Mohamed Amra : une extraction sous haute tension

Mohamed Amra, sans doute le détenu le plus surveillé de France, doit être extrait de sa cellule de la prison ultra-sécurisée de Condé-sur-Sarthe dans la semaine du 9 juin pour être interrogé par les magistrats de la Juridiction nationale de lutte contre le crime organisé (Junalco), au tribunal de Paris. Le narcotrafiquant sera entendu sur l’affaire d’assassinat d’un dealer de Marseille, en juin 2022, dont il est accusé d’être le commanditaire.

Il va parcourir 260 km jusqu’à Paris à bord d’un convoi hautement surveillé. Le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) sera chargé d’assurer la sécurité autour de l’extraction du détenu. L’unité d’élite avait déjà été responsable de l’escorte du narcotrafiquant de l’aéroport de Villacoublay (Yvelines) jusqu’au tribunal judiciaire de Paris fin février après son arrestation.

Désaccords au gouvernement

Face à cette opération ultrasensible, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau estime que dans cette situation le juge devrait se déplacer plutôt qu’extraire Mohamed Amra. « Faire sortir des types aussi dangereux d’une prison, ce sont des risques majeurs. Il faut que nous nous adaptions et qu’on entende soit que le juge se déplace, soit qu’il y ait une visioconférence », a lancé le locataire de la Place Beauvau sur RTL mercredi 4 juin.

« Je ne vois pas à quel titre le ministre de l’Intérieur s’exprime à ce sujet », commente auprès de l’AFP Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM) en réaction à la déclaration de Bruno Retailleau. « C’est quand même le juge qui doit estimer s’il a besoin ou pas de voir les suspects dans son cabinet », « Le retour de l’autorité » et de la judiciarisation chères à certains membres du gouvernement « ça commence par là », poursuit-il.

Le dispositif de la visio audience a déjà été soulevé par le ministre de l’Intérieur, dans sa loi sur le narcotrafic, adoptée définitivement fin avril. Elle prévoit de généraliser la visioconférence pour les personnes détenues dans les nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Ces procédures d’extraction sont jugées trop dangereuses, lourdes financièrement et logistiquement. Elles avaient été déjà été pointées du doigt par les syndicats de l’administration pénitentiaire en 2024, « Nous avons une surpopulation carcérale et nous effectuons de plus en plus d’extractions judiciaires », déplorait Didier Kandassamy, secrétaire local de FO Justice au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, au moment de la première évasion de Mohamed Amra.

Gérald Darmanin, ministre de la Justice, lui affirme « qu’il ne se passera rien » lors du déplacement. Le ministère de l’Intérieur, « qui aura la responsabilité de ce transfert, le fait dans de magnifiques conditions, que ce soit le GIGN ou le RAID », a-t-il assuré sur TF1 mardi 3 juin dans la soirée.

Indignation des syndicats

La colère domine en revanche les syndicats pénitentiaires, « nous sommes outrés et scandalisés de cette extraction judiciaire » s’indigne auprès de l’AFP Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap Unsa Justice, et regrette que le « principe du recours à la visioconférence » soit « bafoué ». « Si l’on peut comprendre les nécessités de l’instruction et de la présence physique de l’individu, le magistrat aurait très bien pu se déplacer sur son lieu d’incarcération » à Condé-sur-Sarthe (Orne), a-t-il jugé.

« Aujourd’hui, le magistrat décide si on doit lui présenter le détenu ou non » pointe Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat FO-justice, considérant que les magistrats ne prennent pas assez en compte « la mesure du danger des extractions de ce type de détenus ». « C’est incompréhensible et inadmissible envers nos collègues morts et blessés à Incarville », fustige Wilfried Fonck.

Le 14 mai 2024, lors d’une première extraction du détenu Mohamed Amra, surnommé « La Mouche » dans le milieu criminel, deux agents pénitentiaires avaient été tués et trois grièvement blessés. Le fourgon pénitentiaire qui transportait le narcotrafiquant avait été attaqué au péage d’Incarville, dans l’Eure par quatre hommes armés. La cavale de Mohamed Amra a duré neuf mois jusqu’à son arrestation en Roumanie en février dernier. Le détenu avait été mis en examen dans la foulée pour meurtres, tentative de meurtres, évasion, vol et recel de vol, le tout en bande organisée, ainsi que pour association de malfaiteurs. De quoi effectivement rester alerte pour l’extraction de la semaine prochaine.

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