Reconnaissance de l'Etat de Palestine : à quoi va servir la conférence à l'ONU présidée par la France et l'Arabie saoudite
"L'inaction n'est pas une option." Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a défendu le bien-fondé de la conférence sur la question palestinienne qui s'ouvre lundi 28 juillet pour deux jours au siège de l'ONU à New York. Coprésidée par la France et l'Arabie saoudite, elle compte donner une nouvelle dynamique à la solution à deux Etats, "qui est la seule susceptible de garantir la paix et la sécurité dans la région", a estimé le chef de la diplomatie française dans un entretien à La Tribune dimanche à la veille de son ouverture. Franceinfo revient sur les principaux enjeux de cet événement, et le contexte dans lequel il s'inscrit.
Une conférence pour défendre la solution à deux Etats
"Cette semaine à New York, avec l'Arabie saoudite, acteur majeur de la région, nous présenterons une vision commune pour 'l'après-guerre' en vue d’assurer la reconstruction, la sécurité et la gouvernance de Gaza et d'ouvrir ainsi la voie à la solution à deux Etats", expose le ministre des Affaires étrangères français. Cette option, soutenue historiquement par la France, "n'a jamais été aussi menacée", selon Jean-Noël Barrot. "La solution à deux Etats est sous perfusion, mais il faut la ressusciter", avait lancé Sigrid Kaag, la coordonnatrice spéciale de l'ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, en mai devant le Conseil de sécurité.
L'Assemblée générale de l'ONU avait voté, en 1947, une résolution partageant la Palestine, alors sous mandat britannique, en deux Etats indépendants, l'un arabe, l'autre juif, et créant une zone internationale autour de Jérusalem. Mais seule la création d'Israël avait été proclamée, le 14 mai 1948. Cet événement avait provoqué une guerre entre le nouvel Etat et plusieurs pays arabes. Les Palestiniens ne cessent depuis de réclamer la création d'un Etat de Palestine.
Les Nations unies, elles, défendent toujours une solution à deux Etats. Dans la résolution 2720 de décembre 2023, adoptée deux mois après les attaques du 7-Octobre en Israël, le Conseil de sécurité de l'ONU "réaffirme son attachement sans faille à la vision de la solution des deux Etats, où deux Etats démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte en paix, à l'intérieur de frontières sûres et reconnues, conformément au droit international et aux résolutions pertinentes des organes de l'ONU". La résolution souligne également "l'importance d'unifier la bande de Gaza avec la Cisjordanie, sous l'Autorité palestinienne".
Plus de 100 pays présents, mais pas Israël ni les Etats-Unis
A l'origine, la conférence menée par la France et l'Arabie saoudite devait se tenir en juin au plus haut niveau, c'est-à-dire avec des chefs d'Etat ou de gouvernement. Mais elle a été reportée en raison de la guerre déclenchée par Israël contre l'Iran, le 13 juin. Finalement, un premier cycle a lieu au niveau ministériel à partir de lundi à New York, avant un sommet en septembre comptant des invités de plus haut rang.
Pour cette première partie, les représentants de plus de 100 pays doivent s'exprimer à la tribune de l'ONU. Le Premier ministre de l'Autorité palestinienne, Mohammad Mustafa, et plusieurs dizaines de ministres du monde entier sont attendus. En revanche, l'ambassadeur israélien à l'ONU, Danny Danon, ne participera pas. Cette conférence "ne répond pas à l'urgence de condamner le Hamas et de permettre le retour de tous les otages", a déclaré à l'AFP un porte-parole de la mission israélienne auprès des Nations unies.
Alors que la conférence a lieu sur leur sol, les Etats-Unis ont également fait savoir qu'ils ne seront pas de la partie, sans se justifier officiellement. Dans un câble diplomatique américain interne, consulté par l'agence de presse britannique Reuters, des responsables américains "exhortent les gouvernements à ne pas participer à la conférence, [qu'ils considèrent] comme contre-productive aux efforts en cours pour sauver des vies et mettre fin à la guerre à Gaza et libérer les otages".
La non-participation d'Israël et des Etats-Unis constitue une "limite très forte", explique à franceinfo Dorothée Schmid, spécialiste des questions méditerranéennes à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Mais "nous ne sommes pas dans une configuration de négociation. Il y a une tentative des Français et des Saoudiens de forcer l'équilibre politique alors qu'il n'y a même pas encore de cessez-le-feu à Gaza".
