« Le 18 septembre doit être un coup de tonnerre » : vers une mobilisation de masse de l’intersyndicale contre l’austérité
Sophie Binet avait prévenu : elle ira noter Sébastien Lecornu, comme un simple élève, pour évaluer les reculs que le nouveau premier ministre est prêt à concéder. À la sortie de Matignon, le 15 septembre, la note de 1 sur 20 accordée par la secrétaire générale de la CGT, après le retrait de la suppression de deux jours fériés, illustre le fossé entre un « bloc central » arc-bouté sur ses 44 milliards d’euros d’économies et le monde du travail, premier de cordée de l’austérité, invité à se mobiliser par la grève et la manifestation par l’intersyndicale, ce jeudi 18 septembre.
Pas en reste, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, s’est montrée « plus que jamais motivée pour aller dans la rue », après son échange avec le locataire de Matignon, vendredi dernier.
Les voyants sont au vert pour faire de cette journée de mobilisation – la seconde si l’on compte celle du 10 septembre largement appuyée par la CGT et Solidaires – un large succès populaire, soutenu par 56 % des Français, selon un sondage Elabe pour l’Opinion. Plus de 250 rassemblements sont prévus à travers l’Hexagone. Le ministère de l’Intérieur, qui avait sous-évalué le mouvement Bloquons tout, table sur plus de 800 000 manifestants dans les rues. « Nous avons l’objectif d’avoir un million de personnes avec nous », avançait lundi, auprès de l’AFP, Cyril Chabanier de la CFTC.
Si les cortèges s’annoncent fournis, l’implantation sur le territoire et les taux de grévistes seront scrutés de près. Selon la CGT, plus de 300 000 grévistes étaient recensés le 10 septembre. « Cette journée s’annonce plus forte que le 10, avec plus de manifestations et de grèves. L’unité syndicale participe à cette massification du mouvement. La radicalité, c’est la masse, prévient Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Nous pouvons gagner car, contrairement à 2023, le gouvernement n’a jamais été aussi fragile et finira par reculer. »
Un « musée des horreurs » combattu par l’intersyndicale
Depuis l’annonce dès le 19 août dernier de cette rentrée sociale par la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC, l’Unsa, Solidaires et la FSU, les griefs qui ont poussé ces centrales à l’action demeurent. Malgré la chute de François Bayrou et les nouvelles méthodes de « rupture » annoncées par son successeur, le « musée des horreurs » de l’austérité budgétaire reste d’actualité : réforme de l’assurance-chômage, gel des prestations sociales, des salaires des fonctionnaires, désindexation des pensions de retraite, doublement des franchises médicales, remise en cause de la 5e semaine de congés payés, etc.
« Lors de ses échanges avec les confédérations syndicales, Sébastien Lecornu entame ses négociations à partir du budget défait par les députés lors du vote de confiance du 8 septembre. Cela illustre la déconnexion entre l’exécutif et les attentes profondes dans le pays », insiste Thomas Vacheron.
Pour Frédéric Souillot, « nous avons bien fait de mobiliser, vu les retours du terrain. À la RATP, plus de 80 % des conducteurs se sont déclarés grévistes. Les travailleurs n’en peuvent plus de payer éternellement la facture ». Le secrétaire général de Force ouvrière l’assure : « J’ai arrêté d’avoir des lignes rouges. Le budget doit être revu de fond en comble. Qu’est-ce que serait un bon compromis ? Une hausse de 25 % des franchises médicales et non leur doublement ? Il n’y a rien à négocier. »
En combattant ce budget à l’unisson, l’intersyndicale pointe en définitive la politique de l’offre impulsée par Emmanuel Macron. « François Bayrou était un simple messager. La France est dans un état lamentable, mais pas question de remettre en cause cette politique, déplore François Hommeril, président de la CFE-CGC. Or, les Français s’appauvrissent quand les fortunes des plus aisés et des grandes entreprises explosent. »
Conditionnaliser les aides aux entreprises et justice fiscale
Dans ce contexte, le rapport sénatorial rendu par le communiste Fabien Gay, par ailleurs directeur de l’Humanité, sur les 211 milliards d’euros d’aides publiques versées aux grandes entreprises, apparaît comme un point d’appui à la mobilisation. L’intersyndicale revendique leur conditionnalité selon des critères sociaux et environnementaux.
