Aux États-Unis, Donald Trump cible les villes "sanctuaires" dans sa politique migratoire
À peine investi, le président américain Donald Trump a publié toute une série de décrets relatifs à l'immigration, donnant suite à sa promesse de campagne de sévir contre l'immigration et de procéder à des expulsions massives.
Une partie de son courroux s'est concentrée sur les villes "sanctuaires", qui limitent à des degrés divers leur coopération avec les agents fédéraux de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE). À ce jour, des centaines de villes américaines se considèrent comme telles, dont Washington, D.C., New York, Los Angeles, Chicago, San Francisco, Miami ou encore Philadelphie.
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Ces politiques ont vu le jour dans les années 1980 lorsque les églises offraient l'asile aux réfugiés d'Amérique centrale fuyant la guerre. Une douzaine d'États et des centaines de villes à travers les États-Unis se sont alors déclarés "sanctuaires" ou "accueillantes" pour les immigrés sans papiers.
Le 22 janvier, le ministère américain de la Justice a publié une note relative aux projets de la nouvelle administration pour contester les lois sur les villes sanctuaires.
"La loi fédérale interdit aux acteurs étatiques et locaux de résister, d'entraver et de ne pas se conformer aux ordres ou demandes légitimes liés à l'immigration", indique le document.
Les États-Unis comptent environ 14 millions d'immigrés sans papiers, dont nombre d'entre eux ont des liens familiaux de longue date dans le pays.
Mais que signifie exactement une ville "sanctuaire" et que peut l'administration Trump ? Éléments de réponse avec Muzaffar Chishti, directeur du bureau du Migration Policy Institute à la faculté de droit de l'université de New York.
France 24 : Qu'est-ce qu'une ville "sanctuaire" au regard de la loi ? Et en quoi cela rend-il les opérations des agents de l'ICE plus compliquées ?
Muzzafar Chishti : Il n'existe pas de définition légale, populaire, dans le dictionnaire, de ce qu'est une ville sanctuaire. Le terme a rapidement gagné en popularité dans un certain contexte politique : ce terme trouve son origine dans les années 80, avec l'arrivée aux États-Unis de réfugiés centraméricains.
À ma connaissance, il n'existe aucune ville ou juridiction d'État qui déclare ne pas vouloir coopérer avec l'ICE. Aucune ville ou juridiction ne cache les immigrés ou n'empêche l'ICE de les approcher. Ce terme désigne le degré de coopération entre l'ICE et les autorités locales de chaque ville, qui fixe chacune ses propres limites, comme remettre ou non des accusés d'avoir commis des crimes à des agents fédéraux.
Chaque juridiction établit ses propres critères en matière de coopération, mais la limite est généralement fixée aux crimes violents.
La possession de marijuana, le non-respect d'un feu rouge, ou encore l'usurpation d'identité sont des délits qui ne nécessitent pas généralement de coopération avec l'ICE.
Quelle est la marge de manœuvre de l'administration Trump ?
Selon l'administration Trump, toute juridiction qui ne coopère pas avec la loi fédérale viole la préemption fédérale. Tout manque de coopération totale est un motif pour pénaliser les autorités locales et étatiques.
Sauf qu'il existe une doctrine parallèle selon laquelle vous ne pouvez pas forcer un État à faire le travail qui doit être effectué à l'échelon fédéral. Cette doctrine est ancrée dans le 10e amendement. C'est pourquoi nous sommes coincés.
Le seul moyen d'obliger un policier à faire le travail de l'ICE est de conclure un accord consensuel. Il s'agit d'un contrat par lequel l'ICE délègue des tâches spécifiques aux agents de l'immigration, aux partenaires locaux et étatiques chargés de l'application de la loi.
Pourtant, dire que les policiers locaux ne font pas leur travail n'est pas vrai. L'administration Trump affirme que les agents du ministère de la Justice enquêteront sur les fonctionnaires locaux et d'État qui résistent à la nouvelle politique migratoire désormais en vigueur.
L'administration Trump pourrait ainsi suspendre le financement des États et des localités qu'elle considère comme non coopératifs en la matière. Mais le président se heurtera là probablement au principe du fédéralisme, selon lequel les fonds fédéraux ne peuvent être gelés en représailles.
Certains États sont tout à fait disposés à se plier aux exigences du gouvernement fédéral, tandis que d'autres ne le sont pas. Il en résulte une situation disparate dans l'ensemble du pays. Deux comtés voisins, avec deux politiques d'immigration différentes, ce n'est pas bon pour l'unité nationale. Ni pour le niveau d'anxiété d'un immigré qui dépendra de la localité dans laquelle il vit.
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Comment l'opinion publique a-t-elle évolué sur les villes "sanctuaires" depuis le premier mandat de Trump ?
L'opinion publique a été fortement ébranlée pendant le mandat de l'ex-président Joe Biden. Ses quatre années de présidence ont été marquées par un nombre élevé d'immigrants arrivant illégalement aux États-Unis. Les Républicains en ont profité pour appeler cela la "crise frontalière de Biden", ou "BBC" ("Biden border crisis").
Durant cette période, le nombre d'arrivées – notamment du Venezuela, du Pérou, de l'Équateur, du Maroc et du Soudan – était très élevé en raison des guerres, du changement climatique et de l'instabilité politique à l'étranger.
La course à la succession de Joe Biden a également joué un rôle : les réseaux de passeurs se sont empressés de faire entrer des personnes aux États-Unis dans l'intervalle entre les deux administrations. Les niveaux d'immigration ont atteint leur point culminant en décembre 2023.
Il y a deux ans, des Républicains comme le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, ont commencé à transférer des personnes dans des villes "sanctuaires", dans des États démocrates. Mais il n'est pas facile de loger des gens dans des villes chères comme New York.
Le changement dans l'opinion publique ne se limitait pas à la question du logement. Il traduisait aussi une préoccupation face à un possible désordre à l'échelle nationale, palpable lors de la Convention nationale du Parti démocrate. À la tribune, certains intervenants ont défendu un durcissement des mesures aux frontières et des politiques envers les demandeurs d'asile.
Cet article a été adapté de l'anglais. Retrouvez ici la version originale.