Un regain d'intérêt depuis l'annonce d'Emmanuel Macron sur l'Etat de Palestine
Embourbée depuis des décennies, la solution à deux Etats a subi un nouveau coup de frein après les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas et ses alliés le 7 octobre 2023 en Israël. Après cet attentat terroriste sans précédent, le gouvernement israélien a rejeté encore plus fermement cette voie. Le Parlement israélien a voté massivement en février 2024 contre toute "reconnaissance unilatérale d'un Etat palestinien". Mercredi, il a adopté une motion exhortant le gouvernement à imposer la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie en annexant le territoire. Une victoire pour l'extrême droite israélienne, qui porte cette revendication de longue date.
Mais en annonçant, jeudi, que la France allait officiellement reconnaître un Etat palestinien, Emmanuel Macron a redonné de la vigueur à la solution à deux Etats, et de la consistance à cette conférence. Alors que cette dernière semblait "vouée à l'insignifiance", "l'annonce de Macron change la donne", a estimé auprès de l'AFP Richard Gowan, analyste à l'International Crisis Group. "D'autres participants vont réfléchir à la hâte pour savoir s'ils doivent aussi déclarer une intention de reconnaître la Palestine."
"On voit cette annonce de la France comme si elle avait fait un cadeau aux Palestiniens, mais en réalité, elle effectue un rattrapage très tardif", tempère auprès de franceinfo Thomas Vescovi, chercheur indépendant et auteur de plusieurs ouvrages sur les territoires palestiniens occupés. Pour lui, une solution à deux Etats est inenvisageable tant qu'Israël ne sera pas sévèrement sanctionné pour la politique de son gouvernement.
Sans compter, insiste-t-il, que cette piste qui n'a plus le vent en poupe. "La solution à deux Etats a fait consensus à la fin des années 1980, au début des années 1990. La situation a changé et la pression s'est accrue depuis : entre 2000 et 2021, la colonisation [israélienne en Cisjordanie] a progressé de 220%", remarque-t-il. "C'est peut-être le dernier moment où l'on peut essayer de sauver la solution à deux Etats", observe de son côté Dorothée Schmid, "parce que l'on sait que ça va être de plus en plus difficile de la mettre en œuvre."
Une initiative à l'issue incertaine
Ce rendez-vous n'est pas une initiative isolée : il se place dans un processus visant à régler le conflit israélo-palestinien par une voie politique, "en replaçant la question palestinienne au centre", selon Thomas Vescovi. "La France dit vouloir inscrire la reconnaissance de l'Etat palestinien dans le cadre d'un vrai processus de discussion, avec plusieurs étapes", dont une majeure le 21 septembre, date à laquelle la France fera l'annonce solennelle de la reconnaissance de l'Etat palestinien à l'Assemblée générale de l'ONU. "Cette conférence va surtout acter quelque chose qui se fait déjà dans les coulisses, en espérant donner du poids diplomatique à une feuille de route [défendant la solution à deux Etats] portée par la France avec la principale puissance régionale : l'Arabie saoudite", explique Thomas Vescovi.
"Il est intéressant que cette démarche passe par l'ONU, souligne pour sa part Dorothée Schmid. C'est un endroit où s'exprime l'ensemble de la communauté internationale, et on a une très forte majorité en faveur de l'Etat palestinien, avec 148 pays qui le reconnaissent déjà." "La France a formé plusieurs groupes pour travailler en amont sur cette conférence afin de mener un important travail diplomatique. Et l'un des objectifs vise à amener à ce sujet des pays qui jusqu'à présent n'étaient pas vraiment engagés sur la question palestinienne", notamment des pays qui ne sont pas de la région, comme l'Inde ou l'Indonésie, relève Dorothée Schmid.
Jean-Noël Barrot affirme, dans son interview à La Tribune dimanche, que de nouveaux pays européens "confirmeront leur intention de reconnaître l'Etat de Palestine" à la conférence, et "pour la première fois (...) les pays arabes condamneront le Hamas et appelleront à son désarmement". Annonçant cette conférence en avril, Emmanuel Macron espérait même qu'elle soit aussi l'occasion pour des pays ne reconnaissant pas encore Israël de le faire, dans un "mouvement de reconnaissance réciproque".
Cette conférence ne sera vraisemblablement pas le moment d'annonces majeures, mais un point d'étape, permettant d'attirer l'attention sur le projet franco-saoudien et de pousser certains dirigeants dans leurs retranchements. "Alors que le Royaume-Uni ne reconnaît pas l'Etat palestinien, le Premier ministre britannique Keir Starmer se retrouve sous pression pour aller dans le même sens que la France", relève la chercheuse. C'est un élément capital, car pour l'instant, la France est le premier pays du G7 à avoir pris une telle position. "Du point de vue politique, du point de vue symbolique, cette conférence donc est importante."