« Sanofi a touché plus de 1 milliard d’euros de Cice en dix ans, mais délocalise ses centres de recherche aux États-Unis et son développement en Inde, dénonce Frédéric Souillot. Si on regarde du côté de ces aides aux entreprises, on peut facilement trouver les 4 milliards d’euros que le gouvernement recherche en supprimant un jour férié. »
À la Fête de l’Humanité, Sophie Binet réclamait « un contrôle par les salariés des aides publiques ». Et entendait « centrer ces aides sur les secteurs qui en ont besoin, les petites entreprises, les secteurs exposés » alors qu’« aujourd’hui, c’est la grande distribution et les grandes entreprises qui en bénéficient le plus ».
Dans une volonté affichée de saucissonner l’intersyndicale, Sébastien Lecornu tente de séduire les centrales les plus réformistes. L’idée d’une relance du conclave des retraites avait fuité, avant que le premier ministre ne close cette piste, après avoir reçu une fin de non-recevoir ferme de la CFDT.
« Nous ne voulons pas reprendre les discussions sur la base des propositions de fin de conclave que le patronat a refusées, soulignait Marylise Léon, dans le Parisien, à la veille de la mobilisation. Cette réforme a profondément heurté le monde du travail et ses conséquences sont mal vécues. Aujourd’hui, nous redemandons de suspendre la réforme. »
La réforme des retraites, « le Scotch du capitaine Haddock pour Macron »
Une issue que soutiennent 66 % des Français et 74 % des actifs, selon un sondage Ifop réalisé pour le PS. « Personne ne retournera dans un conclave, parce que le Medef a trahi. J’ai pris un risque en voulant signer un accord, mais le patronat nous a fait une Manuel Valls : ils disent accepter la compétition mais contestent son issue », tance le président de la CFE-CGC, François Hommeril.
Pas en reste, Sophie Binet affirmait, lors d’un débat à la Fête de l’Humanité, que la réforme de 2023 était « le Scotch du capitaine Haddock pour Macron. Il a été sanctionné dans les urnes et tous ses premiers ministres ont sauté. Si Sébastien Lecornu ne veut pas connaître le même sort, il doit abroger la réforme des retraites ». Les députés ont montré la voie en votant l’abrogation des 64 ans contenue dans une résolution non contraignante portée par les parlementaires communistes.
L’opposition des syndicats est tout autant unanime contre le nouveau tour de vis annoncé sur l’assurance-chômage, alors que l’exécutif espère réaliser 2 à 2,5 milliards d’euros d’économies par an de 2026 à 2029, puis 4 milliards à compter de 2030. « Force ouvrière a décidé d’attaquer la lettre de cadrage devant le Conseil d’État. La précédente convention entre tout juste en vigueur et ses effets ne sont pas encore évaluables », insiste Frédéric Souillot.
Reste donc la question des salaires. Dans la déclaration commune appelant à la mobilisation, l’intersyndicale revendique « des mesures pour lutter contre la précarité et renforcer la solidarité ». Solidaires, qui a lancé sa campagne « Pas d’économies sur nos vies », appelle à porter le Smic à 2 000 euros net, à indexer tous les salaires sur l’inflation et à augmenter de 400 euros l’ensemble des rémunérations. « La question des salaires revient de manière récurrente, alors que, depuis 2000, le coût de la vie a augmenté de 52 % », assure la codéléguée générale Murielle Guilbert.
Une meilleure reconnaissance des métiers dans la fonction publique relève de l’urgence, assure la FSU. « Nous voulons un autre budget, car revenir seulement sur les 3 000 suppressions de postes, ce n’est pas suffisant, prévient la secrétaire générale Caroline Chevé. Il faut des créations de postes. Et pour cela, rendre attractifs les métiers, donc augmenter les salaires. C’est pour cela que le 18 septembre doit être un coup de tonnerre. »
Enfin, alors que la taxe Zucman, qui vise à prélever à hauteur de 2 % les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, s’impose dans le débat public, l’intersyndicale réclame une meilleure « justice fiscale, avec la mise en place de dispositifs qui taxent les gros patrimoines et les très hauts revenus ».
Pour Thomas Vacheron, « la démonstration est faite que la dette résulte d’un problème de recettes et non de dépenses. La taxe Zucman est une première réponse ». Reste à savoir les suites de cette mobilisation, alors que l’intersyndicale doit se voir dans la foulée du 18 septembre. « Pour qu’il y ait des suites, conclut le cégétiste, il faut que le 18 soit une réussite ! »
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