« Un condensé de propagande et de populisme institutionnel » : comment Georgia Meloni veut bâillonner la contestation avec son projet de loi de sécurité
Transformer les questions sociales en infractions relevant du droit pénal est une constante des régimes fascistes. Bien qu’insérée dans le jeu européen, l’Italie de Giorgia Meloni ne fait pas exception. Après avoir ouvert les chantiers des réformes constitutionnelles et judiciaires, le gouvernement d’extrême droite met sur pied un nouvel outil pour modeler le pays à sa botte, supprimer les corps intermédiaires et pouvoirs indépendants. Un projet de loi sur la sécurité (DDL 1660) adopté par la Chambre des députés en septembre est actuellement à l’étude au Sénat.
Il prévoit de criminaliser la contestation sociale et politique et franchit, en l’espèce, un nouveau cap dans l’autoritarisme. Le texte fourre-tout de trente-huit articles, qui mêle terrorisme, manifestations, militantisme et immigration, prévoit quatorze nouvelles infractions pénales et neuf facteurs aggravants.
Le délit de « résistance passive »
Le blocage de la circulation dans le cadre de luttes contre les grands projets d’infrastructures, à l’instar du pont reliant la Sicile au continent, pourrait ainsi être passible d’une peine de prison de six mois à deux ans et de 300 000 euros d’amende.
L’exécutif « semble utiliser le levier du droit pénal pour concevoir symboliquement une nouvelle configuration des relations entre les autorités et les citoyens en transmettant un message clair : qui proteste, qui est marginal, qui ne pratique pas la gymnastique de l’obéissance risquera demain bien plus qu’hier », relève l’association Magistrature démocratique. En décembre, six rapporteurs spéciaux des Nations unies ont écrit au gouvernement pour s’émouvoir de cette violation manifeste des conventions internationales dont l’Italie est signataire.
Le délit de « résistance passive » vise à mettre la société au pas tout en créant de nouveaux délits au lieu de traiter les questions sociales. « Ce projet de loi va limiter les mobilisations syndicales visant à défendre l’emploi et à lutter contre les crises que nous traversons. Il rend toute forme de dissidence pacifique impossible », abonde Maurizio Landini, le secrétaire général de la Confédération générale italienne du travail (CGIL).
Les squatters dans le viseur
L’aggravation des peines contre les squatters va dans ce sens. Dans un contexte de crise du logement, d’inflation et de bas salaires, les organisateurs d’« invasion de terrains ou édifices » pourraient encourir une peine d’un à trois ans de prison, voire quatre si les faits impliquent plus de cinq personnes.
« Nous sommes vraiment inquiets de cet acharnement contre ceux qui s’opposent aux expulsions et cherchent des solutions de logement pour ceux qui ne peuvent pas le faire », indique l’Association de loisirs et de culture italienne (Arci).
Les lieux d’enfermement comme rouages de l’ordre social ne sont pas en reste. La participation à une « révolte au moyen d’actes de violence, de menaces ou de résistance à l’exécution des ordres impartis » en prison ou dans des centres de rétention pour migrants est passible d’un à cinq ans d’emprisonnement supplémentaires.
Alors que l’accord signé avec l’Albanie afin d’externaliser les demandes d’asile a été retoqué par la justice, Giorgia Meloni n’a pas abandonné l’idée de harceler les populations, y compris dans le cadre d’actes banals du quotidien.
Acharnement contre les migrants
Pour acheter une carte SIM, les migrants devront désormais présenter une autorisation de séjour. Une fermeture de cinq à trente jours est prévue pour les commerces qui ne respecteraient pas cette disposition.
Selon les secrétaires confédérales de la CGIL Daniela Barbaresi et Lara Ghiglione, le projet de loi est « un condensé de propagande et de populisme institutionnel. Une confirmation supplémentaire de ce que ce gouvernement tout entier, à l’unisson, pense en termes de sécurité, déclinée uniquement comme une action répressive des conflits sociaux et comme une politique punitive de justice et de prison ».
Pour parachever le tableau, les détenues mères d’enfants de moins d’un an devraient, avec ce texte, élever leur nourrisson en milieu carcéral, quand elles bénéficiaient jusqu’alors de peines différées.
Le réseau No DDL sicurezza (« non à la loi sur la sécurité »), qui regroupe 200 organisations politiques, syndicales et associatives, multiplie les mobilisations contre ce projet porté par la Lega, Forza Italia et Fratelli d’Italia. Certains de ces militants considérés comme dangereux se sont déjà vu remettre, comme à Bologne ou Milan, des interdictions de circuler dans des « zones rouges », telles que le centre-ville à l’occasion du Nouvel An. La notification vaut
avertissement et toute participation à un rassemblement, même apolitique, expose potentiellement à une amende ou une peine.
Impunité totale pour les carabinieri
Le gouvernement d’extrême droite aggrave ainsi des dispositions prises par le passé contre le droit de grève. Depuis 1990, les syndicats sont soumis au régime du service minimum dans les services publics, qui prévoit la réquisition de travailleurs grévistes, un dispositif qui a largement inspiré la France sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Le texte italien a été renforcé en 2000 et s’étend désormais aux chauffeurs de taxi ou aux avocats. À l’autre bout de l’échelle, les policiers bénéficient de l’impunité totale, loin de toute considération concernant le droit de regard dont pourraient jouir les citoyens à l’égard d’un service public. La loi de sécurité leur assure une protection même en cas d’usage immodéré de la force. Ces derniers seront par ailleurs autorisés à porter des armes en dehors de leur service.
La DDL 1660 s’inscrit dans un projet plus large de guerre aux travailleurs. D’un côté, le ministre de la Défense Guido Crosetto, qui cosigne le projet de loi avec ses homologues de l’Intérieur et de la Justice, promet d’augmenter le budget militaire. De l’autre, les financements sociaux fondent comme neige au soleil.
« La première victime de la course aux armements est toujours la classe ouvrière, qui subit les effets des réductions des dépenses sociales, telles que la santé publique et l’éducation. La preuve en est la réduction de 520 millions du fonds de financement ordinaire des universités publiques cette année », notait récemment la fédération des travailleurs de la connaissance, liée à la CGIL. En l’espèce, le projet de loi sur la sécurité vient parachever le contrôle social.
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