Il faut une organisation sportive égalitaire, excluant les stéréotypes, et qui donne les moyens aux femmes de rayonner dans leur discipline.
Sandy Montañola
Maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Rennes-I
Le sport est un milieu historiquement construit comme masculin : les institutions sportives, les médecins et les politiques en ont écarté les femmes. Leur intégration s’est donc faite discipline par discipline, au prix de nombreuses luttes. Les inégalités sont néanmoins encore nombreuses, notamment dans les médias, où les sportives sont largement invisibilisées.
Entre 2018 et 2021, le sport féminin représentait 4,5 % des compétitions diffusées à la télévision (Arcom). Dans la presse, les sportives n’existent pas en dehors d’événements majeurs et accèdent très difficilement à la une. Alors que les chaînes invoquent un manque de rentabilité faute de sponsors et de public, les sponsors, eux, rejettent la faute sur les médias. Tous réclament aux femmes « un peu de patience », laissant à penser que l’écart va se combler progressivement.
Pour obtenir de la visibilité, les sportives sont tentées de « prouver » qu’elles méritent une professionnalisation, une médiatisation. Chaque événement sportif devient alors dans les médias un « test » visant à prouver leur capacité à performer, à attirer du public, des sponsors. Mais c’est faire l’impasse sur l’histoire : ces preuves ont été apportées à de nombreuses occasions, en football comme en boxe, en tennis comme en basket, de Billie Jean King à Loïs Boisson, sans pour autant parvenir à imposer l’égalité.
Leur demander de faire jeu égal, c’est faire peser sur elles la responsabilité de l’organisation sportive inégalitaire qu’elles subissent (salaire, entraînement…). Le lien est pourtant établi de longue date entre moyens et performances. Si les stéréotypes diminuent dans les récits médiatiques, les différences persistent : moins de suspense, un ton moins enthousiaste, moins de verbes d’action pour les sportives, et ce indépendamment de la performance.
Tant que ces stéréotypes seront utilisés, à dessin, pour distinguer et hiérarchiser sports féminin et masculin, l’ensemble de l’écosystème, des entraîneurs aux journalistes, préférera se tourner, dans ce milieu très concurrentiel, vers ce qui offre les meilleures perspectives de carrière. Accepter que l’égalité ne se réalise qu’à condition d’être rentable financièrement, c’est dépolitiser la question : lutter contre l’invisibilisation du sport féminin, c’est d’abord lutter pour l’égalité entre hommes et femmes.
C’est accepter de remettre en question le modèle actuel qui favorise un nombre restreint de sports et d’athlètes. C’est, enfin, accepter un partage des ressources, aussi bien dans les financements que dans les grilles de programmes télé et les pages des quotidiens.
La lutte contre l’invisibilisation devrait s’appuyer sur les mécanismes de discriminations largement décrits dans les recherches, pour éviter de demander aux sportives de prouver indéfiniment leur valeur et permettre d’aboutir à une culture du sport non genrée à l’école, à des politiques publiques égalitaires, à la professionnalisation, aux financements, aux postes à responsabilités, à la médiatisation.
Il faut rompre avec les codes patriarcaux et s’ouvrir à la diversité inclusive. Le parti pris féministe appelle à une occupation de l’espace.
Candice Prévost
Footballeuse et fondatrice de Little miss soccer
« On ne peut pas être ce que l’on ne voit pas ! » Les femmes athlètes dénoncent un cruel manque de visibilité. Sur le bras de Loïs Boisson, le mot résilience, et celui de résistance pour Ons Jabeur, qui dénonce l’absence de joueuse de tennis en night session à Roland-Garros.
Le patriarcat est le principal responsable de l’invisibilisation des sportives, touchant tous les espaces clés de la société : identité, politique, business, médiatisation, éducation… Bannies vingt-neuf ans du rectangle vert, du régime de Vichy au début des années 1970, les footballeuses ont pour socle identitaire l’illégitimité et la peur que tout s’arrête. On ne peut pas être ce qu’on exclue ! Et si nous réparions leur exclusion par un effort de 29 % sur les budgets existants pendant vingt-neuf ans ?
Les discriminations se multiplient avec une ignorance violente pour mieux silencier les sportives, présentes sur le terrain mais hors jeu dans les instances. Sarah Ourahmoune, vice-championne olympique de boxe, se retire de la coprésidence de sa fédération, après avoir encaissé racisme et sexisme. On ne peut pas être ce qu’on fait taire ! Féminiser les instances et leur gouvernance ne suffirait pas. Les femmes, en minorité dans les organisations sportives, sont souvent contraintes de reproduire les codes patriarcaux.
Un projet porté par et pour les sportives visant à « féminiser » le monde du sport permettrait-il de répondre à ces problématiques ? Les athlètes sont en permanence contraintes à prouver leur légitimité. Lorsque j’étais footballeuse, le slogan « garçon manqué » fusait en cour de récréation, jusqu’au PSG où j’entendais « Les filles ne joueront pas au Parc, c’est le temple des hommes ! » Rayée de la carte, la jeune fille est rarement invitée à dribbler le stéréotype sur un city stade.
Demandez aux associations Sine Qua Non et le Comxte Club : on ne peut pas être, si on n’occupe pas les espaces ! Et si nous pensions les espaces publics plus égalitaires et inclusifs, afin de construire des liens plus apaisés entre les personnes et leur environnement ? On entend souvent qu’il n’y a pas de modèle économique pour les sportives. Le marketing, de l’institution aux médias, prend comme modèle le sport masculin, reconnu populaire, qu’il copie-colle sur le sport féminin.
Cependant, les moyens mis à disposition sont inférieurs d’un match de Ligue 1 McDonald’s et d’Arkema 1re Ligue. On ne peut pas être ce qui n’a pas de valeur ! Il n’y a pas un seul football. L’obsession de la comparaison perpétue un modèle patriarcal qui invisibilise et dévalorise les sportives. Plutôt que d’imiter, ouvrons un champ des possibles porté par les minorités. En embrassant la diversité de ces expériences, le football peut devenir un espace réellement inclusif, libéré de la seule logique de performance.
Little Miss Soccer, notre film documentaire globe-trotter, nous a confirmé que le football n’était plus la propriété des hommes. Il est maintenant vraiment universel, mais gardons le cap pour qu’il soit définitivement uni-vers-elles.
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