je ne vais pas mentir. J’encourage ceux qui ont les moyens de ne pas passer par la mer. Dès que je commence à en parler, j’ai les larmes qui montent », ajoute pudiquement le jeune homme. Pris en charge par une association dans le Val-de-Marne, Mame suit une formation de préparateur de commerce en logistique. « Je préfère faire du chemin pour venir plutôt que d’être dans la solitude », ajoute-t-il.
Même chose pour Maysan, 28 ans, originaire d’Afghanistan, arrivé en France en 2023, qui réside lui aussi dans le même département. « J’habite assez loin, donc quand je termine le travail à 17 heures, c’est compliqué de venir. Mais dès que je suis de repos, je viens », affirme le jeune homme, qui exerce le métier de soudeur.
Il est presque 20 heures. L’heure d’enlever les maillots et de ranger les ballons. Les derniers joueurs s’attardent sur le terrain en faisant quelques dribbles. « Il est essentiel que les personnes exilées aient des espaces où elles peuvent faire des choses qu’elles aiment. Au lycée, j’aborde cette année l’œuvre de Harper Lee, « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ». Le racisme et la ségrégation abordés dans le roman sont extrêmement actuels. Je pense que le football peut vraiment être un vecteur pour lutter contre », lance Chloé Cassabois, en regardant les joueurs s’éloigner.
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