Football : « Les clubs sont trop dépendants des droits télés » pour l’économiste Christophe Lepetit

Si la Ligue de football professionnel a annoncé, ce jeudi 27 février, s’être « désistée » de sa procédure judiciaire en référé après le paiement par DAZN, diffuseur de la L1, de son échéance de janvier dans le « cadre d’une médiation », le bras de fer entre la plateforme britannique et la LFP continue avec une procédure parallèle sur le fond entamée par DAZN, qui réclame 573 millions d’euros à la Ligue pour « tromperie sur la marchandise » et « manquement observé ». Économiste au Centre de droit et d’économie du sport à Limoges, Christophe Lepetit livre son analyse sur ce conflit.

En signant un accord bancal avec la Ligue sur les droits télés, DAZN n’était-il pas condamné à l’échec depuis le début en termes d’abonnés ? Un échec qui mène la plateforme britannique à vouloir renégocier sept mois plus tard…

Christophe Lepetit

Économiste au Centre de droit et d’économie du sport à Limoges

DAZN a commis deux erreurs fondamentales. La première, c’est de ne pas avoir acheté l’exclusivité de la Ligue 1 en laissant un match à beIN Sports. C’est un caillou dans sa chaussure depuis le début parce qu’elle ne peut pas promettre à ses abonnés 100 % de la L1 et n’a donc pas l’agilité qu’elle pourrait avoir dans la commercialisation de certains packs ou matchs à l’unité car une rencontre va toujours lui échapper. La deuxième erreur, c’est la stratégie commerciale sur le prix. En partant sur un prix élevé – même s’il a ensuite été baissé avec des offres promotionnelles –, couplé à la fatigue du consommateur de devoir encore se désabonner pour se réabonner à un nouveau diffuseur, cela a fait exploser le piratage.

DAZN n’est pas un nouveau venu dans la diffusion du sport, alors comment interpréter son assignation et le fait qu’il réclame 573 millions à la Ligue pour « tromperie sur la marchandise » et « manquement observé » ?

Les arguments avancés par DAZN ne sont pas convaincants. Dans une procédure d’appel d’offres, quels que soient le pays et le sport, quand un droit arrive sur le marché, la Ligue ou la fédération, donc le vendeur, fait l’analyse de marché de son droit, en exclusivité ou dans d’autres formats, pour connaître le montant de revenus qu’il peut générer au regard du potentiel d’abonnés, de publicité, de recettes diverses et variées… C’est ce qu’a fait la Ligue en s’appuyant sur des agences spécialisées.

De son côté, DAZN a immanquablement fait la même chose avec une, mais certainement plusieurs agences, pour savoir combien d’abonnés pouvait générer la détention totale ou partielle de ce droit-là. Tout ça donne une valeur, la valeur que DAZN a proposée (400 millions par saison – NDLR). En ce qui concerne le piratage, la Ligue joue très fortement son rôle dans la lutte contre le piratage à travers l’Association pour la protection des programmes sportifs dont sont membres les ligues, les fédérations et les diffuseurs. Ce n’est pas la Ligue qui régule, c’est l’Arcom. Tout ça m’amène à penser que DAZN prend des positions extrêmes avec ses demandes dans le but de parvenir à renégocier.

Si jamais DAZN dénonçait le contrat fin 2025, comme une clause l’y autorise, quelles seraient les conséquences ?

La Ligue récupérait alors ses droits. Sachant qu’il n’y avait déjà pas de concurrence l’été dernier pour les acheter – ce qui explique l’effondrement du montant global –, il est très probable qu’il n’y aurait toujours pas grand monde… Pour éviter l’absence de diffusion, la Ligue irait probablement vers son plan B, la création d’une plateforme, qui poserait beaucoup de questions sur sa monétisation à court terme et donc la possibilité des clubs à encaisser des droits télés qui constituent l’un des deux piliers de leur modèle économique avec les recettes de transfert.

Le football français ne doit-il pas changer son modèle économique ?

Les clubs restent trop « télédépendants » même si cela varie selon leurs tailles. Les grosses écuries comme le PSG sont moins dépendants parce qu’ils touchent les droits UEFA grâce à leur participation aux coupes d’Europe. Ils ont aussi des revenus commerciaux et une billetterie très élevés. Mais pour beaucoup d’autres clubs, le montant des droits télés représente 50 %, 60 % voire 70 % de leurs recettes. Le problème, c’est que les charges, les contrats de joueurs, sont signés pour plusieurs années. Il faudrait donc diversifier en maximisant les recettes de billetterie, alors que les stades sont pleins, effectuer un travail sur le commercial, même si les recettes commerciales ou le jour de match ont considérablement augmenté ces dernières années…

Quels sont les clubs les plus en danger financièrement ?

J’aurais tendance à dire que ceux du bas de tableau de Ligue 2, qui évoluent avec un risque élevé de rétrogradation en national, conservent une forme d’agilité dans leur organisation budgétaire. Sans avoir fait d’analyse précise, je dirais que cela concerne plutôt ceux situés entre le milieu de tableau de L1 et le milieu de tableau de L2. La question est de savoir où en sont leur trésorerie et leurs fonds propres et est-ce que les actionnaires ont la capacité d’assurer la continuité d’exploitation des clubs ?

Le média que les milliardaires ne peuvent pas s’acheter

Nous ne sommes financés par aucun milliardaire. Et nous en sommes fiers ! Mais nous sommes confrontés à des défis financiers constants. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.
Je veux en savoir plus !