Peut-on comparer l'administration Trump au régime nazi ?
En octobre dernier, dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle américaine, Donald Trump avait suscité une énième polémique en lançant à ses partisans, lors d’un meeting à Atlanta, "qu’il n’était pas un nazi". Ces propos faisaient suite à des déclarations qu’il aurait tenues. John Kelly, son ancien chef de cabinet à la Maison Blanche, avait ainsi estimé que le candidat républicain répondait à la définition d'un fasciste, une accusation reprise par sa rivale démocrate Kamala Harris. Selon John Kelly, Donald Trump aurait également dit qu'Adolf Hitler avait "fait de bonnes choses".
Depuis son retour à Washington, les comparaisons entre Donald Trump et le régime nazi ont repris de plus belle. Cette analogie a notamment été ravivée par le salut polémique de son conseiller Elon Musk effectué lors du défilé inaugural de Donald Trump et interprété par de nombreux spécialistes de la Seconde Guerre mondiale comme un salut nazi. "Comment ne pas l’envisager autrement ?", insiste ainsi l’historien Peter Hayes, professeur émérite à la Northwestern University, dans l’Illinois, auteur de nombreuses recherches sur le parti nazi. "Mais ce geste n’était pas aussi flagrant que celui de Steve Bannon à la convention conservatrice", ajoute-t-il en faisant référence à l’ancien conseiller de Donald Trump qui a lui aussi effectué un geste nazi lors de la grand-messe américaine des conservateurs.

Des comparaisons "de plus en plus pertinentes"
Alors que les sociétés occidentales font face à une montée des nationalismes, des discours d’extrême droite et à un repli sur soi, certains font de plus en plus un parallèle avec le contexte précédant la Seconde Guerre mondiale. Pour les historiens, il est toujours hasardeux de faire des liens entre le passé et le présent. Selon Peter Hayes, certaines comparaisons s’avèrent ainsi "exagérées", mais aussi "de plus en plus pertinentes". "Exagérées parce que Trump n’a pas ciblé un groupe particulier comme étant la racine de tous les maux dans le monde et à assassiner", souligne ainsi l’historien dans une allusion à l’extermination des juifs par le IIIe Reich. "Mais il a multiplié les déclarations contre les 'ennemis de l’intérieur' qui doivent être éliminés du corps politique, et il fait preuve, comme Hitler, d’une certitude absolue quant à son propre génie, associée à une détermination impitoyable à éliminer tout obstacle à la réalisation de ses objectifs. Et, dernièrement, il a associé un nationalisme extrême à un appétit d’expansion qu’il n’avait pas montré auparavant", poursuit ce spécialiste de l’industrie sous l’Allemagne nazie.
Lors de son discours au Congrès, Donald Trump a en effet réaffirmé ses visées expansionnistes sur le Groenland. Le président américain a ainsi déclaré "à l'incroyable peuple du Groenland" : "nous soutenons fermement votre droit à déterminer votre propre avenir et, si vous le souhaitez, nous vous souhaitons la bienvenue aux États-Unis d'Amérique". "Nous en avons vraiment besoin pour la sécurité internationale et je pense que nous allons l'obtenir. D'une manière ou d'une autre, nous l'obtiendrons", a-t-il dit dans ce premier discours de politique générale depuis son retour au pouvoir le 20 janvier.
Pour Peter Hayes, il est possible de faire un rapprochement entre cette volonté de s’emparer du territoire autonome danois et le Lebensraum, l’espace vital, l’un des concepts fondateurs de l’idéologie nazie : "La motivation derrière l’appropriation du Groenland et celle de l’Ukraine et du Caucase dans le cas d’Hitler est la même : obtenir des ressources essentielles. Pour Trump, ce sont les minéraux ; pour Hitler, ce sont les céréales et le pétrole. Le contrôle de ces ressources apparaît aux deux hommes comme vital pour la victoire dans la lutte acharnée de la politique mondiale".

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"Un sentiment de pouvoir sans entraves"
Son confrère Christopher Browning, spécialiste reconnu de la Shoah, est en revanche plus nuancé. "Dans la mesure où Trump a une image de la grandeur passée de l’Amérique qui se situe à la fin du XIXe siècle, avec des magnats des affaires immensément riches exerçant un pouvoir oligarchique et de grandes puissances délimitant et dominant leurs sphères d’influence respectives, l’accaparement du Groenland et du Panama et la soumission de l’impudent Canada s’inscrivent bien plus dans la mentalité impériale de la fin du XIXe siècle que dans quelque chose qui s’apparente au Lebensraum d’Hitler".
Ce professeur émérite de l’Université de Caroline du Nord partage en revanche la même analyse que Peter Hayes concernant les différences fondamentales entre le président américain et le führer. "Hitler était un idéologue qui avait une idée fixe de l’histoire comme lutte raciale, une prémisse fausse, à partir de laquelle il tirait de nombreuses conclusions apparemment logiques", explique Christopher Browning. "Le règne de Trump est beaucoup plus personnalisé, fondé avant tout sur la satisfaction de son besoin insatiable d’éloges, un sentiment de pouvoir sans entraves et le fait que tous ses fidèles partisans se soumettent à sa litanie sans fin de mensonges substituant la ’vérité de Trump’ à la réalité".
L’auteur de l’ouvrage de référence "Des hommes ordinaires : le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne" note toutefois quelques "étranges ressemblances" entre les deux hommes, notamment concernent le coup d’État manqué de Donald Trump en janvier 2020 et le putsch de Munich par le dirigeant nazi en novembre 1923 : "Hitler a lancé un coup d'État raté, a fait face à un système judiciaire qui ne voulait pas/ne pouvait pas le tenir responsable, n'a pas été expulsé vers l'Autriche en tant que criminel indésirable, mettant ainsi fin à sa carrière politique allemande, a relancé sa carrière politique avec le soutien des conservateurs traditionnels de droite et a obtenu le pouvoir légalement, prêt alors à mener une 'révolution légale' de l'intérieur", résume-t-il. "Trump a lui aussi lancé un coup d'État raté, n'a pas été destitué, a survécu à un système judiciaire léthargique incapable de le tenir responsable de ses crimes, a relancé sa carrière politique avec le soutien du parti républicain, a obtenu la présidence légalement et est maintenant lancé dans une "'révolution légale' pour démanteler et remodeler le gouvernement américain".

