En véritable fauve politique, Gérald Darmanin le sait parfaitement : la nature a horreur du vide. Le ministre de la Justice a donc décidé d’occuper le terrain médiatique durant la période estivale. Après une première salve centrée sur l’ouverture de ses prisons de haute sécurité destinées à regrouper « les 200 plus gros narcotrafiquants » en détention, Darmanin lance une nouvelle bordée : son projet de « révolution pénale » pour la rentrée. Il en présente les grandes lignes dans les colonnes du JDD ce dimanche. Du réchauffé. Le 12 mai dernier, il avait dévoilé sur X une lettre adressée aux magistrats pour leur annoncer son plan de bataille pour répondre aux maux de l’institution. Sa « révolution » reprend une bonne partie de ses annonces antérieures.
Au menu : simplification de l’échelle des peines, création de peines minimales, sursis réservés seulement aux primo-délinquants, rétablissement des peines de moins d’un mois d’emprisonnement ferme supprimées par l’ex-ministre Nicole Belloubet, etc. L’avant-projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective (SURE) est ainsi composé de dix articles. « Ce que je veux, c’est une justice plus rapide, plus lisible, et surtout plus certaine. Quand la peine tombe, elle doit être exécutée. Telle qu’elle a été prononcée », explique-t-il dans le média de Vincent Bolloré.
« Une plus grande fermeté de la réponse pénale depuis 20 ans »
Avec en toile de fond une critique d’une justice qui serait devenue, au fil des ans, « laxiste ». Une analyse que les magistrats de terrain, en première ligne dans les prétoires, ne partagent pas franchement. Interrogé par l’Humanité sur l’affirmation que les peines de prison seraient « mal exécutées », Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM), l’avait battue en brèche : « Le diagnostic est contestable. Le taux d’exécution des peines dépasse les 90 %, ce qui invite à préciser ce que l’on entend par “mal exécutées”… ».
Une analyse également démentie par un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2023 sur la « surpopulation carcérale ». Dans ce document fouillé, on peut ainsi lire que ce phénomène trouve son origine dans une « sévérité croissante du système répressif. Celle-ci se traduit par une réponse pénale plus systématique. Elle conduit aussi à des procédures débouchant plus fréquemment sur des incarcérations ». Cette hausse du placement en prison, malgré une « relative stabilité » de la délinquance, s’explique notamment par « une plus grande systématicité et une plus grande fermeté de la réponse pénale depuis 20 ans ».
30 ans d’abandon de la justice par les pouvoirs publics
Et pourtant, comme l’écrivent les « Sages » de la rue Cambon, « ces tendances, qui attestent d’un durcissement de la réponse pénale pendant les vingt dernières années, n’ont pas été perçues par l’opinion publique, qui continue de considérer la justice comme trop laxiste ». Par l’opinion publique et Gérald Darmanin donc… Pourtant, si le ministre de la Justice avait pris le temps d’écouter les magistrats, il aurait peut-être pu affiner son analyse.
Sur la lenteur de la justice par exemple, Alexandra Vaillant, secrétaire de l’USM, a expliqué il y a quelques jours aux micros de RTL que « depuis des années, nous rappelons que nous ne sommes pas suffisamment nombreux en termes d’effectifs de magistrats et de greffiers en France pour apporter une réponse dans tous les contentieux, qu’on soit au civil ou au pénal, à nos concitoyens. Et le vrai problème, il est là. Aujourd’hui, le problème des délais, c’est la conséquence de 30 ans d’abandon de la justice par les pouvoirs publics, ni plus ni moins ».
Une réalité que Gérald Darmanin ne semble pas vouloir voir, quitte à aggraver un peu plus la situation de la Justice française.
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