Certains observateurs soulignent également la soumission d’une large partie des capitaines d’industrie américains à Donald Trump, comme l’avaient fait en leur temps les entreprises allemandes Krupp ou Thyssen envers le IIIe Reich. Pour Christopher Browning, cette analogie se révèle pertinente : "Les milieux d’affaires sont obsédés par l’idée d’obtenir une baisse des impôts et une plus grande déréglementation. Rien d’autre ne semble peser sur la balance tant qu’ils obtiennent ces deux choses, quel que soit le coût final pour la société et le pays. En ce sens, ils sont aussi aveuglés et bornés quant aux conséquences ultimes de la présidence Trump que les hommes d’affaires allemands l’étaient quant à Hitler".
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"Une procédure tout à fait normale pour les dictateurs"
Professeur d’histoire associé à l’Université de Californie du Sud, Paul Lerner observe lui aussi une série de parallèles entre le trumpisme et les dirigeants autoritaires des années 30 et 40. L’un d’entre eux concerne notamment le type de langage utilisé par le président américain. "Surtout dans la façon dont Trump utilise les insinuations. La façon dont il encourage la violence et son attitude fuyante me rappellent Mussolini. Son langage fait également écho à l’anti-intellectualisme fasciste, au mépris des experts et de la nuance", décrit ce spécialiste du fascisme.
Paul Lerner n’a pas manqué également d’observer une mise au pas des médias depuis le retour au pouvoir de Donald Trump : "C’est une procédure tout à fait normale pour les dictateurs. Trump a déjà son ministère de la propagande et il est en train d’éliminer les médias grand public qui n’ont pas réussi à lui demander des comptes depuis dix ans déjà. Les journalistes obtiennent des informations en gardant accès à la Maison Blanche et si écrire des articles critiques signifie perdre votre accès, finalement, seule la presse qui lui est favorable y aura accès".
Professeur d’histoire à l’Université de Pennsylvanie, Anne Berg considère que "ces attaques contre la presse sont horribles", mais selon elle, leurs implications sont bien plus importantes aujourd’hui que sous l’Allemagne nazie. "Après tout, les Allemands pouvaient écouter la radio ennemie, même si cela était interdit et sévèrement puni pendant la guerre. L’Allemagne nazie n’a pas changé la nature de l’information. Ce qui se passe aujourd’hui est bien plus insidieux et bien plus conséquent, à l’échelle mondiale. Nous vivons dans un environnement de post-vérité, où les écosystèmes d’information en ligne sont transformés par le contenu généré par l’IA. Il n’y a plus de Feindsender (le terme allemand signifiant émetteur ennemi utilisé par la propagande nazie, NDLR). Le monde entier est sur X, autrefois connu sous le nom de Twitter ", estime cette spécialiste du national-socialisme.
"L’attaque de Trump contre les médias est en fait une attaque contre la vérité, les faits et l’objectif lui-même, exprimée de la manière la plus puissante dans ses attaques concertées contre l’enseignement supérieur et les universités d’élite comme la mienne. Et même si les gens se rendent certainement compte de ce qui se passe, sur leurs téléphones, les informations, le sensationnalisme et le divertissement se mélangent", précise-t-elle.
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"La démocratie est gravement menacée"
Face à cette situation, Anne Berg juge que la démocratie américaine "est en danger": "À l’heure actuelle, nous ne vivons plus dans une société démocratique fonctionnelle. Le système n’a pas été complètement transformé ou démantelé, mais nous assistons littéralement à la création d’une dictature en temps réel, même si les contours précis de cette dictature sont encore mal définis. La question est de savoir combien de temps nous reste-t-il avant qu’une fenêtre efficace de résistance ne se referme ?"
Ses collègues historiens se montrent aussi pessimistes. "Cela fait six semaines qu’il est au pouvoir et la démocratie est gravement menacée. Je ne sais pas si elle sera rétablie de mon vivant, ce qui est très déprimant", s’inquiète Paul Lerner. "Trump a renforcé son contrôle sur les pouvoirs de police (le FBI, le ministère de la Justice) et sur l’armée. Trump est vaniteux, solipsiste et un tyran préoccupé par la démonstration de sa force. Lorsque les choses commenceront à se dégrader et que l’opposition se fera entendre, lui et ses partisans vont recourir instinctivement à la violence", prédit pour sa part Peter Hayes.
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De son côté, Christopher Browning ne s’attend pas à la création "d’une dictature à parti unique et à un État policier comme Hitler l’a fait en cinq mois". Même s’il perçoit un "recul démocratique considérable vers une démocratie illibérale semblable à la Hongrie de Viktor Orban", il rappelle que la "Constitution américaine est très difficile à modifier", et que "le système fédéral américain avec des gouvernements d'État forts ne peut pas être renversé". "Le pluralisme et la diversité de la société américaine ainsi que ce système fédéral, combinés à l’incompétence de tant de personnes nommées par Trump, constituent le meilleur espoir de ralentir l’érosion de la démocratie", espère l’historien.
